Thérapie Brève et Intervention Systémiques (modèle de Palo Alto)

La posture de l’approche de Palo Alto dans la pratique du métier de paysagiste conseil.

Stéphane FOUGERAY, paysagiste conseil

« Allo M. Fougeray ? on voudrait refaire la route du village bien propre comme il faut, mais faudrait surtout que vous veniez pour voir comment qu’on fait pour que la moissonneuse batteuse elle passe. Et surtout faudrait se dépêcher car j’ai un dossier à déposer dans 3 semaines pour avoir des subventions » ….Cette demande peut paraître caricaturale mais elle fait pourtant partie de mon quotidien de Paysagiste. 
Comment pendant 15 ans, avec fougue et ferveur dans un premier temps, puis lassitude et enfin démotivation j’ai tenté de convaincre de l’intérêt de voir au-delà de la largeur de la moissonneuse pour réaménager sa rue et comment aujourd’hui avec une nouvelle méthode en poche j’aborde cette même situation et quels effets cela produit-il?

La maïeutique du projet de paysage
Mon contexte d’intervention :
S.Fougeray/©Paradoxes

S.Fougeray/©Paradoxes

Je suis paysagiste-concepteur en CAUE (Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement) depuis 2002. Cette association a pour missions fondatrices de conseiller, informer, former et sensibiliser les élus, les techniciens du département et les particuliers à la qualité architecturale, paysagère et urbanistique. En Sarthe, nous avons également développé un pôle pédagogique permettant d’intervenir en milieu scolaire.
Une de nos particularités est que nous ne faisons pas de maîtrise d’œuvre, nous nous situons en amont de la commande publique… et nous n’avons rien à vendre, excepté des conseils !

Ainsi, le CAUE a deux volets principaux d’intervention :

  • un vers les collectivités (études en urbanisme et paysage, organisation de formations et colloques),
  • et un vers les particuliers (conseil gratuits, formations et sensibilisation).

Mon propos se nourrit de ces deux champs d’actions.

Utilisation de l’approche de Palo Alto et les problématiques spécifiques de mon métier :
Un grand nombre d’acteurs avec des visions différentes et des problématiques multiples.

Avant l’approche de Palo Alto ma position était celle de l’expert. Je venais avec une idée de mission : tu dois faire une pré-étude pour requalifier le centre-ville, pour étudier les possibilités d’implantation d’un nouveau quartier…
Lors du premier rendez-vous je recueillais les besoins des élus et les dirigeais vers des solutions allant vers la réduction de l’usage de la voiture, vers l’apaisement via le paysage, et vers l’harmonisation via des rapports d’échelles.
Parfois, lorsque l’élu avait une attitude passive et n’attendait rien d’autre qu’une étude, le message et le rendu final convenaient bien. Mais au fil des ans je me suis aperçu que je passais mon temps à essayer de convaincre ces interlocuteurs avec une grande dépense d’énergie, de convictions, et pour peu de résultats visibles.
Mes questionnements sur mon travail en particulier, et sur mes attentes vis-à-vis du travail, m’ont amené à réaliser un bilan de compétences. Au cours de ce bilan je me suis aperçu qu’il existait d’autres façons de voir les choses, qu’il « suffisait » parfois de faire un pas sur le côté pour voir une situation différemment. A peu près au même moment, la fédération nationale des CAUE organisait une initiation à Palo Alto dans les projets d’urbanisme, ce qui fut pour moi une opportunité.
Cette approche fut une révélation et m’a conduit à approfondir mes connaissances via le cycle 1 de l’École du Paradoxe.

Aujourd’hui
Cette intervention aujourd’hui me permet de faire un bilan sur l’apport de l’approche Palo Altienne dans ma pratique, comment je l’utilise et ce qu’elle m’apporte.
Au début je m’évertuais à appliquer une méthode de manière assez scolaire !

Et surtout je m’efforçais à tenter de trouver quelle était la problématique. Très vite, je me suis senti fort déçu et mauvais élève. Premièrement je n’avais pas la rapidité nécessaire, lors d’un rendez-vous, pour décortiquer le décodage systémique et le décryptage stratégique. Deuxièmement je ne trouvais pas toujours de problématique. Donc je n’avais plus tendance à utiliser l’approche, en me disant que je n’étais pas assez aguerri. Mais le temps passant et le travail en profondeur de la formation faisant son œuvre, je me suis questionné sur ce qui me posait problème…..et ma foi, pas mal de solutions me sont apparues ! Tout d’abord il n’y pas forcément de problématique, donc ne pas en trouver n’est pas forcément un problème. Puis, et surtout dans mon cas, c’est avant tout un changement d’attitude, de position qui m’a énormément apporté :

  • je n’ai plus besoin de me convaincre que l’autre a forcément sa vérité, désormais je comprends le sens profond de cette notion et ce qu’elle implique dans la relation. C’est donc une nouvelle posture que j’ai gagnée, celle du « non-jugement ».
  • Je suis dans l’écoute, ce qui me permet de poser plus de questions pour comprendre la position de l’autre, cela permet très souvent qu’il s’aperçoive par lui-même qu’il a sa propre réponse, qu’il porte sa responsabilité et fait des choix assumés. Au delà de cette responsabilité affirmée, dans bien des cas, le sujet s’ouvre lui aussi à d’autres options, d’autres choix, car il me semble qu’il a intégré que le projet était son projet, qu’il le maîtrisait et donc que ce n’était pas un souci de s’ouvrir à d’autres possibilités, puisqu’il était en capacité de juger de leur pertinence.

Pour illustrer ce propos, je vais utiliser le cas d’une commande publique présentée comme très importante, novatrice et dont le résultat devait être perçu par le grand public comme un élément d’attractivité majeure. Cette commande ne nous offrait que peu de marge de manœuvre : délais très courts, voire impossibles en termes réglementaires, un budget alloué ne permettant même pas de couvrir 50 mètres linéaires d’allée sur un site classé « monument historique » de 11 ha ouvert au public toute l’année. A cela s’ajoutait un commanditaire très enthousiaste mais impossible à rencontrer. Nous devions donc échanger avec les techniciens et non le décisionnaire. Ces derniers expliquaient qu’ils avaient essayé par tous les moyens possibles de convaincre leur élu que les délais étaient trop courts et les budgets irréalistes. J’ai alors décidé de mieux cerner les objectifs de la commande et les attentes vis-à-vis de ma structure. Compte tenu des enjeux il était très important que nous saisissions bien tous les paramètres de manière à pouvoir répondre au plus vite et avec le degré d’exigence attendu. Ainsi nous avons dressé une liste de questions aux différents interlocuteurs, y compris le commanditaire. Ces questions, relativement nombreuses et précises, nécessitaient de mobiliser l’avis des techniciens et des élus commanditaires. Ce jeu de questions/réponses permettait que chacun dispose des positionnements de tous vis-à-vis du problème. Ainsi, le niveau d’exigence recherché était clair pour tous et les contraintes techniques inhérentes étaient elles aussi connues.
Le message contenu dans cette intervention : « compte-tenu des ambitions affichées et des contraintes techniques évaluées, il est urgent de prendre son temps » va à l’inverse du sens du mouvement « il faut aller vite ». Ma démarche d’intervention paradoxale visait à freiner le mouvement vers le changement.

Notre changement de position a eu plusieurs conséquences positives dans ce projet :

  • le délai de réponse fixé initialement par le commanditaire est passé de une semaine à un mois, à sa propre initiative ! (gain de temps pour mener la réflexion de notre côté et de celui des techniciens)
  • Le commanditaire a fait bouger sa position : «  on a besoin d’éléments complémentaires pour mener à bien notre projet comme nous le souhaitions initialement mais peut-être que nous pourrions faire un coup d’essai cette année pour montrer que l’on a fait quelque chose comme prévu et que par la suite nous allons pouvoir augmenter notre financement pour répondre pleinement à nos objectifs » (changement de point de vue sur ce qu’est une urgence. Il trouve de lui même comment à la fois atteindre ses objectifs et faire d’une solution transitoire une force).
    Les techniciens se sont sentis soulagés par rapport aux nouveaux délais plus raisonnables et un budget probablement plus réaliste.

Le commanditaire a senti que nous étions réactifs et pragmatiques, qu’il allait pouvoir présenter cette année un projet comme annoncé et qu’en plus ce projet allait prendre de l’ampleur.
Je pense que nous avons gagné en crédibilité.

 Une anecdote pour finir.

J’avais mis en place des visites sensorielles de parcs et jardins bien avant ma découverte de Palo Alto. L’objectif était de convaincre le public que tous les sens participent au ressenti que l’on a dans un espace : « Qu’est-ce qui fait que l’on aime un endroit ou pas? » Ainsi j’organisais des visites adressées à des personnes voyantes dont on bandait les yeux. Je disposais également d’une série d’activités pour les guider vers ce que je pensais être une prise de conscience (dessiner le son, décrire les lieux…). J’étais dans une position haute, je délivrais un savoir.
Aujourd’hui avec Palo Alto j’ai pris une position basse et je mets en relation des personnes malvoyantes et des personnes voyantes en binôme afin que chacun décrive ce qu’il « voit », ce qu’il ressent. Ainsi, les malvoyants ont une description basée sur le toucher, l’odorat, la pression sur la peau…et les descriptions des lieux sont très précises et toutes aussi proches de la réalité que celle que fait le voyant à l’aveugle. Les voyants ne pouvant plus décrire un lieu aux malvoyants avec des mots usuels doivent adapter leur récit au handicap. Ils s’aperçoivent ainsi qu’il y a une multitude de façons différentes de « voir » .
De mon côté le résultat est très positif puisque je n’ai fait qu’accompagner, mettre en relation deux publics et que tout le reste du travail a été construit par eux!

Pour citer cet article : Stéphane FOUGERAY. Mon nouveau métier : Maïeuticien-Paysagiste. La posture de l’approche de Palo Alto dans la pratique du métier de paysagiste conseil.
Communication à la XVIIème journée de Rencontre de Paradoxes, le 20 octobre 2018

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