Catherine CHAMBON, consultante et coach
Souhaitant rénover un grand jardin planté il y a plus de 50 ans, j’ai fait appel à un paysagiste qui s’est révélé être un expert peu conventionnel : position basse, vision systémique et interventions paradoxales. Je me propose de partager avec vous mon vécu de cet accompagnement et apport d’expertise, comme cliente … et comme praticienne de l’intervention systémique paradoxale.
Nous avons adopté il y a quelque temps un grand jardin peu entretenu depuis 10 ans : deux hectares dont la moitié de bois, une zone plantée il y a 50 ans avec des arbres très serrés et en mauvais état, un verger qui ne donnait plus de fruits, une haie de thuyas moribonde… Nous ne savions pas par quel bout commencer, ni comment nous y prendre pour le remettre en état. Nous avons donc décidé, après beaucoup de tergiversations, de faire appel à un paysagiste. Nous voulions quelqu’un qui nous aide à mettre en valeur sans le bouleverser un jardin que nous aimions – retrouver une vue dégagée et de la lumière…- et qui ne cherche pas à nous imposer un projet grandiose, des plantations couteuses ou des travaux pharaoniques.
Ce paysagiste nous a été recommandé par une amie qui nous a dit : «sa démarche consiste plutôt à utiliser et mettre en valeur les ressources du jardin ; il va écouter ce que vous voulez et ne vous poussera pas dans une direction qui ne vous irait pas. Rencontrez-le et vous verrez si vous pouvez travailler ensemble. »
Lors de la première rencontre, nous avons parcouru le jardin avec lui ; il nous a demandé ce que nous voulions changer et a suivi, et souvent enrichi, parfois réorienté nos idées.
Il nous a fait après ce premier échange une proposition de dessin de notre jardin : les implantations, le bois, le bosquet, les endroits dégagés, le traitement de la haie, ainsi qu’une proposition d’accompagnement : « je viens à votre demande, quand vous en avez besoin. Je peux vous montrer comment faire certaines choses : ranger le bois de manière esthétique. Je peux aussi revenir tous les ans ou tous les deux ans pour voir ce qu’il faut faire maintenant… »
Lorsqu’il est venu nous présenter sa proposition, je me suis dit : «certes le jardin est grand mais sa remise en état est à notre portée », il nous propose surtout d’éclaircir les plantations et d’entretenir le reste, et il est d’accord pour venir nous donner des conseils au fur et à mesure que nous avancerons. Nous avons accepté sa proposition.
Dans tout le travail que nous avons fait ensemble il a eu et a toujours une posture constructiviste –attentif au fait que la vision du monde est propre à chacun, cherchant à saisir notre vision à nous, respectant notre compétence et notre liberté de décision.
Il ne nous a pas imposé sa vision du paysage mais a cherché à connaitre la nôtre, directement en la questionnant : « que voulez-vous avant tout, de la lumière, une vue dégagée, de l’intimité… ? » ou en creusant ce que nous recherchions en envisageant tel ou tel aménagement.
Il nous a questionnés précisément sur notre usage du jardin : « Vous voulez refaire un potager ? Vous cueillez les fruits des arbres ? »
Mais aussi sur son entretien : « Quel temps pourrez-vous consacrer à l’entretien régulier de ce jardin ? »
Et sur la manière dont nous voulions vivre dans ce jardin : « Cette haie isole complètement la maison de la rue, est ce que vous envisagez un nouveau mur végétal ou est-ce que certaines portions pourraient être moins denses ? »
Et il a fait part de ses idées avec précautions : « est-ce que cela vous ennuie si on abat une partie des arbres au nord de la maison ? »
Il nous a dit que nous savions faire des choses : « pour tout ce qui est joli … les fleurs… ce sera vous », il nous a encouragés : « faites-vous plaisir, plantez des bulbes, sans rien faire d’autre vous aurez des fleurs, je vous donnerai l’adresse d’un excellent producteur. »
Il s’est intéressé à l’évolution de notre jardin, il était très curieux de ce que nous avions fait, s’est intéressé à nos initiatives : « c’est une bonne idée ce mur de bois ici, ça accompagne le mouvement de l’allée… »
Et il a continué à enrichir nos idées : « vous garez vos voitures dans la clairière, il faudra sans doute réfléchir à stabiliser le sol pour la période d’hiver ».
Il a résumé sa position dans ces termes : « je vais vous donner des conseils pour vos arbres, votre jardin mais c’est vous qui allez faire, avec de l’aide si vous avez besoin », et il nous a proposé un accompagnement totalement à «la demande ».
Il a témoigné d’une vision systémique – les éléments d’un système sont en interaction, et lorsqu’on modifie un élément du système on ne peut pas prévoir comment il va évoluer, se réarranger –
« Un arbre ne vit pas tout seul, il vit dans son environnement, par exemple là, ce chêne et ce cerisier, ils sont bien ensemble, si on abat l’un des deux, l’autre dépérira » ;
Il nous a dit : «Dans un jardin, on ne sait jamais ce qui va se passer quand on modifie, comment ça va évoluer, il y a des surprises».
Et nous avons eu des surprises :
- Des tulipes sont apparues à la place de l’if que nous avons abattu
- Le gazon japonais a très bien poussé autour des souches des sapins – je croyais dur comme fer que rien ne pousserait là
- Nous avons redécouvert que nous avions une vue dégagée sur la campagne…
- Nous avons découvert des arbres magnifiques dont nous ignorions la présence : des cèdres…
- et, bien que nous ayons abattu 2 arbres sur 3, la zone plantée il y a 50 ans paraissait toujours boisée
Et enfin, et cela a été tout à fait majeur pour nous, il a adopté une stratégie de freinage – et donc paradoxale puisqu’il nous disait en même temps : « je vous aide à rénover votre jardin » et « ne faites pas les choses que je vous propose, en tout cas ni rapidement ni totalement. »
Il ne nous a pressés en rien, et nous a conseillé, d’autant plus que nous hésitions devant certaines de ses idées, d’y aller pas à pas et de voir ce que ça donnait, si ça nous allait.
Il nous a conseillé de faire des meules avec les branches souples des arbres, il nous a même montré comment faire… nous n’en avons rien fait et il a juste dit : « il reste le problème des tas de branches là » et finalement nous avons acheté un tracteur pour les entasser là où cela ne nous gênait pas.
Et pour ce qui n’est pas encore fait – la rénovation de la haie – il nous a renouvelé son conseil de faire sans urgence un essai, et de voir si le résultat nous convient …. « Cela peut attendre plusieurs années » a-t-il ajouté.
Et moi, sa cliente, cette posture et le questionnement d’exploration m’ont permis :
- de reprendre la main sur un projet qui me dépassait et d’être assurée de son appui
- de me recadrer sur certains sujets : est-il utile de replanter un verger si on ne cueille pas les fruits ?
- de me sentir encouragée et soutenue dans nos initiatives
- de me sentir tout à fait libre du moment où nous demanderions de son intervention
Sa vision systémique a éveillé ma curiosité pour les imprévus et les surprises après chaque étape de travaux – abattage des arbres, débroussaillage… – c’était un jeu pour moi chaque week-end d’aller voir ce qui s’était passé là où nous étions intervenus.
Ce freinage délicat mais constant nous a amenés à intégrer, modifier, parfois pousser plus loin certaines idées que nous n’aurions pas imaginées à priori, et en laisser d’autres de coté qui décidément ne nous allaient pas. Je n’ai jamais eu le sentiment d’être « en faute » si nous ne faisions pas ce qu’il nous avait proposé et je me sens très libre de discuter avec lui d’autres idées qui nous viennent.
En conclusion et avec son approche peu conventionnelle, ce paysagiste depuis le début et aujourd’hui encore, suit, accompagne, nourrit l’évolution de notre jardin, en y intégrant nos idées et initiatives, à notre grande satisfaction. Je le perçois comme un allié de notre projet pour notre jardin, expert généreux en conseils et à l’écoute de nos idées.
Et pour la conclusion de la praticienne : cela me confirme que nos piliers constructivistes systémiques et stratégiques sont également très pertinents dans une intervention d’expertise.
Je mesure que le questionnement est au moins aussi important dans ce type d’intervention que dans une « classique » résolution de problème ; autrement comment saisir la vision du monde de notre client ? Comment se représenter sa vision d’un « bon » accompagnement ? Et le parcours du jardin est en passe de devenir une métaphore utile pour moi pour « faire le tour de la situation ».
La posture constructiviste amène aussi une manière radicalement différente de donner des conseils qui me semblent être plutôt :
- soit des éléments permettant au client de décider en connaissance de cause : « votre sol est très pauvre, les arbres sont très serrés..», assortis d’explications
- soit de l’appui technique :« je vous dis comment faire pour que ce que vous souhaitez faire marche au mieux »
- soit des suggestions ouvertes : « est ce que cela vous irait si… »
Et dans l’approche systémique je suis plus encline à rechercher les surprises et imprévus… et moins encline à penser que c’est un défaut d’expertise de ma part que de n’avoir pas tout prévu.
Quant au freinage appliqué à la mise en œuvre de nos préconisations d’expert – c’est un comble quand même ! – j’ai bien expérimenté ses effets très bénéfiques mais pas encore tout à fait digéré comment le mettre en œuvre.
Et en plus cette expérience m’a permis de résoudre une question qui me préoccupait depuis des années « dois-je ou non recontacter mes clients après une mission ? ». J’ai compris que prendre des nouvelles des projets d’un client est aussi une manière de lui manifester notre intérêt pour ses initiatives, et je ne m’en prive pas !
Pour citer cet article : Catherine CHAMBON. Conseils d’expert : comment une vision constructiviste, systémique et un freinage délicat font toute une différence…
Communication à la XVIIème journée de Rencontre de Paradoxes, le 20 octobre 2018