Thérapie Brève et Intervention Systémiques (modèle de Palo Alto)

Audrey BEAUMONT, psychologue

Lors d’un conflit nous avons tous tendance à considérer que l’un a tort et l’autre a raison. Le conflit dans un couple n’échappe pas à cette règle et le couple en consultation attend du thérapeute qu’il arbitre le match qu’ils jouent sous ses yeux à coup d’arguments et d’exemples cinglants.
Même pour un thérapeute utilisant l’approche de Palo Alto il est difficile de ne pas entrer dans ce jeu d’arbitre. Pourtant, adopter une posture à l’inverse de ce qui est attendu peut aider les couples à prendre position pour la suite des évènements.
Quelques exemples de thérapies de couples illustreront mon propos.

Audrey Beaumont

Audrey Beaumont/ ©Paradoxes

Installée depuis presque 3 ans en tant que thérapeute, je reçois principalement en séances individuelles des adultes, des adolescents et des enfants. Et de temps en temps, des couples frappent à ma porte pour me demander de l’aide… L’exercice de la thérapie en utilisant le modèle de Palo Alto n’est déjà pas simple à mettre en place avec UN client, mais lorsqu’ils sont deux en même temps dans mon cabinet, cela me complique significativement la tâche… Sur le plan pratique d’abord : il est périlleux pour moi de suivre le flot de paroles, tout en prenant des notes et en essayant bien sûr de mettre chaque élément dans la bonne case de ma grille (le problème, les tentatives de solution, l’objectif, la vision du monde, le contexte…) car tout est multiplié par 2 !!

En tant que thérapeute utilisant l’approche de Palo Alto, la deuxième difficulté est de résister au courant dans lequel le couple, ou au moins celui qui est à l’initiative de la démarche, tente de m’entraîner, à savoir départager, compter les points et déterminer tel le ferait un arbitre, qui est le gagnant et qui est le perdant. Il est assez fréquent que l’injonction qui m’est lancée par l’un des deux soit « Dites-nous qui a raison ! » ou encore « Départagez-nous ! », ce qui reviendrait alors à me positionner en expert de la relation de couple et de trancher sur les bonnes conduites à avoir pour qu’un couple dure… !!

De plus, dans la vision du monde du « demandeur » de la thérapie (ce qu’il ne faut pas que j’oublie de vérifier d’ailleurs car figurez-vous que celui qui nous contacte n’est pas toujours le demandeur !!!! Parfois ce dernier appelle sous contrainte voire menace de dernière chance !)… donc dans la vision du monde du « demandeur » disais-je, il y a l’idée qu’ « il faut parler pour mieux se comprendre », que la base du couple est la communication mais aussi que « ça fait du bien de parler », et que donc « parler » signifiera « guérir » et permettra simplement la dissolution des problèmes. Mais dans la plupart des cas, force est de constater que le couple a déjà eu de multiples discussions et que cela n’a rien arrangé. Le « psy » est donc le dernier recours après moult tentatives de solution ! Le thérapeute est la dernière chance, celui qui pourra peut-être sauver le couple du naufrage annoncé… C’est dire l’ampleur des attentes et donc des injonctions auxquelles je dois résister… !! En effet, pour nous thérapeutes utilisant l’approche de Palo Alto, si le couple fonctionne c’est OK, et si le couple ne s’entend pas et se sépare, c’est aussi OK. Nous n’avons pas d’intention pour eux, pas d’envie. Cette posture de non-vouloir est dès lors un freinage puisqu’il va à contre-sens du mouvement attendu qui serait que l’on souhaite que le couple s’entende mieux ensuite…
Ainsi je m’efforce de ne pas réconcilier les couples mais plutôt, à l’aide d’un questionnement stratégique, de faire avancer mes clients dans leur réflexion.
J’ai expérimenté avec les couples à quel point « mettre les pieds dans le plat » pouvait les aider. Il s’agit en effet d’expliciter les implicites, mettre des mots sur ce qui est parfois « audible » sans être vraiment exprimé clairement. Ainsi je souhaite vous évoquer l’exemple de ce couple qui vient me voir à l’initiative de Madame P. car « cela ne va plus dans leur couple ». Je les reçois donc tous les deux et décide d’interroger Madame sur ses attentes vis-à-vis de la consultation. Elle me dit clairement qu’elle ne sait pas ce qu’elle attend, qu’elle n’est pas sûre que cela puisse marcher et qu’elle recherche avant tout un regard neutre sur leur situation. Rien que dans ces mots, on repère bien que ce que l’on attend d’une consultation chez un psy est bien « changez quelque chose ! » et particulièrement ici « aidez-nous à remettre notre couple à flot » et « dites-nous comment faire ! »…

Lorsqu’elle m’expose les différents griefs à l’encontre de son mari, je note régulièrement des éléments qui me font penser qu’elle envisage la rupture du couple, mais sans pour autant le dire de manière claire : « je n’espère plus grand-chose depuis 2 ans », « il doit faire des efforts mais c’est trop tard », « il m’insupporte ! » ou encore « je suis fatiguée d’essayer »… Je décide alors assez rapidement de mettre les pieds dans le plat et de lui demander en reprenant des éléments de son langage si elle pense que leur couple est encore « sauvable » ? Cette question somme toute assez brutale a eu le mérite d’expliciter les implicites. Ainsi, elle a répondu « Je n’y crois plus. Je pense que je ne l’aime plus et si on reste ensemble c’est plus pour la famille ».

Il peut m’arriver d’aller à contre-sens de ce qui est attendu, « l’apaisement à tout prix », en mettant de « l’huile sur le feu ». Il ne s’agit pas là d’allumer le feu s’il n’y en a pas, mais bien de ne pas l’éteindre s’il est là.
Ainsi, un autre couple, Monsieur et Madame R. sont venus me voir en m’expliquant la situation suivante : Madame vient d’être licenciée pour inaptitude et a le projet d’ouvrir une boutique dans la ville où ils habitent. Elle peaufine pour cela son projet avec un conseiller et doit bientôt mettre en place son étude de marché. Son envie serait de vendre leur maison située en campagne pour acheter un appartement en centre-ville de la ville la plus proche (dans la Sarthe, là où j’exerce) pour y installer sa boutique. Monsieur lui, travaille dans une entreprise et vient d’être contacté par un chasseur de tête. Alors qu’il avait dit à sa femme qu’après de nombreux déménagements pour son travail, maintenant c’était à son tour à elle de construire son projet et de s’épanouir professionnellement, il hésite à accepter un poste à 180 km de là. Lui envisage soit de déménager sur ce nouveau lieu de travail avec sa famille, soit de garder la maison à laquelle il tient et partir la semaine afin que sa femme puisse ouvrir sa boutique. Madame reproche à Monsieur de ne pas s’intéresser à son projet et de ne pas y croire et se sent trahie puisqu’encore une fois il met sa carrière à lui en avant et n’écoute pas les besoins de sa femme. En parallèle, elle se plaint de nombreuses choses comme son manque de communication, son retrait vis-à-vis de l’éducation des enfants mais aussi son caractère colérique qui l’épuise au quotidien.
Malgré la liste importante des reproches, le contexte particulier de changement professionnel sur lequel ils s’affrontent une nouvelle fois semble être le problème. Je m’autorise alors à mettre de l’huile sur le feu en grossissant ce problème et en leur disant « mais vous ne serez jamais d’accord là-dessus puisque chacun pense avoir raison ?, il semble que la situation soit bloquée… vous allez faire quoi alors ? ». Cette question a permis à Monsieur d’affirmer qu’il voulait vraiment trouver une solution et une entente sur ce point et que la situation pouvait forcément se débloquer… Madame elle, ne semblait pas vraiment croire en l’envie de son mari de trouver une solution… A la séance suivante, un arrangement n’avait en effet pas été trouvé puisque Madame m’annonçait qu’elle avait l’intention de divorcer car leurs chemins étaient voués à se séparer et qu’ils resteraient chacun sur leur position…
Autre situation, autre outil : Mr et Mme T. viennent me voir en consultation à la demande de Mme. Mme m’explique qu’elle a découvert que Mr discutait en cachette par SMS depuis des mois avec une stagiaire de son entreprise et que même s’il lui jure qu’il ne s’est rien passé de plus entre eux et qu’elle pense que cela est vrai, elle ne supporte pas l’idée qu’il ait pu lui mentir tout ce temps, en s’enfonçant toujours plus dans le mensonge. Elle explique qu’elle ne voit plus que le côté négatif et qu’elle a l’impression de ne plus rien ressentir, qu’elle est restée avec lui car elle était enceinte, mais qu’elle n’est plus sûre de le vouloir aujourd’hui… Après avoir écouté les nombreux reproches de Mme envers Mr et les arguments avancés par Mr prouvant qu’il essayait de se rattraper et de se faire pardonner pour sauver son couple : renvoyer la stagiaire, rentrer à la maison de suite après le travail, montrer son téléphone pour prouver qu’il n’y a plus de message, etc… ; je ne comprenais toujours pas clairement ce que Mme attendait de Mr en termes de comportement, si ce n’est qu’elle n’avait plus confiance en lui et qu’elle voulait qu’il lui prouve qu’elle pouvait à nouveau lui faire confiance… il était assez clair ici que le changement attendu n’était pas très explicitement exposé par Mme et que donc Mr ne savait pas vraiment sur quel pied danser et quel comportement adopter. Ainsi, je demandais à Mme « qu’est-ce qui vous empêche aujourd’hui d’avoir à nouveau confiance en lui ? », ce à quoi elle me répondait « et bien je crois que je ne suis plus sûre qu’il m’aime ». C’est ainsi que dans mon décodage, le message qu’adressait Mme à Mr qui était au départ « Prouve-moi que je peux à nouveau te faire confiance » devenait « Prouve-moi ton amour pour moi », ce qui me semblait plus clair et plus « déclinable » en comportements.
J’ai donc posé une question ayant pour but de faire expliciter ces comportements attendus : « Et maintenant si vous y réfléchissez en ces termes, qu’attendez-vous de Mr quand vous lui demandez de vous prouver son amour ? ». Et Mme de répondre : « Je veux qu’il rame ! Je veux qu’il me prouve qu’il tient la route en me séduisant à nouveau, en me surprenant, je veux être sa priorité et qu’il fasse plus attention à moi, qu’il me montre qu’il a mal aussi. ». Se sont ensuite jouées des négociations sur ce que Mr était prêt à faire pour Mme et combien de temps il était prêt à le faire en sachant que ce temps-là n’était pas encore défini par Mme. Le freinage que je pouvais apporter ici fût à la fois sur les capacités d’endurance de Mr dans la reconquête de sa femme, surtout si ce temps n’était pas défini, mais aussi sur le fait que parfois même avec toutes les preuves d’amour devant soi, la cicatrice ne guérit pas complètement.

Pour conclure mon propos, quelle que soit la complexité des problématiques apportées par le couple en consultation, et notamment lorsqu’ils attendent de moi un œil expert et des conseils avisés, je m’efforce de ne pas me laisser entraîner par ma volonté de répondre à leurs attentes, tout en envoyant le message que je veux les aider. C’est une posture difficile à tenir, et après tout qui n’est pas meilleure qu’une autre, mais qui, j’en suis convaincue peut amener mes clients à reconfigurer et voir autrement leurs problèmes afin de prendre position pour la suite…
Quant à moi, le chemin des apprentissages est encore long…

Pour citer cet article : Audrey Beaumont, Thérapies de couple : ne pas devenir l’arbitre du match : https://www.paradoxes.asso.fr/2018/10/therapies-de-couple-ne-pas-devenir-larbitre-du-match/.
Communication à la XVIIème journée de Rencontre de Paradoxes, le 20 octobre 2018.

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