Thérapie Brève et Intervention Systémiques (modèle de Palo Alto)

Communication à la sixième journée de Rencontre de Paradoxes, 20 octobre 2007
Sylvie Dorchies, psychosociologue

Résumé : Face à la demande de coaching, compte tenu des « tentations » du marché, l’intervenant systémique a fort à faire pour préserver son cadre stratégique et son efficacité. Dans ce contexte, nous verrons que savoir résister à la demande devient une compétence majeure pour le coach Palo Altien. Très en amont de l’accompagnement, il contrarie les demandes formulées par des interventions paradoxales qui dérangent les « commandements » établis. La posture et les savoir-faire utilisés s’apparentent à ceux des Heyokas, figures symboliques des Sioux Lakotas. Des exemples d’intervention permettront d’illustrer comment s’incarnent ces êtres « contraires » dans la pratique du modèle et quels sont les opportunités et les risques associés.

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Sylvie Dorchies 2007© Paradoxes

Il y a 5 ans, date de la première rencontre de Paradoxes, j’avais eu grand plaisir à intervenir avec mon ami Manuel Macary, j’ai une pensée toute spéciale pour lui au démarrage de cette communication…

Merci à Paradoxes de me donner une nouvelle opportunité de prise de parole. Cette fois sur ma pratique de coaching.

Aujourd’hui, j’interviens en tant que psychosociologue, essentiellement sur Paris, dans les entreprises et auprès des particuliers. L’ensemble de mes activités vise la résolution des problèmes humains et le développement des potentiels. Cela peut prendre la forme soit d’accompagnements collectifs soit d’accompagnements individuels. Ceci notamment dans le cadre de formations, de coaching et également de thérapies pour des particuliers. Depuis maintenant plus de huit ans, ces accompagnements s’inscrivent dans le cadre stratégique de L’École de Palo Alto.

Pour en venir au coaching, je ne pouvais vous parler de cette activité, sans me faire l’écho de deux rencontres qui ont influencé ma pratique et caractérisent mon positionnement aujourd’hui sur le marché.
Bien sûr la rencontre de L’École de Palo Alto, mais aussi une autre rencontre, plus atypique, avec les heyokas des personnages traditionnels des peuples Sioux…
Au fur et à mesure de cette communication devraient se dessiner des éléments de posture et de pratiques spécifiques à cette double influence.
Ma communication va s’articuler autour de 4 étapes :
– Le marché et ses conséquences sur la mise en place du cadre d’intervention stratégique. L’mportance de résister à la demande pour préserver ce cadre.
– La Rencontre avec les Heyokas, des maîtres d’une forme paradoxale de résistance
– Des cas pratiques pour illustrer des éléments de posture et application du modèle.
– Les risques et opportunités pour ce type d’accompagnement influencé par ces deux cultures.

S’écarter des commandements du marché
Tout d’abord le marché du coaching. Nous allons voir qu’il s’agit d’un vaste marché, porteur d’illusions et de commandements, pas toujours compatibles avec la mise en place d’un cadre d’intervention systémique. Commençons par souligner le contexte parfois illusionniste du marché du coaching…

Le coaching ou le marché aux illusions
Depuis plusieurs années, le marché du coaching ne cesse de se développer. Pour les entreprises, comme pour les particuliers les demandes affluent et l’offre grandit.
Difficile de répertorier tout ce que peut couvrir l’activité de coaching. Il ne semble pas y avoir de limites dans les possibilités d’accompagnement dès lors qu’un soupçon de besoin peut être imaginé. Le dernier en date qui m’a marquée étant l’accompagnement des lycéens qui passent le bac ! Nous sommes ici parfois dans un marché aux illusions où toute difficulté peut/doit disparaître grâce au coaching. Il ne faut plus vivre aucun désagrément et rester en sécurité en toute circonstance.

Nous sommes face à des effets de mode, côté demande mais aussi effets de star ou effets business côté offre. Il en découle de nombreux abus. Dans l’entreprise, on a pu avoir les formations prétextes, aujourd’hui on a parfois le coaching prétexte.
Pour créer, dans ce contexte, un cadre d’intervention systémique digne de ce nom il est nécessaire de s’écarter de certains commandements pour revenir aux principes fondateurs du modèle.

S’écarter de certains commandements et revenir aux principes fondateurs de l’intervention
J’ai repris trois commandements rencontrés.

– « Sans client, tu travailleras » ou « Curieux et plaignants, tu accompagneras »
Dans l’entreprise, le commanditaire, celui qui va acheter la prestation, est rarement la personne qui va être accompagnée. On pourrait penser qu’il y a donc, a minima, deux clients potentiels. Rappelons qu’au sens Palo Altien du terme, client signifie que la personne a un problème, qu’elle est prête à agir pour cela et qu’elle a besoin de votre aide pour y arriver.
La réalité rencontrée peut être toute autre : il n’est pas rare de ne trouver que des clients au sens marchand du terme, ils veulent acheter du coaching ça oui, mais ils n’ont pas nécessairement de problème et/ ou ils ne sont pas forcément prêt à agir pour y faire face. Les enjeux du changement peuvent être minimes par rapport à l’effort à investir. Parfois il s’agit alors seulement d’une plainte ou encore d’une curiosité face à la démarche. « Je ne vois pas pourquoi on me propose cet accompagnement, mais je suis OK, on trouvera bien quelque chose d’intéressant dans la démarche ».
Tant que la personne ne s’est pas positionnée en tant que demandeur d’aide pour faire face à un problème, quelle légitimité au coaching ?

– « Sans « problème » et parfois même sans tentative de solution, tu résoudras »
Rappelons qu’on appelle problème une difficulté récurrente qui demeure malgré les tentatives de solution déployées par le client pour résoudre son problème.

Le coach n’est pas toujours appelé pour aider à résoudre un problème. Un commanditaire me dit un jour « Vous les coachs, vous voulez toujours qu’il y ait un problème. C’est incroyable ! Vous savez là il n’y en a pas, on veut juste faire un cadeau au collaborateur ».

Autre cas de figure, le coach est appelé en anticipation de la difficulté à venir. On pense que le collaborateur est apte à gérer la difficulté mais on veut lui éviter l’épreuve. On veut que ce changement se fasse sans turbulence. Nous sommes ici dans un cas de figure où les tentatives de solution n’existent pas encore puisque les difficultés ne sont pas encore vécues. Cas souvent rencontré pour des accompagnements de prise de fonction.

L’intervenant peut-il accompagner son client vers la résolution d’un problème qui n’existe pas encore ?

– « Un objectif de dépassement tu poursuivras »
Tel un coach sportif, la demande peut être d’aider le collaborateur à développer ses performances. Qu’il s’agisse d’un travail de prise de recul ou encore un travail d’entraînement, le coaching doit aider à être meilleur et ce plus facilement.

L’intervenant peut-il jouer ce rôle de contributeur au développement des performances dans l’absolu ? Lui qui a une vision non normative et une vision minimaliste pour définir avec son client l’objectif qui lui fera dire qu’un changement s’est opéré.

Résister pour mieux coacher
Ces trois commandements peuvent pousser l’intervenant loin de son cadre stratégique et éthique. C’est pourquoi, en amont du coaching lui-même, l’enjeu de l’intervenant systémique est d’explorer par delà la demande, les besoins sous-jacents. Il vérifiera alors la cohérence entre ses besoins et son positionnement. Et décidera ou non d’intervenir.

Ce travail appelé « analyse de la demande » est une compétence majeure pour la pratique du coaching. Ce savoir-faire s’appuie sur une capacité de résistance ou de freinage qui est d’autant plus paradoxale dans ce contexte d’intervention. On entend souvent parler de résistance pour le client, là nous sommes du côté de l’intervenant. Lorsqu’il est face à une demande, aussi insistante soit-elle, le coach va résister à cette demande initiale. Il va freiner la demande de changement. Alors que tout le pousse à accepter, il exerce en amont de l’intervention une force contraire. En exerçant cette résistance, il va progressivement aider à l’émergence ou non d’un besoin d’aide. C’est alors que le coach s’apparente étrangement aux Heyokas.

C’est à cette étape que je vous propose une rencontre avec ces personnages, ils sont des maîtres dans l’exercice de cette forme paradoxale de résistance.

Résister et renforcer la posture paradoxale : quand le coach s’apparente aux Heyokas
Qui sont ces personnages et comment devient-on Heyoka ?

Dans l’organisation sociale traditionnelle des Sioux Lakotas, les Heyokas sont des personnages sacrés, ils sont considérés comme des medecine men ou guérisseurs. Aussi appelés clown ou êtres contraires, ils interviennent à tous les niveaux de l’organisation sociale, économique, politique et religieuse des sociétés sioux. On faisait notamment appel à eux pour résoudre des querelles entre individus. Un membre de la société était appelé à devenir Heyoka en rêvant des êtres Tonnerre, de leurs messagers ou en les voyant se manifester.
Aujourd’hui encore, on peut rencontrer dans des cérémonies traditionnelles des personnes qui adoptent des comportements étranges…

Comment reconnaître un Heyoka ?
Les Heyokas sont des personnages paradoxaux qui ont pour caractéristique de faire tout à l’envers. Dès qu’ils reçoivent le message de la foudre qui les désigne comme heyoka, ils sont contraints d’adopter un nouvel état d’esprit et d’explorer de nouvelles façons de vivre. Ils vont alors incarner la contradiction, et agir toujours à l’opposé des autres membres de la tribu : ils vous disent au revoir pour vous dire bonjour, vivent la nuit et dorment le jour, scrutent l’horizon en regardant le sol et en tournant le dos, etc. Dans ce contexte d’absurdité, ils font preuve d’une grande humilité aidée par les moqueries de la tribu.

Quelle conception de l’existence expriment-ils ?
Les Heyokas expriment sous forme symbolique une conception particulière de l’existence.

Une conception non normative
Leurs comportements et leur état d’esprit farfelus défient les lois établies et transgressent les codes sociaux de la société. Par leurs comportements contraires à la norme, ils viennent renverser toutes les valeurs et narguer la fondation de la culture sioux. Ce faisant, les Heyokas montrent l’arbitraire de tous les modèles symboliques proposés. Cette vision non normative favorise la remise en question des lois établies et évite de figer la société par des dogmes rigides. Il n’y a pas une seule façon de vivre, de penser et d’agir, il y a plusieurs réalités et vérités.

Une conception systémique et cybernétique
Dans la société lakota, on s’intéresse en effet aux interrelations entre les êtres, au jeu entre les choses. Si les individus sont des êtres indépendants les uns des autres, ils sont aussi partie intégrante de toutes choses, de l’univers. Dans ce monde d’interdépendance, les heyokas bousculent l’ordre des rituels et démontrent qu’il n’y a pas de lien de cause à effet : on peut modifier l’ordre des rituels, utiliser des concepts opposés pour arriver au même résultat. Les Heyokas rappellent que rien n’est immuable, que tout peut changer avec le temps et avec les événements.

Quels rôles particuliers jouent-ils dans la tenue des conseils indiens ?
Cette cérémonie a lieu lorsqu’un membre de la communauté a une décision à prendre ou une question importante qu’il n’arrive pas à résoudre seul. C’est la personne en difficulté qui sollicite la tenue du conseil. Le conseil est composé par des chefs de la tribu qui vont incarner différentes facettes du monde dans leur dimension positive et négative. C’est au travers de ces facettes que sera filtrée la question posée.

Les Heyokas en amont du conseil vont soumettre le demandeur à deux épreuves.
Placés à l’entrée du cercle, ils vont faire face au demandeur et l’empêcher physiquement de rentrer. Ils vont, par un jeu corporel et émotionnel, résister à sa demande. Dans cette interaction, le demandeur va mesurer sa volonté et son engagement pour trouver une réponse au problème posé. Le rapport physique étant toujours au profit des heyokas, c’est dans une forme d’alliance et de compréhension mutuelle que peut s’opérer l’ouverture du cercle pour la résolution du problème.
Une fois entré, la deuxième épreuve concerne la formulation de la question. Les Heyokas vont reprendre la question posée, la simplifier et surtout en jouant avec les contraires, l’inverser. C’est cette question fantôme qui sera posée aux membres du conseil.

Quand on m’a raconté cette histoire, j’ai été frappée par ces missions des heyokas et leurs symboliques si proches de ce qui fondait pour moi des compétences clés pour un travail d’analyse de la demande. Me formant ensuite au modèle de Palo Alto, j’ai été surprise des liens étroits qui pouvaient se faire avec la pratique des heyokas, leur conception du monde et leur contribution à la résolution des problèmes humains.

Aujourd’hui, s’agissant de la pratique du coaching, ce rapprochement s’est accentué. Véritable influence et source d’inspiration… Intervenant avec le modèle de Palo alto, je me laisse ainsi inspirer par l’esprit des heyokas en amont et au cours des accompagnements pour alimenter ma capacité de résistance.
Comment se traduit cette double influence dans ma pratique de coaching? Quelle forme de coaching cela donne-t-il et avec quelle posture?
Nous arrivons à l’étape d’illustration…

Le coach heyoka pour quel coaching ?
Deux cas illustreront ce type d’accompagnement et la posture de résistance paradoxale qui lui est associée

Premier cas dans l’entreprise Cas François
Le DRH m’appelle et me propose de rencontrer François pour vérifier la faisabilité d’un accompagnement. Dans le dispositif, cette première rencontre doit permettre de valider la qualité relationnelle et la pertinence de l’approche par rapport au problème posé. Le cas échéant, cet entretien sert aussi à préparer la réunion (tripartite) en présence du manager qui a demandé le coaching.
Dans le cas présent, le DRH me dit que le manager souhaite aider François à prendre en compte toute la dimension managériale du poste qui vient de lui être confié, l’aider à réussir ce nouveau challenge de management et d’accompagnement d’équipe.

Je rencontre François.
Dès les premières secondes, je suis vigilante pour soigner la relation et cadrer l’objectif de notre rencontre : nous sommes là pour veiller à ce qu’il puisse trouver l’accompagnement et la personne qui lui convient. Il n’y a pas d’a priori pour moi, ce qui m’importe c’est qu’il puisse se positionner facilement sur : pense t-il avoir besoin d’aide, si oui pour quoi, et suis-je la bonne personne ? La qualité de ce démarrage est cruciale étant donnée la posture paradoxale que je vais être amenée à renforcer ensuite, avant même qu’il soit en position de client.

– Quelles sont selon vous les difficultés qui conduisent à cette proposition d’accompagnement ? Pour ne pas heurter la vision du monde, j’ai appris à ne plus parler de problème trop vite dans un monde où le règne est celui des objectifs et des solutions. Pas très heyoka, mais respectueux ! Je crois que le sujet est managérial, pour mettre en musique et structurer le management. On verra bien, ce sera toujours intéressant. Mais vous, rencontrez-vous des difficultés ou imaginez vous des possibles difficultés dans vos nouvelles fonctions ? Non je ne vois pas, c’est une continuité pour moi Dans ce contexte, vous ne semblez pas avoir besoin d’aide. Qu’est ce qui a pu faire penser à votre manager qu’un coaching vous serait utile? Je ne sais pas. Je suis curieux de savoir… À ce jour, je ne vois pas bien en quoi je pourrais vous aider. Et, à moins que votre manager ait repéré des difficultés que vous ne sauriez résoudre seul, je ne pourrais donner suite à cette demande d’accompagnement Vous voulez dire que vous allez refusez de m’accompagner ? Si vous n’avez pas besoin d’aide, si vous pouvez atteindre seul les nouveaux objectifs qui vous sont fixés, oui c’est ce que je dis. Il semble contrarié « Mais, ce sera toujours intéressant, on pourra analyser ma pratique sur la base des situations que je vais rencontrer.  Il y aura toujours matière à analyse et développement… » Je ne doute pas de la richesse de cette matière mais la perception de mon travail est différente. J’interviens si, momentanément, vous ne pouvez faire face seul à une difficulté récurrente et dans ce cas mon objectif est de vous aider au plus vite à retrouver des moyens d’agir face à la situation. Je vois… Vous allez quand même rencontrer mon manager. Oui, mais je vous propose de lui remonter ma perception actuelle et mon incertitude par rapport à vos besoins d’aide. Je remonterai également cette information à la DRH.

J’ai su par la suite que le manager de François était quelqu’un qui avait des difficultés pour exprimer clairement et en toute assertivité les insatisfactions et problèmes perçus. Le mot problème ne fait pas parti de son vocabulaire. Ma demande s’est donc faite de plus en plus insistante.
François m’a dit plus tard qu’il avait été très interpellé par mon positionnement. Effectivement, peut-être cet accompagnement n’était pas utile et cela n’allait pas de soi. Quel était le besoin réel ? Il attendait autant que moi la demande du manager.

Au démarrage de la réunion tripartite, je rappelle les objectifs et reviens de suite sur l’importance de ce que va nous dire le manager.
Il prend la parole et contre toute attente dit : – François c’est très simple, j’ai besoin que tu prennes ta fonction managériale à pleines mains, que tu lâches ton expertise technique et que tu arrêtes de parcourir le monde pour des conférences auxquelles il n’est plus prioritaire que tu sois, compte tenu de là où je t’attends aujourd’hui. Est-ce que vous voulez dire qu’aujourd’hui François ne répond pas à vos attentes. Aujourd’hui, il ne répond que partiellement.
François semble surpris et vérifie par quelques questions sa compréhension. La réponse est toute aussi précise.
Je demande au manager quelles conséquences pour François si ce challenge ne peut être relevé. Je devrais revoir ma délégation et surtout son évolution car j’ai besoin de pouvoir m’appuyer encore davantage sur François. Qu’en pensez-vous François ? J’ai bien entendu et j’avoue que je n’avais pas compris qu’il fallait que j’arrête certaines missions que je maîtrise de a à z pour me tourner vers d’autres objectifs. C’est ok pour moi, ça ne sera pas facile … mais vous allez m’aider ? dit il un peu ironique.

À ce moment de l’entretien, « le cercle s’ouvre ». La contrainte est claire, François l’a bien entendue. Vu notre premier échange, je sais que ce qui est posé peut être un problème au sens Palo Altien du terme. Je poursuis alors la démarche et finalise le cadrage de l’accompagnement : objectifs, indicateurs de résultats et enjeux de l’accompagnement.
Les objectifs suivants ont été définis : Définir, prioriser et allouer du temps aux activités de management. Développer la compétence managériale de faire évoluer l’équipe. Définir un nouvel équilibrage des actions pour adapter la présence terrain et élargir le champ d’expertise.

Après la réunion tripartite, je vois François pour une séance de 45 minutes. Il s’agit alors de vérifier sa compréhension des objectifs, sa position de client et de problématiser la contrainte posée. On retrouve ici l’application du modèle.
Toutefois, persiste tout au long de cette première séance une vigilance très forte sur la nécessité ou non pour François d’être accompagné ou non et sur quoi. Le cadrage du manager est une donnée nouvelle qui a pu suffire à la résolution du problème.

– En relisant les objectifs de l’accompagnement, quels sont ceux qui vous posent difficultés ?
Après réflexion, le message est clair « arrête des conférences, occupe toi de ton équipe » Y a–t-il dans ce message quelque chose qui serait pour vous source de difficultés ? Aujourd’hui, je suis en totale sécurité sur mon terrain et le sujet me plait. Je vais devoir être sur des sujets moins funs et on me demande de me lancer dans le vide. Est ce que le parachute va tenir ? Comment vais-je être crédible sur des sujets qui sont en dehors de mon expertise ? Qu’est ce qui vous fait dire que vous avez un parachute? Moi j’ai l’impression que vous allez sauter sans rien … Oh non, ce sont de nouveaux secteurs mais je les connais quand même ; je ne pars pas de rien. Enfin quand même, sortir de votre expertise c’est comme pour les premiers sauts, vous avez toutes les chances d’être effrayé et de tomber à l’arrivée… Oui, et le problème c’est que je ne suis pas habitué à tomber. Et encore moins si on me voit. Alors pourquoi accepter ce nouveau challenge ? Tellement de risques, et d’apprentissages qui à coup sûr vont vous mettre dans des postures inconfortables … C’est une nouvelle étape… C’est peut-être le prix à payer pour un poste futur de DG. Je trouve que le prix est considérable et même pour un poste de DG, je ne suis pas certaine que vous serez gagnant dans ce marché ? Oui, c’est vrai, il faut que je réfléchisse…Je pourrais aussi trouver d’autres challenges … Reprenons les objectifs, y a-t-il d’autres choses qui posent difficultés ?

François va reprendre chaque objectif et le traduire en actions à conduire. Pour lui, maintenant qu’il a entendu, il faut qu’il décide d’agir ou non. Il faut qu’il mesure la pertinence pour lui du nouveau challenge et des actions associées.
Je conclus : à l’issue de cette séance, nous ne savons pas quel challenge vous allez choisir, et on ne peut donc savoir si vous aurez ou non besoin de mon aide et de quelle aide le cas échéant.
Pour la fois prochaine, je vous propose de réfléchir en amont aux inconvénients associés aux différents challenges et pour celui que vous choisirez ce qui pourrait vous empêcher de réussir ?

Au début de la deuxième séance
– Où en êtes-vous ?
– Après réflexion, le challenge proposé peut être fun et il ouvre beaucoup de possibilités. J’ai défini des priorités sur lesquelles il faut que j’agisse : mes activités de management ne sont pas suffisamment visibles : je gère trop mon équipe dans mon coin ma présence terrain n’est pas assez visible quand je ne suis pas sur la scène : prendre la parole même si ce n’est pas mon domaine d’expertise je dois consacrer plus de temps aux activités essentielles de management : communication, donner du sens je dois écouter davantage les besoins de mon équipe je dois apprendre à communiquer sur le chemin qui me conduit à telle décision ou solution : je dois aller moins vite.

Sur cette base, va se poursuivre l’accompagnement. Après un nouveau tri des problèmes qui nécessiteront mon intervention, nous serons finalement amenés à travailler sur : savoir repérer et s’adapter face à différentes visions du monde / Prise de conscience de l’absence d’écoute et d’exploration Savoir se donner à soi et à l’équipe le droit à l’erreur / faire l’expérience d’erreurs ou d’objectifs non atteints Modifier un référent interne d’évaluation / Objectif minimum et encouragements Développer l’autonomie des collaborateurs / accepter la prise de risque.

Vers un assouplissement de mon positionnement en entreprise
À la lecture de ce cas, peut-être avez-vous entendu un positionnement assez puriste « si il n’y a pas de problème au sens strict du terme, alors je n’interviens pas ». Ne voulant surtout pas répondre à tout, ce que l’on trouve à une extrémité du marché, je suis partie à l’autre extrême : réduire a minima mes interventions sur une définition très étroite du modèle de Palo Alto. Ceci m’a conduite à être repérée sur la résolution de problèmes notamment en situation de crise ou en situation de souffrance au travail. Certaines entreprises ne faisant plus appel à moi pour des coaching de développement.

La préparation de cette communication m’a conduite à assouplir mon positionnement avec l’intention de semer des graines Palo Altiennes favorables à une résolution autonome des difficultés. Je me suis en effet surprise il y a quelques mois à refuser d’intervenir en amont de la prise de fonction de collaborateurs car ils n’avaient ni problème ni tentatives de solution. J’ai su que ces collaborateurs étaient aujourd’hui encore accompagnés car les difficultés se multiplient et ils suivent par ailleurs un parcours de formation spécifique qui doit également les soutenir. Je ne suis pas sûre qu’ils avaient besoin de tout cela … Il est donc parfois nécessaire au démarrage de l’intervention de travailler pour l’atteinte d’objectifs et sans tentatives de solutions. Dans ce cas, on peut aider alors la personne à aller par elle-même expérimenter et revenir avec ses difficultés éventuelles. Celles-ci peuvent être légitimées et l’intervenant n’accompagnera la personne que sur celles pour lesquelles elle pense avoir besoin d’aide.

Pour illustrer ce type d’accompagnement et les résultats associés : le cas de Caroline, pris dans le cadre des consultations privées
Je reçois Caroline Qu’est ce qui vous amène ? J’ai besoin d’un coach, je manque de confiance en moi, j’ai besoin d’être rassurée, de pouvoir prendre du recul sur mon travail. Comment expliquez-vous cette situation ? C’est la première année où je travaille et je me mets beaucoup de pression, je doute beaucoup de la qualité de mon travail, j’ai toujours besoin d’un avis extérieur et j’ai tendance à me sous-évaluer. Cela concerne t-il d’autres contextes que le travail. Oh oui, pour la pression, c’était aussi comme ça pour les études, mais j’avais besoin de ça pour préparer les examens et puis aussi pour créer. En fait, ce que je vis aujourd’hui est démultiplié : peur de ne pas être à la hauteur, peur de me tromper, peur de sous-évaluer mon travail.

Caroline m’explique qu’elle est designer, qu’elle a fait les plus grandes écoles du parcours et qu’aujourd’hui elle est entrée dans l’une des meilleures agences. C’est au moment des appels d’offres que son doute et sa pression sont au maximum, elle ne sait pas alors évaluer sa prestation. Sera-t-elle choisie ou non ? Elle aurait sans doute pu mieux faire. Quand la pression apparaît, elle la cache, elle fait comme si ne rien était. Et elle respire, essaye de se détendre. Ça ne marche pas toujours, mais son entourage ne le voit pas, alors ça va.

Plus elle me parle et plus j’ai des difficultés pour comprendre son « problème ». Comment cette jeune femme brillante toujours sur le qui vive pour être au meilleur de sa créativité pourrait-elle vivre sans pression et sans doute sur la qualité de son travail. D’autant que pour elle ce « doute sert à garder les pieds sur terre et préserver de l’humilité dans un milieu où c’est une denrée rare » et la pression est nécessaire pour stimuler sa créativité.

– Je ne suis pas sûre d’avoir bien compris votre problème : dans un contexte de concurrence acharnée où vous n’êtes jamais assurée de rien quant aux résultats de vos créations aussi brillantes ou désastreuses soient-elles, vous êtes toujours à deux doigts de passer de la reconnaissance de votre génie à la chute du piédestal. Et là votre difficulté est de ne pas réussir à rester, très zen, détendue souriante, sûre de vous et prête à la réussite comme à l’échec ? .
– Elle éclate de rire. C’est un peu ça. Pas très réaliste ?
– Pas très, mais surtout, si vous y parvenez, ça serait inquiétant, comment resteriez vous en vigilance si la pression disparaissait ? D’ailleurs, en cherchant à la réduire, vous avez déjà sans doute baissé votre capacité d’alerte et réduit vos possibilités de réaction. C’est un peu comme la confiance, si vous en avez trop, vous finissez par prendre des risques démesurés pour lesquels vous n’êtes pas prête. Aujourd’hui, vous prenez peut-être beaucoup de risques par rapport à vos capacités … Et vos peurs traduisent peut-être cette inadéquation.
Si vous cherchez un coach pour vous rassurer, je ne vais pas être la bonne personne. Je ne peux vous aider de cette façon. Car plus vous serez rassurée et plus votre vigilance risque de baisser. Je ne peux pas vous aider en vous rassurant et ce que je serais amenée à vous demander serait sans doute trop difficile, peut-être même inquiétant.
– Ce serait quoi?
– Pour savoir précisément où sont vos difficultés actuelles, il serait nécessaire d’aller au bout de la pression sans chercher à la minimiser ; au contraire repérer tout ce qui déclenche, aggrave la pression. Et même chose pour le doute. Quels sont les messages derrière. Vous voyez assez inquiétant…
– Oui, je vois… en fait vous me dites que je ne mesure pas assez les risques. Je vais être attentive.

Deuxième séance un mois plus tard…
Caroline démarre la séance :
– Depuis la dernière fois, ma réflexion a évolué. J’ai ressenti très peu de pression ces derniers temps .Je ne me suis jamais sentie démunie comme je pouvais l’être. Juste un peu d’angoisse liée à la compétition ou encore à une forme d’inconnu. Vous savez je démarre juste mon activité professionnelle, c’est aussi le lot d’une période de transition entre la vie étudiante et la vie professionnelle. D’une manière générale, j’ai pris les choses de manière plus cool. J’ai aussi réalisé que je prenais trop de choses sur moi alors que tout ne dépend pas de moi. Je me suis plus appuyée sur un travail d’équipe.
– C’est un peu beaucoup tout cela. Il va falloir rester sur vos gardes car il y a de grands risques que vous retrouviez sur votre chemin des pressions plus fortes. Avez-vous repéré quel levier vous permettrait de vivre différemment la pression ou le doute ?
– Oui, ce qui est fondamental, c’est que je reste en contact avec le doute ou la pression, que je ne l’évite pas mais que je l’interroge. Je n’aurais peut-être pas toujours la réponse mais ces dernières semaines, ça a marché.
– Oui, mais vous n’aviez pas beaucoup de pression …
– C’est vrai mais je suis certaine que le mécanisme sera le même avec plus de pression. Il faut juste que j’accepte cet état et que je repère le message
– Si l’intensité est forte, comment imaginez-vous faire pour rester en contact avec cet état si difficile ?
– Il faudra aussi que j’ose dire que c’est difficile. Exprimer ce qui se passe et ne pas essayer de le cacher. C’est pareil pour les erreurs, ça me met beaucoup de la pression de devoir dissimuler une erreur. La dernière fois j’ai réussi à le dire et demander de l’aide et ensuite j’étais bien….

La séance s’est terminée en vérifiant les inconvénients à dire les erreurs et montrer davantage dans le milieu où elle travaille. Caroline a souhaité programmer deux mois plus tard une séance pour faire le bilan des nouvelles expérimentations. Pour la petite histoire, Caroline a totalement oublié cette séance, elle m’a laissé un message désolé pour cet oubli. Moi, j’étais plutôt satisfaite : elle n’avait plus besoin de cette rencontre.

Nous arrivons à la fin de cette communication… Pour retracer les principales étapes du chemin parcouru avec vous, nous sommes partis du marché du coaching, de ses commandements assez menaçants pour la mise en place d’un cadre d’intervention stratégique. Dans ce contexte, nous avons souligné l’importance du travail de l’analyse de la demande qui s’appuie sur une forte capacité de résistance du coach. Nous avons alors rencontré des maîtres en la matière en présence des heyokas. Progressivement se sont précisés le positionnement du coach heyoka et son application du modèle de Palo Alto. Les cas pratiques venant de nous donner une illustration concrète de son type d’accompagnement.

Pour conclure cette intervention, je parlerai des risques ou plutôt des points de vigilance et des opportunités associées à ce mode de coaching.

Points de vigilances et opportunités associées à un coaching Palo Altien version heyoka
Risques et points de vigilance

Soigner la relation pour ne pas blesser
On sait que le paradoxe est à manier avec grande précaution, la personne accompagnée doit être certaine que ce que vous faites c’est pour l’aider. Dans l’activité de coaching, la posture de l’Heyoka peut être provocante et créer de la méfiance. La relation doit être soignée : respect et considération de la personne, adoption de sa vision du monde : elle doit sentir une intention très positive dès les premiers contacts. Maintenir une pensée consciente très empathique. Et pour préserver la confiance, expliquer pourquoi on questionne en amont.

Soigner l’écoute et préserver une posture de non vouloir pour ne pas influencer la demande
La posture de non-vouloir est une forme de résistance face à la demande initiale d’intervention. En ne voulant pas, on résiste à la demande du client, à la demande sociale et aussi à l’envie pour l’autre. Si la pratique du coaching est pour moi indissociable de cette posture, il faut rester vigilant sur la fonction première de la résistance : vérifier l’existence d’un besoin d’accompagnement et d’une demande d’aide et aider à la spécifier le cas échéant. Et ne rien vouloir d’autre.

Rester dans le non-vouloir, c’est résister à aller vers un type de changement particulier, on veut aider d’une manière générale mais on ne veut rien en particulier.

Assouplir en restant ferme pour préserver l’éthique de l’intervention
Si on doit élargir la définition du terme  « problème » et assouplir le positionnement initial, celui-ci restera délimité par les visées éthiques suivantes : Permettre à l’individu de trouver son propre modèle de fonctionnement en adoptant une vision systémique. Redonner une place à l’expérience et à l’apprentissage autonome face à l’erreur. Donner ainsi à l’individu, la possibilité de faire ses tentatives, seul, et n’agir qu’ensuite, là où il y a demande d’aide (qu’est ce qui vous empêche d’atteindre l’objectif seul ?). Si il y a contrainte, la clarifier et faire émerger le problème là où il se pose et là où il doit être résolu. Aider ainsi l’individu à se positionner face à une demande de changement contraignante : volonté ou non de changer, besoin d’aide ou non et sur quoi ? En parallèle à ces points de vigilance, de précieuses opportunités me confortent sur la voie d’un accompagnement heyoka malgré les difficultés rencontrées.

Opportunités
Cette voie permet de : Faire émerger les « vrais problèmes humains dans l’entreprise » En ne se jetant pas sur la demande initiale, le questionnement amont permet d’identifier plus largement où sont les problèmes. Il évite l’intervention prétexte et quelque part il met les pieds dans le plat comme on dit. Il peut conduire l’entreprise à agir au bon niveau.

Redonner la place à l’individu, ses affects, ses valeurs au cœur de l’accompagnement
Dans un monde où règne la rationalité économique, cette forme d’accompagnement redonne à l’individu sa dimension humaine : une dimension qui intègre joie et tristesse, bonheur et souffrance, réussite et échec. Un être humain qui a le droit de ne pas être performant, d’avoir des difficultés, d’avoir du temps pour expérimenter et chercher ses solutions…

Cette forme d’accompagnement laisse l’être humain trouver ses ressources et constater qu’il peut se passer de nous !

© S. Dorchies/Paradoxes

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