Thérapie Brève et Intervention Systémiques (modèle de Palo Alto)

Communication à la XIVème Journée de Rencontre de  Paradoxe, 17 octobre 2015  VF
Karin SCHLANGER psychologue, directrice du Centre de Thérapie Brève du Mental Research Institute de Palo Alto (Californie)
(Traduction Pascal Jacquelin )

Toute interaction constitue un acte de communication parce qu’il est impossible pour un être humain de ne PAS communiquer. Puisque nous sommes prisonniers des mots, pourquoi ne pas optimiser l’efficacité de nos paroles et favoriser ainsi un changement positif ? Nous nous intéresserons à l’implicite des messages, à la communication positive et nous verrons comment exercer une influence bienveillante en vue de résoudre les problèmes qui nous sont exposés dans divers contextes.

—–

Si je veux vous démontrer que « les mots sont magiques s’ils sont utilisés de manière stratégique », je dois m’appliquer ce principe à moi-même. Commençons par poser le cadre : quel est notre mode de pensée et que recherchons-nous ? Voici donc un aperçu du modèle résolution de problème qui est centré… sur les problèmes : on fait appel à nous en tant que consultants ou coaches quand quelque chose ne marche PAS ou quand il y a un risque, réel ou imaginé, que quelque chose ne marche PAS. Les problèmes, dans notre modèle, se produisent dans un contexte : un contexte HUMAIN. Et c’est précisément de ce contexte qu’émergera la solution.
Bien sûr une situation ou un problème appelle une solution différente selon le moment et le contexte. Mais nous sommes de simples humains et notre « construction de la réalité » repose sur notre bon sens. Du coup, nous avons tendance à appliquer une solution qui a fonctionné non seulement au même type de problèmes mais également à des problèmes qui semblent similaires. C’est comme ça que, involontairement, nous nous piégeons nous-mêmes et nous ne savons pas comment nous en sortir. Pour y voir plus clair, nous devons nous confronter à des situations complexes, pas forcément en les simplifiant (parce que les interactions humaines sont par définition toujours complexes) mais en étant capables d’employer des stratégies (ou des techniques, pour utiliser le terme choisi par d’autres modèles). Ces stratégies permettent de VOIR la situation dans sa version simplifiée ; de réduire la complexité et d’obtenir quelque chose d’utilisable : plus simple, plus clair et par conséquent modifiable. Comment nous y prenons-nous ?
La science analyse toutes les tentatives qui échouent dans la poursuite d’un objectif ; elle distingue ce qui va échouer à nouveau de ce qui va réussir. Ce processus permet aux scientifiques, lentement mais sûrement, de découvrir ce qui fonctionne la plupart du temps.

Il y a une histoire connue que vous avez certainement déjà entendue concernant « la réussite et l’échec ». On raconte que Thomas Edison a échoué plus de 700 fois en tentant de créer l’ampoule électrique. Interrogé à ce sujet, Edison aurait répondu : « Je n’ai pas échoué 700 fois. J’ai réussi à découvrir 700 manières différentes de ne pas produire une ampoule électrique. » L’idée, c’est que, même si on essaie et qu’on échoue, ça ne veut pas dire qu’on n’a rien appris. Nous ne tiendrons pas compte du fait que Thomas Edison n’a pas inventé l’ampoule électrique : elle existait déjà depuis 50 ans avant le brevet d’Edison. Hiram Maxim et Joseph Swan, entre autres, ont joué un rôle primordial. Edison a su exploiter le contexte ; il a été le premier à déposer le brevet.

L’invention est un processus social très complexe. Edison participait à une course très compétitive et il a emprunté, pour ne pas dire volé, des idées d’autres inventeurs qui travaillaient également sur la lampe à incandescence. Ce qui a permis sa réussite, c’est qu’il n’était pas un inventeur isolé ; il a formé la première équipe de recherche et développement à Menlo Park, dans le New Jersey. ((The Age of Edison: Electric light and the invention of modern America, Ernest Freeberg, Penguin, 2014. )
Je pourrais aussi ouvrir une parenthèse et parler de l’importance accordée à l’individuel par rapport au collectif aux Etats-Unis, ou parler de la devise « le temps, c’est de l’argent ». Ce n’est pas par hasard si le modèle de résolution de problème est né aux Etats-Unis. Mais ça n’empêche pas ce modèle de fonctionner aussi dans d’autres pays.

Donc je laisse de côté pour le moment la « définition du problème ». Intéressons-nous au concept de « tentatives de solution » en tant que réducteur de complexité : c’est ça qui rend le concept si précieux. Ce concept est important parce que les tentatives de solutions sont faciles à remarquer : il faut juste bien observer et bien écouter. Cela nous arrive à tous, tout le temps. Je me trouve confrontée à un problème (je dois écrire cette intervention, par exemple) et je peux essayer de déterminer comment j’ai tenté de le résoudre (au moment où j’écris ce texte) et je vois tout ce qui m’a conduite à l’échec :

  • Mañana.
  • J’ai tout mon temps
  • Je vais le faire.
  • Ou en réponse à Irène et Chantal: « J’ai presque fini », un trop grand nombre de fois.

C’est le même processus qu’on applique lors d’une réunion de travail : une fois qu’on a clairement déterminé le but recherché, on peut passer à l’étape suivante : qu’est-ce qui a été tenté pour atteindre ce but mais qui a échoué ? Ce qui est bien avec le concept des tentatives de solution, c’est qu’il est facile de trouver ce qui a échoué, ce qui avait été tenté avec les meilleures intentions mais qui n’a pas marché. Très souvent, le piège dans la recherche d’une solution à un problème courant est de trop réfléchir et de tourner en rond. Nous avons tendance à nous laisser piéger par la complexité : plus j’essaie de trouver une solution, plus je m’enfonce. Parfois la recherche d’une solution exige de la créativité : ça peut se produire de manière spontanée. En tant qu’agents du changement, nous ne rencontrerons jamais cette situation dans nos bureaux parce qu’une solution a été trouvée. En définissant les tentatives de solutions, on structure et on organise le processus qui permettra de trouver « comme par hasard » la « différence qui fera la différence », pour citer Gregory Bateson.

Nous intervenons donc quand un système rencontre un problème et retente sans arrêt la même solution.

Pour faire allusion à mon domaine professionnel d’origine, tout le monde connaît la définition de la folie selon Einstein : refaire sans cesse la même chose en s’attendant à des résultats différents : en thérapie traditionnelle, c’est quand un client psychotique « résiste » au changement ou quand une famille nie qu’elle ait besoin de changer. Il y a des tas de façons d’EXPLIQUER pourquoi une famille ou un client ne change pas et devient « résistant au changement ». De notre point de vue, c’est plus probablement que le consultant qui doit résoudre le problème n’écoute pas assez attentivement ce qui lui est dit : comment fonctionne cette famille ? Qu’est-ce qui est important pour elle ? Donc, le système problématique est « accusé » de ne pas changer malgré les excellentes tentatives du consultant. Mais on oublie que c’est le changement qu’on essaie de mettre en œuvre qui ne convient pas au système.

Je supervisais récemment une situation complexe. Ma collègue travaillait avec deux familles différentes mais qui sont liées. La première famille se compose d’une mère, Mary, et de son second époux, Harry. Son premier époux Bill, avec qui elle a eu 3 enfants, est en prison. Harry, de son côté, a deux filles qu’il a eues avec son ex-femme, Anne. Anne a été diagnostiquée bipolaire et schizophrène. Mary et Harry ont également eu un enfant ensemble. La seconde famille (d’une certaine manière inventée par ma collègue avec les meilleures intentions) se compose de Harry, Anne (son ex-femme) et leurs deux filles. Ces deux filles vivent surtout avec leur mère mais elles passent du temps chez Mary et Harry avec les quatre autres enfants au moins deux fois par mois. Les deux mères ont été envoyées en thérapie séparément parce qu’elles ont essayé de contacter les services de protection de l’enfance qui refusent de s’impliquer. La situation progresse de manière positive pour la famille de Mary : quand ils sont venus en thérapie pour la première séance, une des ainées s’automutilait et avait un comportement très rebelle. La situation s’est bien améliorée mais ma collègue, lors de la supervision, me présente une situation dans laquelle Mary n’arrive pas à accepter le fait que les choses vont mieux. Elle vient à chaque séance et se plaint de quelque chose de nouveau, d’un enfant ou d’un autre. Elle est très stressée et, du coup, elle explose et elle crie sur tout le monde dans la famille. Le mari, le pauvre, ne sait plus quoi faire. Donc j’ai demandé : « Qu’as-tu fait ? ». Ce à quoi ma collègue me répond le plus honnêtement du monde : « J’essaie de lui montrer que les choses s’améliorent mais elle refuse de m’entendre ! Il faut toujours qu’elle me dise que tout va mal. Elle cherche toujours à savoir ce qui se dit durant mes séances avec son mari et son ex-femme. Je lui répète sans cesse qu’elle ne peut pas poser ces questions et que je n’y répondrai pas. » Quand je lui ai fait remarquer que peut-être elle s’opposait à Mary, ma collègue n’a pas tout de suite vu les choses sous cet angle. Par « s’opposer », je veux dire qu’elle n’utilisait pas une communication stratégique : ce que Mary a besoin d’entendre de ta part, c’est que tu la comprends, que tu es de son côté, que tu entends bien que c’est difficile pour ELLE. Comment peux-tu t’y prendre ? Tu pourrais commencer par lui demander : « Les choses ont été très difficiles cette semaine ? » Quelle que soit sa réponse, ce sera une réponse juste. Si elle dit « ça ne s’est pas si mal passé », alors ma collègue peut répondre « comment ça se fait ? ». Et ensuite toute explication fournie par Mary sera dans la catégorie « pas si mal ». Si elle choisit de dire « ça a été horrible », ma collègue peut soit dire qu’elle est contente que les choses ne se soient pas améliorées trop rapidement OU demander de préciser ce qui amène Mary a parler de ce qui ne va pas. Mais cette fois, ce sera à la demande du thérapeute. Dans chacune de ces situations, le message de ma collègue est « je vous entends quand vous me dites que ça se passe mal », plutôt que d’essayer de convaincre Mary que ça va moins mal qu’avant. En plus, j’ai suggéré à ma collègue qu’elle ne fasse plus de séances avec Harry, Anne, son ex-femme, et leurs filles parce que, en faisant cela, elle indique implicitement qu’elle les considère toujours comme une famille, et, du coup, Mary se sent encore moins soutenue et comprise. Il reste encore beaucoup de travail à faire avec Anne et ses deux filles pour interrompre les cycles de ce système. Donc, en prenant une vue plus large et en considérant les deux familles comme une seule famille (et c’est effectivement une seule famille), ma collègue a pu utiliser la communication plus efficacement.

Mais reprenons l’analogie de la réunion de travail.
La première étape consiste toujours à identifier le problème, de manière aussi concrète que possible.
La seconde étape consiste à définir le changement qu’on recherche pour la situation : un changement concret, limité et souhaitable. On pourrait aussi dire qu’on fixe un objectif réaliste. Mine de rien, avec ce travail nous sommes déjà en train de réduire le degré de complexité pour définir quelque chose qui puisse être changé : c’est une première avancée.
La troisième étape, c’est l’énumération des solutions pour faire changer la situation.  J’ouvre à nouveau une parenthèse pour repréciser la différence entre les solutions, c’est à dire tout ce qui a réussi à produire un changement dans une situation difficile, et les tentatives de solutions, terme inventé par les équipes du MRI en 1966, qui correspondent à tout ce qui a été tenté en vue d’un changement mais en vain : l’objectif n’a donc pas été atteint. Il est inutile de préciser « échec des tentatives de solutions », comme le font certains de nos collègues européens : si une solution marche, on ne parle pas de tentative, une tentative impliquant, dans notre modèle, un échec.

Parfois nous trouvons des choses qui ont fonctionné par le passé mais qui, pour une raison quelconque, ont cessé d’être efficaces; ou des choses qui n’ont pas été appliquées de manière systématique ; ou encore des choses qui ont été abandonnées parce que l’objectif a bien été atteint mais qu’il est jugé insatisfaisant et on ne s’est pas posé la question de savoir : « et maintenant qu’est-ce qui se passe ? ». Ces solutions sont bien des solutions, ce ne sont pas des tentatives de solutions et elles doivent être envisagées à nouveau. Peut-être que ces solutions étaient adaptées à un contexte spécifique dans le passé mais que le contexte du problème actuel est différent. Prenons l’exemple d’un élève qui rencontre des difficultés avec son enseignant de CM2. On a fait appel à quelqu’un pour résoudre le problème à l’époque : le problème a été analysé et résolu. Mais maintenant ce même élève entre au collège, en 6ème, donc dans un établissement différent avec de nouveaux professeurs : le contexte a donc changé. Il est probable que l’élève tente à nouveau d’appliquer des solutions qui avaient fonctionné au CM2. Mais le contexte est différent et ces solutions deviennent donc des tentatives de solutions. Il faudra faire à nouveau appel à un consultant pour résoudre le problème. Très probablement ce qui sera mis en œuvre aura un effet plus rapide parce que l’élève a déjà une expérience de réussite à son actif : la tentative de solution doit être adaptée pour qu’elle redevienne une solution. Il y a trois tactiques pour atteindre ce résultat :

  1. Travailler avec l’élève.
  2. Préparer l’environnement (l’école ou le professeur dans ce cas) pour qu’il reste attentif sur le long terme au cycle problème / tentatives de solutions.
  3. Travailler sur l’interaction dans son contexte. Toujours !

La plupart des systèmes, malheureusement, sont entraînés à ignorer les éléments mineurs qui pourraient être changés. En Californie, il semble y avoir une allergie à parler de « problèmes » en tant que tels. On utilise de nombreux euphémismes : les « problématiques » et autres « challenges » sont traités de manière « innovante » sans produire le résultat recherché. C’est là peut-être une tendance dangereuse : on ne voit pas l’évidence. Il faut considérer un problème comme tel et essayer de le changer, plutôt que de l’ignorer et de mettre en œuvre des changements périphériques encore plus limités qui ne traitent pas du tout ce problème. Des protocoles sont mis en place pour simplifier les réponses : il devient donc impossible de s’adapter à une situation spécifique. Par exemple, un employé est placé devant un ordinateur, il reçoit des appels et comme il doit poser toute une série de questions, il n’écoute pas ce que lui demandent les personnes au téléphone. Une célèbre mutuelle de santé en Californie a retiré son service d’infirmières conseils des hôpitaux pour le centraliser sur une plateforme téléphonique dans une autre ville. Avant, les patients appelaient l’infirmière avec une question rapide et l’infirmière, qui connaissait généralement ses patients, pouvait donner des réponses brèves et efficaces. Mais maintenant, le patient qui appelle doit attendre très longtemps avant que son appel soit traité par une infirmière de triage. ET comme cette infirmière ne sait pas à qui elle parle, elle suit son protocole de questions qui énervent le patient. Le patient attend une réponse et les questions nuisent à l’interaction. Mais l’infirmière est obligée de poser les questions même si elle connaît les réponses. Prenons un exemple : un patient asthmatique appelle pour renouveler son ordonnance. Une des questions que l’infirmière est obligée de poser dès qu’elle entend le mot « asthme », c’est : « vos difficultés respiratoires vous empêchent-elles de tenir une conversation ? » Sans commentaire !

On pourrait comparer cette conversation à un échange avec un client psychotique en plein délire : la résistance au changement des psychotiques est extrême. Plus le système est grand, plus il sera structuré et rigide et plus il résistera au changement même si les choses vont mal. Il va donc falloir inverser la situation : le responsable de la mutuelle doit décider qu’il est plus rentable d’avoir une infirmière qui connaît les patients pour répondre au téléphone. Cela réduirait la durée des conversations et augmenterait la satisfaction des patients.
C’est dans ce genre de situation que la communication stratégique est utile :

  1. On définit le problème.
  2. On s’accorde sur les objectifs.
  3. On liste les tentatives de solutions. Encore une fois, on veut voir s’il y a eu des solutions et vérifier si elles sont toujours valables dans un contexte différent. Comme dans l’exemple de l’élève du CM2 qui passe en 6ème.

Définir un problème et le trouver « évident » est très dangereux. Si le problème c’est simplement « l’élève », il n’y a plus rien à dire.
Mais, justement, il y a généralement BEAUCOUP à dire ! Dick Fisch disait tout le temps que prendre son temps pour définir un problème, c’est toujours un gain de temps pour la recherche d’une solution. Un peu comme Napoléon qui demandait qu’on l’habille lentement quand il était pressé. Cet élève a-t-il des problèmes avec UN seul de ses quatre professeurs ? A-t-il des problèmes avec les autres élèves dans la cour de récréation ? A-t-il des problèmes pour s’adapter aux règles de l’école ? A-t-il réussi à se faire des camarades ? Dans quel contexte l’élève a-t-il des difficultés avec cette enseignante ? Quand elle lui donne du temps libre ? Quand il doit faire un travail de lecture ? Plus on essaie de savoir quand et comment le problème se produit, plus on a d’informations pour mettre en œuvre un changement positif. Une autre variable importante dans cette « construction du problème », c’est l’enseignante : comment gère-t-elle la situation ?   Quelle est son attitude envers les minorités ethniques ? La situation serait très différente dans une école où la majorité des élèves viendraient de milieux plus favorisés, avec des parents qui ont fait des études, qui soutiennent leurs enfants et qui acceptent les exigences de l’école. S’il s’agit d’un élève issu d’une minorité dans ce système, la réaction du système au comportement déviant sera probablement bien moins tolérante et la situation va rapidement empirer. L’élève est très vite étiqueté et on fait moins d’efforts pour régler son problème parce qu’on se dit : « il n’y a rien à en tirer. »     Si, en revanche, il s’agit d’une enseignante jeune, issue de la classe moyenne, peut-être blanche, travaillant dans une école à fort pourcentage de minorités, le problème peut s’aggraver d’une manière différente. Par manque d’expérience, la jeune enseignante va tolérer le comportement de l’élève trop longtemps parce qu’elle se dit :

  1. Ce pauvre élève est moins favorisé que moi ;
  2. Je ne peux pas discipliner cet élève parce que nous ne sommes pas de la même ethnie et je n’ai donc aucune crédibilité ;
  3. Le système (la culture de l’école) me fait comprendre que je dois me débrouiller avec cet élève tout en m’occupant des 30 autres élèves de la classe parce que… Il y a tout un tas de raisons pour lesquelles cette enseignante se dit qu’elle devrait être tolérante envers l’élève. Et l’élève va profiter de ça pour ne rien changer à son comportement.

L’injustice est une explication et avec ce point de vue pour interpréter le conflit à l’école il est peu probable que les questions les plus difficiles soient posées. Et la définition du problème, qui est si cruciale pour trouver une solution, restera vague et le problème sera donc plus difficile à résoudre.

Mon fils cadet est actuellement à Copenhague et ça me fait penser à un conte danois : Les habits neufs de l’empereur. C’est une courte histoire de Hans Christian Andersen : deux charlatans promettent à l’empereur de lui tisser un habit qui est invisible pour les niais et les incapables. Quand l’empereur se présente devant ses sujets dans ses habits neufs, personne n’ose dire qu’il est nu sauf un enfant qui s’écrie : « mais il ne porte rien du tout ! ».
Que faisons-nous précisément ? Paul Watzlawick un jour a dit : « nous sommes comme des mécaniciens et nous débloquons des mécanismes qui ne fonctionnent pas bien. Nous ne trouvons rien qui ne soit déjà là. Nous n’inventons pas les organisations : on nous appelle pour les débloquer mais nous ne les créons pas. Tout ce que nous faisons, c’est aider les personnes et les organisations à fonctionner à nouveau comme quand il n’y avait pas de problème ou à trouver un moyen de fonctionner mieux. Le but d’une intervention, c’est d’amener la personne à trouver comment elle peut changer et résoudre un problème plutôt que de lui donner la solution. D’une certaine manière, dans notre modèle, nous évitons ce que d’autres modèles appellent la résistance au changement et nous nous assurons que la personne a l’impression d’être, elle-même, à l’origine du changement et de la solution. La démarche de résolution de problème du MRI, c’est « leading from behind » : mener en arrière-plan.
C’est là que la communication stratégique intervient. Comment posons-nous des questions ? Quelles questions posons-nous ? Comment reformulons-nous ce que dit le client pour qu’il se sente compris rapidement ? Maniabilité. Amener la personne à voir le problème différemment, ce qui peut ensuite lui permettre d’agir différemment et de trouver une solution.

Tout comme nous définissons un problème en faisant attention aux détails, nous restons vigilants pour pouvoir définir tout aussi méticuleusement le changement avant même qu’il n’arrive. En principe, on peut parler de différentes étapes du changement :

On commence petit, en partant du plus petit changement possible. Si nous aidons le client à mettre en place ces petits changements initiaux, le processus aura un effet boule de neige et le changement sera réalisé plus rapidement que si ces étapes initiales n’avaient pas été respectées. C’est particulièrement important de les mettre en place quand nous savons, en notre qualité d’agents du changement, qu’il y aura une forte résistance au changement.

a)     comment peut-on faire empirer les choses ? Pousser un peu dans la direction opposée au changement qu’on recherche : cela permet au « patient » de commencer à entrevoir des alternatives.

b)     La baguette magique : si vous vous leviez demain et que le problème avait disparu, que feriez-vous différemment ? En quoi les autres se comporteraient-ils différemment envers vous ? Steve De Shazer. Ces choses que le client apporte, peuvent être prescrites pour que les clients les pratiquent à petite dose. Il est moins probable que le client conteste quelque chose qu’il aura lui-même suggéré. « Faire comme si » : suggestion hypnotique utilisée par Watzlawick. Effet papillon : un tout petit changement engendrera un très grand changement.

c)     Nous avons fait des suggestions et le client accepte de réaliser les tâches puis il revient et il a oublié ou il n’a pas eu le temps ou il n’y a pas vraiment pensé une fois à la maison ou il savait que ça ne fonctionnerait pas ; nous utiliserons ce que nous appelons les « inconvénients au changement ». Comme vous l’aurez compris, nous ne nous intéressons pas au pourquoi du problème, à l’origine du problème MAIS nous ferons croire, dans cette situation, que nous cherchons à comprendre pourquoi le problème se produit maintenant. La raison principale qu’a l’agent du changement d’adopter cette posture est de permettre au client, qui n’a pas fait son travail, de décider de bouger parce que le consultant est, d’un seul coup, devenu une personne avec BEAUCOUP de temps et beaucoup moins motivé que le client à faire bouger les choses. « Je ne voudrais pas que vous vous lanciez dans un changement sans voir tous les inconvénients qui en résulteraient ! Il ne faudrait pas que vous vous précipitiez dans une direction et que ce soit la mauvaise. » C’est une stratégie utile quand on sent que l’on est trop impatient, qu’on parle plus que notre client, qui lui est assis en arrière les bras croisés et fait non de la tête. Si vous vous apercevez de cette situation, il faut vous reprendre très rapidement et faire machine arrière. En général, le consultant ne doit pas donner l’impression de travailler plus que son client. Ce n’est bien sûr qu’une impression ; en réalité nous travaillons énormément en prenant en compte de nombreuses variables, notamment les acquiescements du client qui montre qu’il est d’accord avec ce que nous lui disons ou ce que nous lui suggérons ; nous devons penser à la manière dont nous allons incorporer ce que le client nous dit dans notre suggestion suivante. Tout ça se passe dans notre tête pendant que nous gardons le sourire aux lèvres. En tant que consultant, nous devons tout à la fois travailler énormément, ne pas en donner l’impression et inviter notre client à travailler avec nous. Sinon, comme pour l’aviron, si on est seul à ramer, on tourne en rond ; ce serait donc épuisant pour nous et pas très utile pour le client.

Ce processus qui consiste à observer constamment pour voir si le client réagit de manière positive est l’apport de l’hypnose Ericksonienne. C’est la plus grande influence de Milton Erickson sur le modèle de résolution de problème du MRI.

Le pouvoir des mots
L’influence la plus importante sur notre modèle en termes d’utilisation du langage vient de Milton Erickson et de son travail sur l’hypnose sans transe. Je vais vous présenter différentes manières d’appliquer ces idées à des interactions diverses.
Soyons très clairs : la communication stratégique par définition vise à influencer le comportement de la personne avec laquelle nous communiquons. Pour que la communication soit stratégique, il est important de créer un cadre qui inspire confiance. Nous nous sommes aperçus que c’est possible en réutilisant les mots du client. Bien sûr la confiance s’instaure à partir du moment où le client vous demande de l’aide : c’est vous l’expert. Il est de votre responsabilité d’utiliser cette confiance avec déontologie. Ce sera votre travail de faire passer votre client d’un point A, la situation inconfortable qui lui fait demander de l’aide, à un point B, qui doit être adapté au client et qui doit présenter la situation sous un jour différent.

Je travaille actuellement avec un client qui s’est récemment séparé de sa femme, avec qui il vivait depuis 15 ans. Il a toujours pris les décisions dans la relation et il se sent responsable du destin de sa femme et de leurs deux enfants. C’est un homme qui a fait des études et pour qui la logique est une seconde nature. Et sa femme, bien sûr, parle le langage des sentiments : « ne me laisse pas maintenant », « je souffre de dépression et je ne suis pas dans mon assiette et c’est pour ça que je te traite si mal. » Ses tentatives de solutions allaient toutes dans le même sens : se préoccuper de sa femme et de ce qu’elle ressentait : il lui expliquait pourquoi la séparation était préférable (le couple se disputait tellement que le mari craignait qu’ils en viennent aux coups), ou bien il lui disait qu’elle devait s’occuper de ses enfants et que ce serait bien pour elle.
Parce qu’il est surtout rationnel et que c’est un homme d’affaires, j’ai rapidement réussi à le convaincre, sans trop vendre l’idée, que se préoccuper d’elle, c’était condescendant parce qu’il lui disait, probablement pas pour la première fois, ce qui était bien pour elle. Même après la séparation, il continue de contrôler la vie de sa femme en lui disant ce qu’elle doit faire. Je lui ai donc suggéré, au contraire, d’assumer la responsabilité de la situation actuelle et d’écrire un mot à sa femme pour lui dire qu’il croyait qu’elle avait la force et la capacité de se « sortir de ce trou » par elle-même et pour elle-même. J’ai également suggéré, s’il pensait que ça serait utile, que l’un et l’autre s’engagent à ne pas entamer une relation sérieuse avec quiconque. J’ai utilisé ses mots « dépression », « s’occuper de » et je les ai transformé en : « redonner le contrôle à votre partenaire », « force » et « vous permettre à tous les deux de continuer votre chemin ».
Notez bien que je ne suis pas une marieuse donc, qu’ils se marient ou non passe après le fait de leur donner des choix. Je vous dirai dans 6 mois s’ils se sont remis ensemble ou pas.

Un facteur important pour établir un climat de confiance est le contact visuel ; il doit être ni invasif – tout le temps – ni inexistant. Je regarde vers le bas et autour de moi et je n’établis de contact visuel intense que quand je suis prête à dire quelque chose que je veux que le client entende. Ça donne de la crédibilité à mes paroles et ça instaure la confiance.

Mettre les choses à plat. C’est une expression que j’utilise beaucoup. Quand vous écoutez ce que le client vous demande, quand vous écoutez vraiment, sans plaquer votre construction de la réalité sur ce qu’il dit, et sans « savoir à l’avance » ce dont il devrait parler, vous entendrez sa demande. Pour revenir à mon client et ses problèmes de couple, une des dernières choses que je lui ai glissées lors de notre dernière séance, c’était : « Et si vous vous engagiez l’un envers l’autre à ne pas entamer de relation sérieuse dans les six mois qui viennent ? » Long silence puis il me dit : « A vrai dire, je ne pense pas que ce serait une bonne idée parce que ça la contrariera encore plus en ce moment. Elle n’a pas besoin de ça ! » J’ai souri à l’intérieur parce qu’avec ce genre de réponse je sais que j’ai touché quelque chose qui sera différent de ses tentatives de solutions. Je n’ai pas insisté pour cette première fois mais j’ai planté une graine et je reviendrai très certainement sur le sujet.

Un autre élément important de ce puzzle, c’est d’être d’accord avec le client dès que vous le pouvez; cherchez quelque chose de positif à dire. Même un agresseur sexuel – je sais que cela va faire réagir – en arrive à l’agression après avoir essayé d’autres choses ; je sais que c’est difficile à imaginer. J’hésite généralement à parler de ça à un grand groupe parce que mon expérience m’a appris que vous allez tous recadrer sous un jour positif tout ce que votre client vous dit. Ne faites surtout pas ça : ça sonne faux, et ça fait condescendant. Jeff Zeig dit qu’il faut « rendre la conversation inhabituelle » : nous voyons des choses qui sont extraordinaires. Quand on met l’éclairage sur l’exception, on ne peut plus revenir en arrière et avoir le même regard.

Vos actes et vos paroles créent des réalités et des images. J’étais récemment dans une université prestigieuse à Santiago du Chili et la directrice du département de psychologie m’a envoyé un million d’e-mails pour fixer un rendez-vous pendant que j’étais là-bas. Elle a fait venir la presse universitaire pour faire un article sur ma visite : j’étais invitée et payée (!) par une autre institution donc ça a été une surprise que tout devienne, tout à coup, si officiel. Puis elle a apporté du café brûlé dans des tasses en plastic avec des fourchettes pour le sucre. Je ne suis vraiment pas difficile et je n’ai pas la mémoire des noms mais désormais, quand un ami veut que je me souvienne du nom de cette femme, il dit  « celle qui t’a fait parler au journaliste, avec qui tu as été prise en photo et qui a servi du café dans des tasses en plastique » et je m’en souviens immédiatement.

Utilisez le langage aussi précisément que possible. De cette manière, vous communiquez pour avoir un effet sur votre interlocuteur. Il est important que le consultant donne l’impression de faire tout son possible pour être entendu par le client. C’est primordial. Prenez votre temps pour le faire. C’est pratique pour moi de ne plus parler aucune langue parfaitement ; ça me donne du temps pour faire une pause, réfléchir et dire ce que je veux dire. Cela crée un effet ; le client attend patiemment quelque chose d’important qui est pensé rien que pour lui. Il est plus susceptible de faire attention. C’est un peu comme du théâtre sauf que la pièce est jouée pour un seul spectateur. Il faut voir ça comme un cadeau : on fait un paquet cadeau pour une bonne idée qu’on pense que le client acceptera.

Il faut aussi faire attention aux « fausses » réponses : vous demandez quelque chose et le client prononce des paroles qui ne répondent pas à votre question. Presque tous les exemples que je vais vous donner paraitront évidents mais vous devez faire très attention : la réponse doit être cohérente avec votre question. « Qu’avez-vous ressenti quand votre fille vous a annoncé qu’elle était enceinte ? » « La relation a été très compliquée. » Ce sont les mots qui sont prononcés suite à votre question : ce n’est pas la réponse à votre question.

Poser une question pour pouvoir en prédire la réponse donne au consultant plus de crédibilité. C’est là qu’avoir plus de 25 ans est utile dans ce métier. Ce n’est pas juste mais il faut bien qu’il y ait des avantages à avoir des cheveux gris.

Résumé

Si je devais résumer ce qu’est la Communication stratégique, voilà ce que je dirais :

  • Le but de la communication stratégique, c’est de produire des actions efficaces et concrètes en vue de produire un changement dans une situation indésirable, qu’on appelle le problème.
  • C’est une manière différente de communiquer parce qu’elle implique qu’on ait conscience de la façon d’utiliser les mots pour obtenir un résultat. La communication stratégique est un moyen d’influencer le client et ses actions en vue de lui faire accepter des changements bénéfiques pour lui. C’est la déontologie qui indique au consultant comment ces changements peuvent être réalisés : de manière écologique pour un résultat salutaire.
  • Je vais vous donner un exemple de ce que je considère comme un abus de la Communication stratégique. Une société d’exploitation minière dans le nord du Chili voulait faire appel à un consultant ; le consultant devait « vendre » aux populations locales l’arrivée dans la ville de l’entreprise. Le but était d’éviter un trop grand nombre de plaintes qui pourraient ralentir l’installation de l’entreprise. Les gens se plaignaient parce que l’extraction de l’or dans les montagnes avoisinantes allait utiliser toute l’eau qui alimentait la ville. L’eau allait servir à nettoyer les produits chimiques de la mine et elle allait donc être hautement contaminée. C’est un exemple de « développement industriel » qui allait profiter à une société étrangère au détriment des habitants de la ville. J’ai eu une discussion houleuse avec la personne qui me racontait cette histoire parce que, à mon avis, c’est un travail de « vente » qu’on déguise en communication stratégique pour faire plaisir au PDG. En tout cas, c’est ce que je pense.
  • La Communication stratégique est un concept qui s’utilise dans de nombreuses professions : le coaching, le conseil, la médiation, la vente, le marketing, la psychologie, l’assistance sociale et la négociation, entre autres. C’est le consultant dans chacune de ces professions qui dirigera la communication.
  • Comment s’y prend-on ? Il faut savoir écouter sans idées préconçues, sans protocoles et sans « pratiques incontournables ». Montrez votre empathie mais laissez les émotions fortes à la porte ou, du moins, ayez conscience de ces émotions que vous ressentez. Regardez votre client : l’absence d’émotion peut être tout aussi importante que la présence d’émotions fortes.
  • Captez l’attention de votre client et maintenez-la jusqu’à la fin de l’interaction ou jusqu’à la « fin de la vente » d’une suggestion qui va dans le sens du but fixé au début de l’interaction.
  • Evitez les phrases toutes faites comme « je sais ce que vous ressentez ». Sauf si vous avez vécu exactement la même expérience, avec les mêmes personnes, etc. vous ne pouvez pas savoir. Vous pouvez imaginer, vous pouvez comprendre mais vous ne pouvez pas savoir. Est-ce que ça vous rassure quand vous dites à quelqu’un que vous êtes vraiment inquiet à propos d’un sujet grave et qu’on vous répond « Mais ne t’inquiète pas ! ».

Le modèle de thérapie brève utilise la Communication stratégique dès le premier échange avec un client. C’est un modèle de mise en place du changement qui offre une ligne directrice utile. On ne peut pas passer à l’étape suivante sans avoir bien examiné et mis en œuvre l’étape précédente. Le petit secret inavouable, c’est que la communication stratégique de résolution de problème peut rendre accro ; ça devient un mode de vie. Si je considère une situation comme un casse-tête à résoudre, j’adopte une manière de voir le monde qui favorise les changements positifs. J’espère, durant cette heure, avoir réussi à vous transmettre un peu de ce virus.

Merci beaucoup.

© Karin SCHLANGER/Paradoxes

Pour citer cet article : Karin SCHLANGER, La communication stratégique : un outil, des applications multiples.  2015. www.paradoxes.asso.fr/2015/10/la-communication-strategique-un-outil-des-applications-multiples

Share This