Communication à la XIIIème journée de Rencontre de Paradoxes, 4 octobre 2014
Raffaella BOTTINO, consultante, dé-formatrice
J’ai fait les choses à l’envers : une formation en 3 cycles à l’approche de Palo Alto AVANT une formation de coach généraliste. « Pourquoi as-tu fait ça ? », m’a-t-on demandé ? Je pense que c’était, peut être, pour me conformer à l’idée répandue que « quand même les bases sont essentielles pour avancer ! ».
Mais… est-il vraiment vrai que pour être un bon professionnel il faut connaître les bases ? Faut-il savoir que le feu est « la production d’une flamme et la dégradation visible d’un corps par une réaction chimique exothermique d’oxydation appelée combustion » pour allumer une cigarette ?
Qu’est ce que cela fait d’avoir fini là où les autres commencent ? Je vous invite à ce voyage à rebours.
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J’ai souvent commencé les choses par la fin. Cela vient peut-être de l’idée de ma mère qui me disait que je suis née, faute d’un gynécologue pressé et occupé, avec quelques jours d’avance. J’ai donc commencé par naître avant d’être tout à fait « couvée ».
C’est comme ça d’ailleurs que j’ai fait l’université : commençant par l’art contemporain et allant à reculons jusqu’au Moyen Age.
J’ai commencé mon métier de consultante avant de savoir ce que c’était et formatrice avant d’être formée… Je suis devenue « palo-altienne » avant de devenir coach généraliste.
Qu’est-ce que cela fait d’avoir commencé là où les autres finissent? Voici un petit voyage à rebours et quelques souvenirs à partager …
Concernant donc ma formation de coach, je l’ai initiée après trois cycles à l’école du Paradoxe (là, j’ai quand même dérogé à mon habitude et commencé par le sens traditionnel car Irène Bouaziz, enseignante à l’école, s’est montrée inflexible sur l’ordre des modules).
« Pourquoi as-tu voulu faire une formation au coaching après? », m’a-t-on demandé? Je pense que c’était, peut-être, pour me conformer à l’idée répandue que «quand même les bases sont essentielles pour avancer ! ».
Aussi tôt dit, aussitôt fait, je décide de suivre une formation de coaching généraliste dans une Université parisienne, me voilà acceptée, et ce fut ainsi que je me trouvai, il y a un an, assise parmi 53 autres aspirants coachs.
Après les présentations obligées nous voici en grand groupe essayant de définir qu’est-ce qu’ un coach. Un entraineur de managers ? Un fou de la performance ? J’avance timidement… « Nooon le coach ne conseille pas, ne forme pas, ne soigne pas, n’est pas ceci, n’est pas cela ! » Et je pense : « Mais enfin, on entreprend un parcours d’un an pour ne pas être/devenir quelque chose ? »
Et puis, comme la foudre, quelqu’un parmi les étudiants lance : « le coach c’est quelqu’un qui pratique une relation d’aide. Son nom dérive du hongrois et indique une grande voiture à chevaux… » Mais alors je me suis trompée de formation ? Cela ne serait-il pas plus pertinent et intéressant pour un cheminot? Grégory (Bateson, vous voyez de qui je parle) ! Où es-tu ? J’ai beau m’efforcer de jouer à l’anthropologue, ici on est dans un nouveau système solaire ! Je ne peux pas m’empêcher de m’étonner !
Je suis allée à l’Université chercher les bases du coaching et je me pose la question « Que sont ces « Bases », avec Grand B ? Qui les donne et qui décide ce qui est fondamental ou non ? Une école ? Une Université ? »
J’ai eu l’impression que les Bases amenaient surtout à inventer une légitimité à une profession encore embryonnaire et déréglée, qui se dit tournée vers l’entreprise, mais qui s’élargit à tout ce qui bouge sur la planète.
Que fait-on de ces bases ? Ces fameuses bases du coaching ne risqueraient-elles pas d’avoir ensuite l’ambition de se transformer en dogme, comme s’il existait un seul coaching (et non pas des approches et des méthodes différentes), un seul mode d’action, un seul crédo et une seule foi ? Dans une grande majorité les coachs s’affichent « constructivistes » mais les différentes Ecoles, Universités et Fédérations ne cherchent-elles pas à constituer un protocole d’intervention ? Comment alors peuvent coexister vision constructiviste et norme ?
Et pourquoi le coaching doit autant aux thérapies et si peu au conseil, au sport, à la performance ?
Pourquoi seules les approches thérapeutiques seraient valables pour l’entreprise ? L’entreprise est-elle de plus en plus malade ? Et quand même ! Avec elle, tous les acteurs du système nécessiteraient aussi une intervention thérapeutique?
Même quand le coaching est enseigné avec la plus grande bienveillance et attention, et que la plupart des formateurs sont préparés et capables, on peut bien imaginer les conséquences d’emprunter aux seuls thérapeutes les secrets et les outils du métier : c’est comme donner une grenade non explosée à un enfant en lui disant : « Et surtout n’ôte pas la goupille, chéri ! ». Ainsi je vois des aspirants coach pontifier sur « demandes cachées », « implicites », « managers absolument pathologiques », « et personnes lambdas à soigner »…
Et qui détermine si quelqu’un est « fou » ? Le DRH ? Le N+1 ? Le coach ?
C’est avec ces questions à l’esprit que je vais suivre un cours sur « coacher les personnalités difficiles ». « Qui est une personne difficile en coaching? » Demande l’enseignant : « C’est facile, je pense, une personne difficile est un non-client, un client sous contrainte qui doit changer par ordre reçu ! un visiteur, quoi ! » Eh bah non, une personnalité (et non pas une personne) difficile « sont les états limites qui sont instables dans leur structure ». « Aaaah, je n’avais vraiment rien compris jusque là ! » je me dis.
Et il continue en affirmant qu’on peut donc avoir à faire avec une personne aux traits histrioniques (MOI ???), obsessionnels (MON MARI?), hystériques (MA MÈRE ?). Mais qui lui a parlé de toute ma famille ? .
Je lève le doigt et demande :
– «Qui détermine ce qu’ils sont?, sur la base de quoi un coach, et d’ailleurs n’importe qui, peut dire que son interlocuteur appartient à l’une ou l’autre catégorie ?»
– «Il y a des tas de tests de personnalité qui permettent de définir à quel type le client correspond » me répond l’enseignant.
– « Mais faire cela ne revient-t-il à mettre les gens dans des cases étroites et leur donner une étiquette ? »
– «Une personne est plus complexe et riche que son type de personnalité, c’est pour cela que moi j’utilise le PCM, modèle psychodynamique, la Sémantique gestuelle, la Classification psychanalytique, le HRS et l’Ennéagramme… »
« Arglhhh, et l’astrologie, la boule de cristal ? » Je suis de plus en plus larguée.
A l’aide ! Palo alto est une approche non normative et non pathologisante et en formation coach on me parle d’un monde du travail infesté de pervers narcissiques, d’obsessionnels, de persécuteurs et de victimes, de gens plein de problèmes personnels refoulés, de demandes cachées et d’inconscient, de complexés et de bourrés de croyances… irrationnelles.
Pauvres entreprises ! Je comprends maintenant pourquoi la reprise tarde, avec tous ces fous sortis de l’hôpital psychiatrique qui infestent et managent ces sanctuaires de la production et de la raison !
Et puis, déjà au comble de mon désespoir, j’entends affirmer tout le temps « le coaching est un métier de fainéants ! C’est le client qui bosse !» Mais alors pourquoi payer les coachs si cher ? « Sans doute une blague de coachs », je me dis, mais mes collègues la répètent comme un mantra, et me parlent d’écoute flottante comme s’il s’agissait de dormir. Moi, dans ma pratique, je ne vois pas en quoi le coach ne travaille pas. Déjà écouter pendant une heure et demie les coachés pour leur permettre de s’exprimer, essayer de démêler problème et objectif, distinguer la classe et les éléments de la classe, délier, entendre la Vision du Monde du client sans y plaquer la sienne propre, parler son langage, ajuster son corps et ses mouvements à l’autre, tout en cherchant à poser des questions stratégiques pour que le client avance, mais sans que le coach le veuille, c’est fatiguant. Cela me semble être un boulot d’enfer !
Ah ! Mais imaginez-vous donc quel bonheur quand dans cette formation j’entends finalement un autre formateur dire : « je suis systémicien ! »… et rajouter « et aussi cognitivo-comportementaliste, adoptant un modèle hybride ».
Oh là là ma pauvre tête ! J’ai à faire avec un modèle de coaching style Minotaure ! Mais si on peut mélanger des approches qui ont des prémisses si différentes, pourquoi on ne peut pas mélanger coaching et conseil ? Ce ne serait – peut-être – pas moins efficace, mais largement moins dangereux pour le client ?
C’est ainsi que j’entendis le même formateur, pendant un des mes premiers jours de cours, raconter une séance de coaching où au pauvre manager qui se plaignait d’insomnie il lui aurait dit : « eh bien je t’interdis de t’endormir jusqu’à 3 heures du mat ! »
J’ai bondi sur ma chaise : « Pauuuul (Watzlawick pour les intimes) !!! Voilà une tâche ! Et en plus paradoxale !! » Mais ça alors !, je n’ai pas entendu parler de préparation de la tâche, de cohérence, de respect de la vision du monde, sur cela le silence…
Et puis dans cette formation on avait la consigne, si l’on veut devenir coach, d’accomplir un « travail sur soi ». « C’est-à-dire ? », ai-je demandé, « une thérapie, quoi ! Pour se libérer de ses casseroles ! » M’ont-ils répondu, « Suis pas cuistot, pardi! ».
« Mais le coach n’est pas un thérapeute – ai-je objecté -, alors où est le sens de faire une thérapie ? Et puis, faut-il avoir été lobotomisé pour être neurologue ? , une vache pour devenir boucher ? »
Réponse : « En tout cas aujourd’hui les entreprises demandent le diplôme, la certification et la déclaration d’avoir accompli un travail sur soi ! ».
Je ne vous cache pas mon inquiétude : cette histoire ressemble de plus en plus à un livre d’Orwell, un cauchemar où l’entreprise a la main mise sur l’état mental et les pensées des intervenants… Philip Dick n’aurait pas osé autant.
« Au secours !!!! Je suis de plus en plus perdue ! Milton (Erickson), tu ne m’as rien dit de cela, même pas sous hypnose ou par métaphore ! Quel travail ! Il ne suffit pas de questionner le problème du client ? Il faut que je me crée des problèmes à moi bien profonds et qui fassent pleurer? ».
Et pourtant je me suis accrochée et j’ai continué ce que j’appelle désormais un parcours du combattant. Parfois une lumière, puis encore l’ombre, comme quand les aspirants coachs se livrent librement à la pratique.
C’est lors de la participation à un groupe de travail que j’ai remarqué, que, à la mode de la psychologie positive, des thérapies cognitives comportementales et de l’idée diffuse de l’obligation à l’épanouissement individuel, de plus en plus de coachs se centrent sur les émotions. Elles ont finalement le droit d’entrer en entreprise et, du coup, elles doivent être coachées !
Mais dans ces premiers babillages des aspirants coachs, les stagiaires semblent juger leurs capacités et habiletés sur la base de l’intensité lacrymale produite par leurs clients : plus les gens pleurent, plus ils ont la conviction d’avoir fait quelques chose de bien, de profond, d’avoir touché je ne sais pas quelle émotion enfouie de la personne : « le coaché s’est effondré, libéré ! J’ai touché une corde profonde ! » J’entends raconter autour de moi.
Le coaching aurait une vraie responsabilité écologique sur le système et pas seulement dans le sens palo-altien du terme : il serait en fait tenu pour responsable du réchauffement climatique produit par la hausse du taux d’humidité de l’atmosphère à cause de toutes ces larmes de ces managers pleurnicheurs !
Mais… qu’est-ce qu’on fait des « émotions », une fois délivrées au coach ? Avons-nous le droit de « fouiller » dans les plis profonds de l’être humain sans nous doter des outils pour les recevoir et les « travailler », hormis les kleenex? Face au désarroi, à la honte, au désespoir des pauvres managers, sollicités à «finalement lâcher », comment on peut leur dire « la séance est terminée, rentrez auprès de vos équipes et continuez à travailler » ?
Et si encore une fois cette histoire des émotions ne serait qu’une autre ruse de l’entreprise pour attribuer la responsabilité des événements (et des réactions face à ceux-ci) uniquement à l’individu, se dédouanant, en tant que lieu social et collectif, du regard qui devrait plutôt porter sur la cohérence des objectifs attribués aux managers et aux collaborateurs, sur les moyens et les ressources mises à disposition, sur la présence des compétences nécessaires et la mise en place d’une organisation facilitatrice et reconnaissante du travail bien fait ?
Comment peut-on décréter l’autonomie et la pleine responsabilité du manager alors qu’il est de plus en plus confronté à des problèmes complexes pour lesquels l’individu ne détient pas – et ne peut pas détenir – à lui seul la solution ou la réponse ?
Face à tous ces doutes, qui ne rendaient pas facile mon boulot d’étudiante, je me suis appliqué la grille.
Quel était le problème que j’ai rencontré dans ma formation? : Était-ce le coaching en général, les interactions avec les enseignants, ou plutôt la confrontation avec les autres étudiants, le fait que certains des propos entendus ont heurté ma vision du monde palo-altienne?
Quels étaient mes objectifs dans ma formation ? Avoir les bases, le diplôme, ne pas me faire remarquer (raté), terminer mon année d’études ? Savoir si je peux m’autoriser à être coach comme je l’entends? Et au fond, appliquer la grille ne revenait pas, au final, à « faire toujours plus de la même chose ? »
J’ai même essayé de multiples recadrages (que je peux classer dans les tentatives de solutions inefficaces).
Et d’ailleurs, garder en tête le modèle de Palo Alto, rester fidèle à cette approche que, entre parenthèses, je trouve toujours plus pertinente, ne serait-ce pas se bercer dans l’homéostasie ? Mais… si seulement pour cette fois-ci elle n’était pas si mal au final, l’homéostasie, et s’il n’était pas nécessaire d’opérer un changement de type 2 dans ma tête ?
Mais, au fond, où est le problème ? Palo Alto, mi piaci sempre più!
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© Raffaella Bottino/Paradoxes
Pour citer cet article : Raffaella Bottino, Commencer une formation par la fin: les joies et les peines d’un voyage de Palo Alto au coaching généraliste. 2014. www.paradoxes.asso.fr/2014/10/commencer-une-formation-par-la-fin-les-joies-et-les-peines-d%E2%80%99un-voyage-de-palo-alto-au-coaching-generaliste/