Communication au XIe Congrès ericksonien: «2001, l’odyssée de l’hypnose», Paris, octobre 2001
docteur Irène Bouaziz
2001…
Pour moi la nouvelle ère a commencé en 1992, lorsque j’ai été touchée par la grâce de l’hypnose et de la Thérapie Brève de Palo Alto réunies.
La psychiatre de Croc Magnon que j’étais alors, occupée à chasser les démons de la maladie mentale à coups d’internements et de neuroleptiques, s’est peu à peu transformée en exploratrice intergalactique.
Vous imaginez que cette révolution corpernicienne ne s’est pas faite sans douleur: lâcher prise et me retrouver en apesanteur, quitter le plancher des vaches folles et perdre tous mes repères dans des constellations de problèmes humains, sans DSM IV pour m’éclairer, mettre mon imagination à contribution alors qu’elle hibernait, tranquillement enfouie avec mes livres de science fiction sous les lourds bouquins de médecine…
Mais voilà, c’est fait, l’hypnose ericksonienne a vraiment été pour moi l’occasion inespérée de réaliser un rêve d’enfant… embarquer à bord d’un vaisseau spatial pour faire des voyages extraordinaires.
Cette entrée en matière un peu personnelle pour situer le contexte dans lequel je me propose de vous entraîner à bord du vaisseau «hypnose» revisiter quelques aspects fondamentaux de notre pratique comme autant de passionnantes explorations.
Praticiens de l’hypnose ericksonienne, nous sommes tous admiratifs de l’efficacité et de la rapidité de cette méthode qui, avec quelques principes simples: un langage adapté à chaque patient, des métaphores et le lâcher prise, permet de traiter bien des souffrances.
Après tant d’années d’études de médecine et de spécialisation, le contraste est saisissant: quelques journées de formation à l’hypnose et me voilà capable de faire des miracles en deux ou trois séances…
Mais les miracles ont leurs revers: ils sont aléatoires et ils placent le praticien dans une position de pouvoir qui réduit l’autonomie du patient.
En inscrivant ma pratique de l’hypnose dans le cadre conceptuel de la Thérapie Brève de Palo Alto, c’est à la fois pour des raisons éthiques et pratiques que je me suis penchée plus attentivement sur ce qui peut apparaître comme des thèmes éculés de l’hypnose ericksonienne.
En m’attardant un peu, en mettant le pied, pour rester dans la métaphore du voyage sidéral, sur ces principes simples: parler le langage du patient, utiliser des métaphores, faire lâcher prise, j’ai fait des découvertes qui ont satisfait deux valeurs importantes dans ma pratique thérapeutique: aider efficacement et m’émerveiller.
Rencontres du III° type
Je vous propose de débuter ce voyage extraordinaire par une rencontre, plus précisément par une rencontre du troisième type, celle des extraterrestres que nous sommes tous les uns pour les autres.
La pratique ericksonienne a sorti l’hypnose de la mystification du pouvoir d’un opérateur tout puissant sur un sujet soumis, pour nous confronter à la dimension interactionnelle de cette forme particulière de communication.
En insistant sur la nécessité pour le thérapeute de parler le langage du patient, Erickson a radicalement transformé le discours hypnotique, remplaçant les textes lus ou récités, par une composition sur mesure bien plus efficace pour transmettre un message.
Cependant, apprendre à parler le langage du patient n’est pas si facile, surtout pour des thérapeutes formatés pour être des experts détenteurs d’un savoir.
Il ne s’agit pas seulement de repérer les canaux sensoriels utilisés préférentiellement et de collecter quelques souvenirs agréables.
La première étape de cet apprentissage passe, pour le thérapeute, par ce que l’on pourrait appeler un désapprentissage: se départir de la position haute, renoncer à l’idée que sa propre vision du monde, étayée par un savoir scientifique, est le juste reflet de la réalité, renoncer même à l’idée que qui que ce soit puisse connaître une réalité objective.
Ce n’est qu’en adoptant le point de vue de la philosophie constructiviste, remarquablement synthétisé et mis à la portée de tous par Paul Watzlawick, ce n’est qu’en postulant qu’on ne peut connaître de réalité indépendante de l’observateur, que l’on pourra utiliser de façon éthique une technique d’influence aussi redoutable que l’hypnose.
Ce n’est qu’en étant profondément convaincu que notre vision du monde de thérapeute n’est ni meilleure ni plus juste que celle du patient, que l’on pourra exploiter respectueusement et efficacement toutes les possibilités offertes par l’utilisation de son langage.
Ainsi, apprendre à parler le langage du patient nous amène à prendre la position d’un explorateur galactique qui, tel un anthropologue, cherche à décoder les us et coutumes d’un extraterrestre, en se démarquant autant que possible de sa propre culture.
Explorer la vision du monde d’un autre, c’est comme explorer un nouveau monde.
Il faut être vigilant à tout ce que l’on voit et ce qu’on entend, repérer les particularités du langage verbal et non verbal.
Il faut savoir questionner sur tout au risque de paraître naïf, voire légèrement débile, pour être certain de bien comprendre ce que veut dire l’interlocuteur, pour bien comprendre comment il vit ses problèmes: «Vous me dites que vous êtes alcoolique? qu’entendez-vous par alcoolique?, voulez-vous dire que vous ne trouvez pas normal de boire 6 litres de vin par jour? en quoi cela vous pose-t-il un problème?».
Il faut se méfier des évidences et éviter de plaquer notre propre vision du monde, nos croyances, nos valeurs, ce qui est souvent difficile parce que, de même que nous ne pouvons voir nos propres yeux, nous ne voyons pas notre propre vision du monde, nous n’en voyons que le reflet.
Cependant nous pouvons nous représenter quelques éléments utiles de la vision du monde de notre patient en le questionnant sur certains points comme par exemple:
— La façon dont il vit son problème: se sent il malade ou mauvais?, victime ou coupable?
— Comment imagine-t-il que la thérapie va l’aider, par quel moyen, quel mécanisme?
— Quelles hypothèses formule-t-il sur l’origine de son problème?
— Ses croyances, ses valeurs, qu’est ce qui est bien et qu’est ce qui est mal selon lui?
— Comment se voit-il lui-même, quelles qualités, quels défauts s’attribue-t-il?
— Qu’aime-t-il faire dans la vie? Qu’est ce qu’il considère comme bon ou mauvais pour lui?
Thérapeute-explorateur, nous devons aussi savoir mettre de côté diagnostics, typologies et autres étiquettes avec lesquelles nous avons été formés à réduire les têtes pour les faire entrer dans les cases des solutions toutes prêtes.
Parce qu’en choisissant d’adopter cette position d’anthropologue nous renonçons à savoir mieux que le patient quel est son problème, ce qui serait bon pour lui et quel est le meilleur moyen d’y parvenir.
Enfin, on doit être très attentif à ne pas modifier intempestivement le monde que l’on est en train de découvrir, à ne pas heurter la vision du monde de l’autre.
On ne remet donc pas en question ses valeurs ou ses structures cognitives à coups de bulldozer, on ne plaque pas nos propres constructions mentales en interprétant ce qu’il dit ou fait en fonction de notre théorie…
Toutes nos interventions vont s’attacher à rester respectueuses et, pour l’aider à atteindre son objectif, nous ne chercherons à modifier dans sa vision du monde que ce qui lui permettra de lâcher prise, d’arrêter ses tentatives de solution inefficaces.
Plus je progresse dans la capacité à décoder la vision du monde de mes patients et à parler leur langage, plus je me sens à l’aise pour les aider.
À l’aise dans une relation thérapeutique de qualité, à l’aise pour jongler avec les idées, faire des recadrages, manier le paradoxe, me synchroniser avec eux, m’accorder à eux dans le rituel hypnotique.
Plus je progresse dans cette capacité à explorer l’autre, à voyager en regardant le monde à travers ses yeux et plus je m’émerveille de découvrir tant de richesse et de variété, tout ce qui m’était jusqu’alors caché par les savants diagnostics qu’on m’avait appris à poser.
Je comprends maintenant pourquoi la plupart des élèves d’Erickson trouvent leurs patients formidables, c’est bien en parlant leur langage, en communicant avec eux au plus près de ce qu’ils sont vraiment que l’on peut au mieux leur permettre d’utiliser leurs ressources.
À la découverte des univers parallèles
Sur cette envolée lyrique, nous pouvons poursuivre notre voyage intersidéral à la découverte des univers parallèles que sont les mondes métaphoriques.
Au cours de ma formation à l’hypnose ericksonienne, il nous avait été conseillé d’avoir en réserve quelques métaphores bien senties pour faire bouger les «processus inconscients».
Cette suggestion m’avait laissée un peu perplexe.
J’étais justement venue à l’hypnose par intérêt pour les métaphores parce que j’avais remarqué, malgré mon écoute de psychiatre de base, qu’elles parsemaient spontanément le discours des patients.
Ceux-ci paraissaient soulagés de pouvoir décrire métaphoriquement leurs souffrances ou les remèdes à y apporter.
Leurs propres métaphores semblaient donc avoir un effet auto-thérapeutique.
En élève disciplinée j’avais cependant fait, comme il nous était demandé, provision de métaphores dans mon tiroir de droite.
Oui, celles que vous avez aussi en réserve: les métaphores d’apprentissage ( la marche, la lecture), les métaphores de changement (les saisons, l’eau sous toutes ses formes), etc.
Et puis, mon scepticisme s’est trouvé décuplé lorsque j’ai vu, lors des séances de supervision, des collègues asséner à leurs patients des métaphores de leur invention qui me hérissaient ou me terrifiaient.
Parce que, contrairement au discours naïf de certains, une métaphore peut faire mal, très mal même, pensez donc au Vaudou et autres mauvais sorts…
Le temps de remercier le ciel de ne pas être la patiente en question, ou le sujet sur lequel le collègue s’entraînait lors des exercices et j’ai poussé la réflexion plus loin, du coté d’un précepte qui nous avait pourtant été enseigné, mais aussitôt démenti par ce conseil de faire provision de métaphores: la meilleure métaphore est toujours celle du patient.
J’ai donc refermé mon tiroir à métaphores et j’ai décidé de laisser émerger celles du patient et de m’immerger dedans.
Mais avant d’entreprendre un voyage aussi exotique, j’ai pris le temps, cela se comprend, d’étudier de plus près l’univers de la métaphore.
Nous savons tous qu’une métaphore est une figure de rhétorique transposant une notion abstraite dans le concret.
Mais nous savons aussi qu’une métaphore est bien plus qu’une figure de rhétorique.
La suggestion métaphorique a un pouvoir d’évocation qui fait ressentir les émotions comme si on vivait une expérience, ce qui en amplifie considérablement l’effet.
La métaphore est à la fois image et émotion.
On peut la considérer comme une traduction du codage analogique de l’information, elle est le langage de l’hémisphère cérébral droit.
Lorsqu’une souffrance est exprimée dans le langage digital de l’hémisphère gauche par un mot, angoisse, par exemple, elle a à chaque fois une traduction analogique, imagée, dans le langage de l’hémisphère droit: une boule dans la gorge ou un poids sur la poitrine etc., traduction qui nous est éminemment personnelle.
Au point que l’on peut considérer que le langage métaphorique exprime une autre version de notre construction de la réalité, une sorte d’univers parallèle dans lequel tout est à la fois semblable et différent.
Et cet univers parallèle, au-delà de son aspect poétique, est particulièrement utile dans un travail thérapeutique.
Diverses hypothèses, que l’on peut d’ailleurs, dans une optique constructiviste, considérer elles-mêmes comme autant de métaphores, viennent expliquer ce pouvoir guérisseur.
Expression de l’hémisphère droit, l’univers parallèle de la métaphore n’est pas soumis aux lois, aux règles logiques de l’hémisphère gauche, celui-là même qui élabore les tentatives de solution que le patient qui nous consulte a appliquées en vain à son problème. La créativité, la marge de manœuvre pour trouver des solutions efficaces s’en trouve donc considérablement élargie.
De plus, cet univers a dimension figurative, concrète, qui permet que l’on ait prise dessus: la boule dans la gorge peut être extraite ou dissoute ou avalée, le poids sur la poitrine peut être enlevé ou déplacé ou allégé…
Ceci peut sembler magique à première vue, mais, que ce soit dans la littérature ou dans notre propre pratique, nous avons tous rencontré les effets étonnants de ces images: l’interrupteur qui vient éteindre la douleur, le plâtre qui rebouche un ulcère, la soupape de la cocotte minute qui soulage le stress…
Parce que, par un phénomène de rétroaction bien connu des familiers de la cybernétique, la métaphore n’est pas seulement le reflet de notre construction de la réalité, elle agit aussi sur cette réalité.
La métaphore est un énoncé à la fois descriptif et performatif.
Voilà donc pourquoi la meilleure métaphore est toujours celle du patient, ou celle qui nous est suggérée par lui. hautbas
Elle est une autre version du reflet de sa construction de la réalité, de sa vision du monde.
Et c’est en entrant dans cette autre version de sa réalité, dans son univers parallèle, que l’on peut l’aider à construire, selon l’expression de Paul Watzlawick, une pont fictif vers le but à atteindre.
Quand nous nous échinons à construire savamment une métaphore à partir de notre dictionnaire personnel, c’est dans notre univers parallèle que nous entraînons notre patient. Nous risquons ainsi de réduire ses chances de trouver en lui, dans son propre univers, celui dans lequel est apparu son problème, la solution qui sera pour lui la plus adaptée.
De même, quand nous utilisons des métaphores toutes prêtes, mais oui, vous savez, les petits barrages sur la rivière pour l’énurésie, les écluses qui s’ouvrent pour le vaginisme, le printemps qui arrive pour la dépression… non seulement nous prenons le risque d’entraîner notre patient dans un univers stéréotypé qui n’a peut-être aucun rapport avec celui qu’il connaît, mais, de plus, nous présupposons qu’il y a une façon juste de régler son problème, exactement comme il y a un bon antibiotique pour soigner sa bronchite.
Je ne veux pas dire par là que ça ne marche jamais, l’inaltérable succès des contes de fées nous le rappelle. Mais faire le voyage en allant dans l’univers du patient, l’aider à utiliser les ressources de son propre monde est plus respectueux, plus efficace et surtout lui permet de gagner en confiance en lui et en autonomie.
Je disais donc: laisser émerger les métaphores du patient et s’immerger dedans…
Ce n’est pas toujours facile.
La métaphore de l’autre peut nous être totalement étrangère; vous le savez.
La peur peut être un raz de marée chez l’un et un désert de sable chez l’autre; il faut donc être prêt à poser son vaisseau spatial dans un univers bizarre, parfois même inquiétant ou extrêmement difficile à se représenter.
C’est là que commence l’exploration, par un questionnement prudent du patient sur ce monde mystérieux, en prenant bien garde de ne pas introduire, par des remarques ou des questions maladroites, des éléments issus de notre monde à nous.
Au fur et à mesure de notre questionnement, le patient découvre, souvent en même temps que nous, cet univers parallèle intérieur. Son problème y est représenté sous une forme étrange, parfois fantastique, pas toujours décodable, mais cette forme a l’avantage de rendre son problème accessible à une solution.
Cependant, cet univers parallèle est fragile comme une bulle de savon, comme un rêve. Toute introduction étrangère vient le modifier et peut même le faire voler en éclat. Gardons nous donc de le détruire par nos interprétations, gardons nous donc de le conformer à notre propre univers en y plaçant nos solutions.
Ainsi, alors que personnellement je me représente mes changements d’humeur comme des variations de luminosité et que j’ai imaginé, comme solution à mes hauts et mes bas de moral, un variateur de lumière que je peux manipuler selon mes besoins, Michèle, qui me consulte pour essayer de se passer du Lithium qu’elle prend depuis des années pour des troubles qualifiés de dysthymiques, a une représentation très différente de son problème dans son univers parallèle.
Elle a la sensation de dépenser toute son énergie à certaines périodes et voudrait pouvoir s’arrêter à temps.
Au cours d’une séance d’hypnose, elle se représente son énergie comme du lait en train de déborder et découvre comme solution un anti-monte lait, objet dont je n’avais jamais entendu parler. Cet anti-monte lait, placé dans une casserole, aux temps préhistoriques d’avant le four à micro ondes, alertait par le bruit qu’il faisait lorsque le lait commençait à bouillir.
Quelle richesse, cette métaphore à la fois visuelle, kinesthésique et auditive et surtout, profondément ancrée dans l’histoire de Michèle.
Je n’aurais jamais su trouver aussi bien, et Michèle a eu la gentillesse de m’offrir un anti-monte lait qui trône désormais sur mon bureau pour me rappeler, si besoin en était, que la meilleure métaphore est toujours celle du patient.
De la même façon, lorsque j’utilise échelles pour faire évaluer l’intensité des problèmes, je dois à chaque fois prendre garde à ne pas tomber dans la facilité de proposer une banale échelle de zéro à dix ou de sortir de ma propre tête un de ces appareils de mesure si utiles.
Il est vrai que de proposer au patient de construire son propre appareil de mesure demande plus de temps, et mon bureau est plein de ces machines virtuelles issues des univers parallèles de mes patients: malaisomètres, angoissomètres, douleuromètres, tristessomètres…
Mais l’étonnant peuromètre de Magalie est toujours devant mes yeux pour me rappeler qu’aucun appareil de mon invention ne sera jamais aussi efficace que celui de l’extraterrestre qui se trouve en face de moi: auriez-vous imaginé, comme elle, pour représenter les variation d’intensité de la peur, une rose? En bouton, elle représente la sérénité, plus la peur grandit, plus la rose s’ouvre et à au maximum de la peur, les pétales tombent.
Je ne sais pas si je me lasserai un jour de ces voyages fantastiques dans les univers parallèles de mes patients, mais actuellement, l’émerveillement est pour moi chaque jour renouvelé.
Un saut dans l’anti-monde
Mais je dois encore vous parler d’un troisième type d’exploration.
Après avoir rencontré les extraterrestres, visité des univers parallèles, j’ai découvert plus récemment l’anti-monde, un monde à l’envers en quelque sorte.
J’ai conscience de n’être qu’au début d’une étrange odyssée qui me fait passer derrière le miroir du paradoxe, et, curieusement, c’est en remarquant que trois chemins différents conduisaient dans ce même anti-monde que j’ai eu envie d’en savoir un peu plus.
En fait, hypnothérapeutes, vous avez tous déjà rencontré, ou au moins fait connaître à vos patients cet anti-monde par la voie du lâcher-prise.
Contrairement à ce que je pensais avant de commencer à étudier la question, si le lâcher-prise est une notion fréquemment évoquée lors de l’enseignement de l’hypnose, elle n’est presque jamais mentionnée dans la littérature, peut-être à cause du flou artistique qui l’entoure.
Dès le début de la formation, on nous apprend à induire un état de détente dans lequel le patient n’a rien d’autre à faire que de laisser les choses se faire, de permettre à son esprit inconscient, selon l’expression chère à Erickson, de résoudre les problèmes pour lui.
Mais, au delà du postulat Ericksonien d’un inconscient bienveillant et plein de ressources, peu d’auteurs ont exploré ce qui se passait à l’intérieur de ce lâcher-prise dans lequel on met la volonté consciente entre parenthèses.
Le paradoxe est pourtant saisissant: c’est en cessant de faire quelque chose pour changer, que l’on change, en cessant de lutter contre son problème, qu’il se résout.
Comme si, dans ce monde là, dans cet anti-monde, les choses fonctionnaient à l’envers, la logique était inversée.
Les histoires sont pourtant nombreuses qui, sans même faire obligatoirement référence au «bon esprit inconscient, évoquent des guérisons miraculeuses après une séance d’hypnose sèche, ou des symptômes disparus alors que le traitement portait sur d’autres.
Et, en poussant plus loin la logique qui règne dans cet anti-monde, il est tout à fait possible, et même particulièrement efficace, de traiter dans la transe le mal par le mal, l’angoisse en suggérant l’angoisse, la dépression en faisant plonger le patient au plus profond de sa tristesse, la douleur en apprenant à l’amplifier.
Ainsi, et c’est dans ce sens là que s’oriente de plus en plus ma pratique de l’hypnose, l’effet bénéfique du lâcher-prise peut être encore renforcé par l’utilisation de suggestions paradoxales.
À côté de l’hypnose, un second chemin conduit à ce même anti-monde.
Un chemin tracé par les praticiens de l’école de Palo Alto qui avaient eux-mêmes été à l’école d’Erickson: le chemin d’une stratégie de changement qui passe par l’arrêt des tentatives de solution.
Amener le patient, par une prescription de tâche ou par des recadrages, et le plus souvent par les deux ensemble, à cesser de faire ce qu’il faisait auparavant pour tenter en vain de résoudre son problème, revient aussi à le faire lâcher-prise et à lui permettre d’accéder à une solution.
Qu’il s’agisse de proposer une tâche qui empêchera de recourir aux tentatives de solution habituelles, comme, par exemple, demander à un agoraphobe de noter tous les trois pas avec une grande précision sur un carnet tous les symptômes de son angoisse, en évitant surtout de chercher à se rassurer, ou qu’il s’agisse, plus directement encore, de prescrire le symptôme, comme lorsqu’on demande à un dépressif de consacrer chaque jour une heure à pleurer au fond de son lit, l’objectif est toujours le même: un saut dans l’anti-monde, ce monde où les problèmes se résolvent lorsqu’on cesse de chercher à les résoudre.
Là encore, le principe opérant relève d’un postulat, clairement affirmé par ses inventeurs: ce sont les solutions tentées pour résoudre un problème qui, lorsqu’elles sont sans cesse répétées alors qu’elles se révèlent inefficaces, maintiennent le problème ; c’est en empêchant le patient d’y recourir qu’on lui permet de sortir du cercle vicieux et qu’on lui redonne la liberté de trouver des solutions originales et efficaces.
L’intervention minimaliste du thérapeute se résume à une pichenette qui permet au patient d’accéder à l’anti-monde.
La troisième voie qui conduit à l’anti-monde n’est plus thérapeutique mais philosophique.
Il s’agit du principe de non-agir issu du taoïsme et repris dans le bouddhisme zen.
Et, comme le monde est vraiment très petit, vous ne vous étonnerez pas que je l’ai d’abord rencontré à la fois dans les écrits de l’école de Palo Alto et dans ceux de François Roustang.
Après un premier mouvement de recul dû à la crainte de glisser dans un délire mystique, à une époque où je n’avais pas encore assez lâché prise, je m’y suis intéressée de plus près.
Le non-agir est un principe bien difficile à comprendre pour un esprit occidental, mais il s’éclaire lorsqu’on est familiarisé avec les notions de lâcher-prise ou d’arrêt des tentatives de solution qui s’en rapprochent étonnement.
Loin d’être un appel à la passivité, au renoncement, on peut comprendre le non-agir comme une façon d’accéder à une autre dimension de l’action, une sorte de passage à un autre niveau logique.
«Ne rien faire et que rien ne soit pas fait» dit Lao Tseu.
C’est en sachant ne pas agir que l’on peut le mieux aboutir à ce que l’on souhaite.
Paradoxe familier de la pensée taoïste pour qui c’est le vide qui est utile, comme dans le bol ou l’essieu de la roue.
Dans la pensée de Gregory Bateson, grand inspirateur, à côté d’Erickson, de l’approche de Palo Alto, on retrouve un équivalent au précepte de Lao Tseu dans lequel le changement a lieu lorsqu’on ne fait rien. C’est la notion de changement coévolutif, un changement résultant des interactions naturelles à l’intérieur d’un système, sans intention particulière. Bateson oppose ce type de changement au changement intentionnel, celui qui est dicté par nos «buts conscients» et qui, selon lui, est responsable de bien des maux de notre civilisation.
François Roustang, qui explore depuis longtemps déjà l’anti-monde, écrit: «Ce que la volonté ne peut obtenir, ce que la conscience ne peut saisir, semble octroyé à la non-volonté et à la non-conscience, au vide et au non-agir».
Il définit le non-agir comme: «une attente générale, une réceptivité multi-directionnelle, un point d’interrogation qui recouvre les différents aspects de notre rapport au monde, un suspens universel» et il engage à une pratique de l’hypnose en accord avec ce principe, qui, pour lui, va au delà de cette «broutille de commencement» qu’est le lâcher-prise.
À quelques nuances près, on voit que différents courants de pensée, à travers le temps et les cultures, convergent vers ce paradoxe: atteindre un but en cessant de tendre consciemment vers lui.
Cette expérience, ce voyage dans l’anti-monde, semble, comme les autres explorations extraordinaires que j’ai évoquées aujourd’hui, élargir de façon spectaculaire le champ des possibles.
Conclusion
Qu’il s’agisse de rencontrer, avec une ouverture d’esprit totale, l’extraterrestre qu’est l’autre, qu’il s’agisse d’aller le rejoindre dans son univers, et mieux encore, dans son univers parallèle métaphorique, ou qu’il s’agisse de l’aider à atteindre l’anti-monde où le changement auquel il aspire peut survenir alors que justement il cesse tout effort pour l’atteindre, je suis, comme avec la littérature de science fiction qui a bercé mon enfance, saisie d’émerveillement devant tant de variété, de richesse et de possibilités.
Et plus encore, je suis émerveillée, après tant d’années de pratique d’une sordide psychiatrie orthodoxe, d’avoir pu quitter cette époque obscure pour entrer dans cette nouvelle ère. Une ère dans laquelle, la Thérapie Brève de Palo Alto et l’hypnose me permettent d’aider les patients avec efficacité, dans le respect de ce qu’ils sont mais aussi de ce que je suis.
© I. Bouaziz/Paradoxes
Je suis totalement sur la même longueur d’onde (j’ai décidé de me former à l’hypnose ericksonienne après avoir fréquenté Fançois Roustang comme « patiente » , quand de besoin, durant 10 ans).
Merci de partager cette expérience.
Ou puis-je lire d’autres articles de vous?
Amicalement