Communication à la deuxième Journée d’Etude de Paradoxes, 11 octobre 2003
Marianne Orvoën
Introduction
Comme nous avons pu le constater lors de notre formation, mais également au cours des journées d’étude ou des ateliers de PARADOXES, le modèle de Palo Alto nous amène à nous poser beaucoup de questions et présente en fait plus de difficultés qu’une simplicité théorique apparente et une technicité limitée ne le laissent prévoir.
BREF RÉSUMÉ DES DIFFICULTÉS LIÉES À LA THÉORIE
Le premier handicap lorsque nous abordons Palo Alto est constitué par ces réflexes culturels que représentent la causalité linéaire, le déterminisme et la notion de norme, qu’il nous faut à présent écarter au profit d’une pensée systémique, interactionnelle et non normative.
Ensuite, il nous faut nous familiariser avec les notions de niveaux logiques et de vision du monde et comprendre leur impact sur l’intervention thérapeutique.
Enfin, notre bon sens est durement ébranlé sous le choc du paradoxe et du virage à 180°.
Heureusement, les moyens pour surmonter ces difficultés sont présents dès le début de la formation, comme l’enseignement lui-même, les lectures, les conférences et… nos formateurs.
Mais les difficultés ne s’arrêtent pas à la théorie.
QUELQUES ASPECTS DES DIFFICULTÉS LORS DE LA PRATIQUE
La pertinence et le côté novateur du modèle, mis en scène de façon magistrale lors des interventions qui nous sont présentées sont assez convaincants pour que nombre de stagiaires décide de le mettre en pratique. Surviennent alors d’autres écueils qui, pour être plus concrets, n’en sont pas moins déstabilisants :
• Comment acquérir pertinence et qualité du questionnement?
• N’y a-t-il pas confusion entre objectif/moyen/symptôme/problème?
• Le problème et le thème des tentatives de solutions sont-ils correctement cernés?
• La stratégie est-elle bien mise en place et correctement suivie?
• Comment vendre la tâche de façon personnalisée et convaincante?
• Et surtout, peut-on réellement porter un regard critique sur son propre travail?
Là encore, certains moyens – exercices en cours, interventions filmées à Paris, co-interventions à Liège – nous sont proposés pour résoudre ces difficultés.
Hélas, en raison du délai important entre les journées de formation, du grand nombre de stagiaires et de nos propres limitations nous en profitons insuffisamment.
Certains peuvent également compter sur leur pratique professionnelle pour tester le modèle, mais là aussi existent certaines limites comme le respect du client, l’obligation de résultats et toujours l’absence de regard critique.
Conscientes de ces difficultés, et dans la perspective d’y faire face, nous décidons, à trois, de créer un groupe de pairs pour nous entraîner à la thérapie avec des clients, en parallèle à l’enseignement reçu à l’Institut Gregory Bateson de Liège.
FONCTIONNEMENT ET FACTEURS DE RÉUSSITE DU GROUPE
Fonctionnement
Initié sur les bases de nos expériences personnelles en matière d’apprentissage de groupe et des principes clefs qui nous animent – partage de la réflexion, volonté d’expérimenter, soucis d’efficacité et fidélité au modèle -, mais aussi inspiré de l’exemple de la co-intervention filmée de Liège, notre fonctionnement a en fait beaucoup évolué au fil des réunions.
Nous nous sommes ainsi doté d’un cadre de plus en plus élaboré (unité de temps, unité de lieu, unité d’action), adoptant le séquençage des entretiens en temps d’intervention/temps de concertation pour finalement aboutir à une répartition stricte des rôles.
À part celui du client, nous tenons chacune des rôles successivement au cours de nos séances, en conservant toujours le même face à un client donné.
Ces rôles sont au nombre de quatre : un client non formé au modèle de Palo Alto et trois acteurs-intervenants en cours de formation.
Le client
Il nous fallait un sujet désireux de résoudre un réel problème.
Son absence de lien avec l’intervenant, son départ aussitôt après la séance et son ignorance du modèle devaient permettre de préserver la neutralité du système d’intervention et faciliter la méta position de l’intervenant face à son problème.
Il devait, bien sûr, accepter notre cadre d’apprentissage.
Notre choix s’est donc porté sur des clients-cobayes, ami(e)s de l’une de nous.
Par respect pour lui et pour éviter l’anarchie, très vite, nous nous limitons à un seul intervenant face à lui.
L’intervenant
C’est lui le maître de la séance.
Il est le seul en interaction directe avec le client.
Son objectif est double : aider le client dans la résolution du problème et progresser dans ses savoir-faire.
Il se situe dans le présent de la séance avec le client, dans la dynamique de la résolution du problème et enfin dans le long terme vis à vis de lui-même et de ses apprentissages.
Son cadre de référence et ses outils sont tous ceux du modèle de Palo Alto.
Pour lui permettre de travailler en toute sécurité et avec confort, nous lui adjoignons un co-intervenant.
Le co-intervenant
Son rôle est d’assister l’intervenant, il est le maître des temps de concertations.
Il reste essentiellement dans l’écoute pendant la séance.
Son objectif est de collaborer à l’efficacité de l’entretien. Pour cela, il rectifie, demande des précisions, contribue à l’élaboration de la stratégie et de la tâche, prend des notes, analyse et synthétise le suivi.
Il se situe dans le présent de la séance et dans la dynamique de la résolution du problème.
Ses outils et son cadre de référence restent les mêmes que ceux de l’intervenant. Il bénéficie en plus du recul par rapport au système interactionnel que constituent le client et l’intervenant : il est en méta-position par rapport à l’intervention » thérapeutique « .
Restait un troisième acteur. Au début, il participe également à la co-intervention. Puis nous scindons le rôle et créons celui de » superviseur. » Ceci nous facilite la tâche en limitant le champ d’observation de chacun, nous permet d’augmenter notre efficacité et de gagner un niveau logique supplémentaire
Le » superviseur «
Nous le souhaiterions et gardien du modèle de Palo Alto et promoteur des progrès de l’intervenant.
Il se cantonne dans l’observation et la critique, sans intervenir dans la résolution du problème.
Son intervention vise le long terme et se fait exclusivement au profit de l’intervenant dans son utilisation et sa pratique du Modèle.
Le détachement par rapport au problème, le recul par rapport à l’intervenant et à sa démarche, le placent en méta-méta-position par rapport au système d’intervention.
Mais c’est un rôle difficile à cerner, et notre position d’apprenant nous focalise plus sur les possibilités d’observation et de compréhension supplémentaires qu’il nous offre, que sur les fonctions de superviseur et de pédagogue qu’il implique. Les deux statuts sont-ils d’ailleurs compatibles?
Facteurs de réussite
Un an après sa création, notre groupe fonctionnait tout à fait régulièrement et de façon suffisamment satisfaisante pour que nous décidions d’en faire le sujet de notre mémoire de fin de formation à l’Institut Gregory Bateson. A quoi tenait sa réussite?
Tout d’abord à un certain nombre de facteurs généraux à toute entreprise collective satisfaisante, mais aussi à certains autres spécifiques à notre sujet de travail, le modèle et sa pratique.
Eléments d’éthique
Ainsi, une motivation commune nous anime; il s’agit de comprendre et de pratiquer un modèle d’intervention que nous découvrons toutes en même temps.
De plus, les règles de fonctionnement ont été élaborées de façon évolutive et par l’ensemble du groupe.
Par ailleurs, la régularité et la rigueur caractérisent nos réunions qui témoignent d’un réel engagement et un respect mutuel.
Enfin, nous avons une conception identique de l’apprentissage pratique qui comprend la succession des phases oser, tester, recommencer; le modèle et notre structure nous y autorisent.
Eléments d’organisation
La présence d’un client avec son problème à résoudre, la définition d’une règle précise et un suivi dans le temps nous permettent de jouer le jeu et d’apprécier, ainsi, la dynamique d’une intervention complète, dans un » cadre thérapeutique. »
Le découpage du temps donne un rythme à l’entretien et contribue au respect mutuel en limitant les interventions » sauvages « .
Enfin, la répartition des tâches constitue une réelle condition d’efficacité, tant pour le client que pour notre apprentissage; elle contribue à la cohérence de la séance, chacun restant seul maître de sa mission. Elle nous donne aussi le bénéfice d’une certaine forme de supervision tout en nous permettant de tester deux niveaux logiques supplémentaires.
On peut considérer que la réussite constitue la qualité émergente de notre système d’apprentissage et de remise en question.
Réussite donc à nos yeux, mais quels sont effectivement les apports et les bénéfices liés à cette forme d’entraînement, tant pour les membres du groupe qu’au niveau de nos acquisitions?
APPORTS ET BÉNÉFICES DE CETTE FORME D’ENTRAÎNEMENT
Apports
• Pour le client-cobaye :
En ce qui concerne notre client-cobaye, je crois que jamais le client ne s’est senti cobaye. Comme il vient avec un réel problème et le voit évoluer, il se sent le centre respecté d’un travail cohérent et profitable.
Comme en témoigne P. après sa huitième et dernière séance : » J’ai toujours eu l’impression d’être seule avec mon interlocuteur principal. […]La non-intervention des » oreilles muettes » est essentielle; elle accentue l’impression d’être seul avec son interlocuteur principal. Les retours, après les interruptions, sont riches. »
De notre point de vue et compte tenu de notre manque de savoir-faire, les meilleures conditions sont réunies pour une résolution effective et rapide de son problème.
• Pour le groupe :
Au niveau du groupe, le petit nombre que nous sommes nous assure une réelle souplesse quant à l’organisation des séances. Il autorise des échanges passionnants et souvent passionnés, d’autant que notre réflexion s’enrichit au fur et à mesure des contacts de chacune avec divers formateurs, dans des sessions différentes.
Il existe une vraie collaboration dans le travail et au fil du temps, d’autres liens se créent et d’autres projets s’élaborent : collaborations professionnelles, relations amicales et participation à un mémoire commun.
Pour moi, le travail en groupe est synonyme d’un engagement qui dope mon intérêt, mon implication et ma créativité et m’oblige à toujours repousser mes limites.
Au sein du groupe, chacun des acteurs y trouve un intérêt selon le rôle qu’il tient.
Intervenant
Ainsi, ce cadre de travail, tout en lui servant de garde-fou, apporte à l’intervenant confort et sécurité.
Il lui permet un réel lâcher prise sur l’obligation de résultat tout en en respectant son client.
L’intervenant dispose d’aides réelles tant au niveau de sa progression générale dans la pratique du modèle, que dans le cadre de ses interventions.
Les échanges avec ses pairs consolident sa position méta par rapport au problème de son client.
Co-intervenant
Quant au co-intervenant, sa position méta par rapport au système d’intervention lui permet une bonne analyse des informations obtenues par l’intervenant et l’amène à mieux maîtriser la grille d’intervention.
Sa position méta-méta par rapport au problème, lui confère souvent plus de pertinence pour l’élaboration de la stratégie et de la tâche dont il est très généralement l’initiateur.
“Superviseur”
En ce qui concerne le » superviseur « , c’est pour moi, un rôle particulièrement intéressant aussi bien du point de vue du bénéficiaire que de celui de l’acteur.
Bien qu’un peu solitaire, car il nous écarte du creuset où se déroulent les métamorphoses du problème, il nous offre une chance rare d’observer et d’appréhender » la circulation de l’information, différence qui fait une différence « , selon l’expression de Gregory Bateson, mais aussi de confirmer le bien-fondé des grands principes du modèle.
Ainsi au fil de nos comptes-rendus, nous pouvons trouver des remarques sur la position basse, sur la maîtrise du cadre ou sur l’argumentation et la perte de la marge de manœuvre.
» La thérapeute s’accroche à la notion de complexité du problème […], elle essaie de convaincre X. qui prend de plus en plus de distance, elle rame et travaille, X. semble s’amuser : c’est elle qui a le problème. » [Extrait de mon compte rendu de la troisième séance de X.]
Dans la tâche de pédagogue, son impact sur la progression de l’intervenant est primordial, mais il nécessiterait vraiment un suivi et un travail de synthèse que nous avons rarement pris le temps de faire.
Dans celle de » superviseur « , sa portée est limitée car en fait, il ne peut être un véritable superviseur, puisque aucune de nous n’est vraiment plus compétente que les autres et que, faisant toutes parties du même système, nous ne pouvons nous observer nous-même.
LES BÉNÉFICES ASSOCIÉS À CETTE FORME D’ENTRAÎNEMENT
Intensifier l’apprentissage du Modèle de Palo Alto
Les confrontations nombreuses sont source de questionnements et de remises en cause incessants. Elles aiguisent notre intérêt et alimentent une réelle réflexion sur des points plus difficiles du modèle.
Par sa structure et sa rigueur, notre forme de travail nous assure de rester au plus près du modèle.
Citons en exemple un commentaire de Béatrice, extrait de notre Mmémoire :
» Je pense que dans ce mini système, la régularité de nos séances, la rigueur d’un fonctionnement, le travail interactif par le regard et les remarques des autres seront mes meilleurs garants. Seule, j’ai l’impression que c’est moins rapide, plus ardu et la porte ouverte à un bricolage personnel de la méthode. »
Le fonctionnement client/intervenant tel que nous le définissons nous permet d’appréhender la dynamique d’une intervention thérapeutique complète.
Développer la performance de l’intervention avec l’exercice à multiples visions
C’est le passage répété d’un rôle à un autre qui nous amène peu à peu à intégrer réellement ce qu’est la méta position et à saisir les divers niveaux de lecture que l’on peut appliquer volontairement à une même situation. C’est pour moi un exercice difficile dans le rôle de l’intervenant ou du co-intervenant, mais qui devient progressivement plus facile quand je suis détachée du contenu par mon rôle de superviseur.
La vision des autres est une aide fondamentale pour améliorer l’efficacité de l’intervention en nous offrant une perspective plus complète sur le système d’intervention et une intégration plus fine de la vision du client, nous conduisant à une élaboration plus adaptée de la stratégie.
Les regards multiples favorisent la compréhension et la pratique du modèle : chacune s’enrichit de beaucoup plus de questions et de beaucoup plus de réponses, mais aussi des regards et des compréhensions parfois divergents qui nous remettent en cause.
Cette forme d’entraînement est aussi un apprentissage en douceur de la position basse : il n’y a pas UNE bonne intervention, d’autres que la nôtre aboutissent très bien et les conseils, apports et critiques, que nous sommes tenues de prendre en compte, sont généralement pertinents et efficaces.
Extrait du mémoire : » L’une de nos règles étant d’accéder aux suggestions des autres, bien souvent, contre mon attente, j’ai trouvé en suivant leurs propositions des fils intéressants, voire plus performants que ceux que je voulais tirer. De l’avantage du regard méta! «
Progresser dans la pratique
L’attribution des rôles permet à chacun de ne faire qu’une chose à la fois et de l’améliorer au fil des séances; grâce à la permutation aucun côté ne sera négligé, ce qui est facilement le cas quand on doit se concentrer sur tous les aspects d’une intervention.
La multiplication des rôles et le la focalisation de l’observation sur des systèmes différents, permet de se familiariser avec une vision plus systémique des situations et nous permet d’acquérir peu à peu un décodage différent des problèmes qui nous sont soumis.
Enfin, nous testons la co-intervention sans espace ni matériel spécifiques et nous bénéficions d’une certaine forme de supervision pour nous aider dans notre progression, ceci dans un cadre rigoureux et… stimulant (!), si l’on en croit l’un de mes commentaires:
» M. est une personne dont il est très difficile d’obtenir des informations concrètes et précises […]; l’insistance de mes comparses dans ce cas est indispensable, et elles me persécutent sans arrêt pour me forcer à pousser mon questionnement. «
Ce travail d’analyse et de synthèse sur notre expérience a été pour moi l’occasion d’y porter un regard totalement nouveau.
Nombreux sont les parallèles que j’ai alors pu établir entre le fonctionnement de notre groupe et le modèle de Palo Alto, comme si l’accès à une meilleure pratique nous imposait, de fait, d’en adopter les prémisses. Se pose alors à moi cette question » de l’influence du modèle sur son apprentissage?
« Notre groupe de travail, une métaphore du Modèle de Palo Alto?
Un client selon Palo Alto
Dans notre groupe, chacune de nous souhaite un changement, car chacune de nous souffre du même problème: « insatisfaction face à ce qui existe en matière d’apprentissage « .
Chacune a tenté d’y remédier : nous avons chacune pratiqué les exercices en cours, tenté des interventions en formation ou dans notre cercle professionnel ou familial, cherché des explications, lu des ouvrages adaptés.
Nous sommes toutes prêtes à tenter autre chose, et pour cela nous sommes en quête d’un cadre adapté au changement.
Nous sommes donc toutes clientes selon la définition du modèle de Palo Alto.
Alors, si le groupe devient le cadre propice au changement individuel et fonctionne selon les prémisses du modèle de Palo Alto, le cadre thérapeutique est en place et doit conduire au changement attendu.
Mais les parallèles ne s’arrêtent pas là.
Une attitude constructiviste
Tout d’abord, lors de notre formation au Modèle de Palo Alto, l’absence d’une structure vraiment satisfaisante pour nous, nous amène à modifier notre cadre d’apprentissage pour en construire un plus adapté à nos besoins. Or en cela, nous ne faisons qu’appliquer un principe du constructivisme qui, rappelons-le, constitue l’une des prémisses du modèle de Palo Alto, et selon lequel » chacun construit sa vision de la réalité et a la possibilité de la modifier. »
Au début de notre travail en groupe, le respect des autres et la position basse sont des attitudes toutes « éthiques » que nous cherchons à adopter, mais qui bien souvent cèdent devant le désir de faire valoir notre point de vue ou notre stratégie ou d’être celui qui » résout » le problème. Lors de l’instauration du découpage des séances (qui nous oblige à différer nos interventions) et de la distribution des rôles (qui nous amène à fonctionner à des niveaux différents tout en renforçant les diverses interactions), ces attitudes s’installent d’elles-mêmes, comme si elles découlaient obligatoirement de l’adoption de la vision constructiviste.
Une lecture systémique
En nous détachant de l’ensemble des autres stagiaires et en constituant ce groupe, où nous sommes toutes en interaction, qui évolue comme un tout et qui va peu à peu s’organiser pour fonctionner avec un meilleur rendement, nous avons créé notre propre » système apprenant » qui va peu à peu s’organiser pour mieux fonctionner avant de trouver son équilibre.
Afin de pratiquer plus efficacement, nous modifions les règles en distribuant des rôles et en nous mettant à pratiquer des » interventions thérapeutiques « , organisant par-là ce système global en un empilement de sous systèmes, multiples et transitoires qui constituent le » système intervenant » et dans lequel on peut déceler :
Un premier système qui nous vient de l’extérieur, constitué par [le client /son entourage] : le « système problème. »
Le second système englobe [l’intervenant/le client-et-son-problème] et doit permettre de délimiter efficacement ce « système problème » sans être absorbé par lui, afin d’y susciter le changement souhaité ; c’est le » système thérapeutique » classique.
Comme garantie et pour en renforcer l’efficacité, nous l’incluons dans un nouveau système comprenant [le co-intervenant/ » système-thérapeutique. « ] C’est le » système de la co-intervention. »
Pour comprendre vraiment la façon dont le travail thérapeutique se déroule, en saisir les mécanismes précis et en augmenter les possibilités d’impact, le rôle classique du superviseur introduit le dernier système, englobant le [ » superviseur « /l’ensemble-des-autres-systèmes].
En parallèle existe un petit système constitué par le [critique /l’intervenant-dans-le-maniement-des-outils].
Notre démarche est une mise en œuvre d’une autre des prémisses du modèle.
Une intervention stratégique
Mais, cette démarche, structurée et interventionniste, visant à résoudre notre problème d’apprentissage et qui aboutit à l’instauration et au respect d’un cadre de travail ne peut pas échapper au rapprochement avec l’aspect stratégique de l’approche de Palo Alto dans sa façon d’envisager le changement.
Des emprunts à la cybernétique
Par ailleurs, pour sortir de la douce anarchie qui règne lors de nos premières séances, nous procédons par ajustements successifs de notre fonctionnement, chaque modification visant à résoudre un problème, mais pouvant également soulever une autre difficulté. Nous mettons ainsi en pratique, l’autorégulation et utilisons les fameux feed back négatifs et positifs de la cybernétique, autre fondement de notre modèle.
Les apports de la communication
Enfin, le passage d’un rôle à l’autre nous permet de mieux apprécier toutes les facettes de la communication et d’observer la circulation de l’information, base essentielle à toute approche interactionnelle.
De nombreuses possibilités nous sont ainsi offertes : classification des informations (faits, idées, croyances…), distinction entre contenu d’une information donnée par le client et le sens véhiculé au niveau de son problème, relevé des inférences, perception des implicites contenus tant dans l’information du client que dans sa prise en compte par l’intervenant. Elles constituent autant d’occasions d’affiner notre stratégie et notre compréhension de la vision du monde de notre client, mais nous permettent aussi de concrétiser un peu la notion de niveaux logiques, point majeur du travail sur la communication dans les familles de schizophrènes de l’équipe de Bateson à Palo Alto.
Toutefois, même en l’asseyant sur de telles bases et en la présentant de façon aussi idéale, notre forme d’apprentissage n’en appelle pas moins certaines critiques.
EN CONCLUSION : LIMITES ET PERSPECTIVES
Notre structure a été mise en place pendant notre formation et il me semble que ceci est primordial : nous bénéficions à tout instant de la possibilité de remettre en cause nos positions au cours des séances de formation, toute divergence de nos visions peut trouver un arbitre en chacun de nos formateurs, les questions épineuses et les doutes trouvent également leur réponse auprès d’eux.
Sans ce recours possible, l’apport d’une telle entreprise est certainement beaucoup plus limité, et le cadre n’exclut pas, à lui seul, les mauvaises interprétations, les dérives et les approximations ; la fidélité au modèle reste plus dépendante de la personnalité des acteurs.
Même si le fait de pratiquer en co-intervention réduit un peu la nécessité d’un superviseur, nous avons souligné précédemment les limites liées à l’absence d’un » vrai » superviseur dans notre pratique.
De plus, comme le dit Béatrice : » Le groupe, qui ne peut inventer ce qu’il ne sait pas, me prouve à l’évidence que nous n’avons ni le temps ni la systématisation pédagogique requise pour [faire] passer, dans notre pratique, nos savoirs. »
Autre lacune, notre mode de travail confond en fait deux systèmes différents. Notre » système apprenant » de départ a mis en place un » système intervenant » pour résoudre son problème de pratique. Fonctionnant de mieux en mieux ce dernier semble tendre vers son point d’équilibre, et cette homéostasie s’opère au détriment de notre système d’origine : nous sommes dans la résolution de problème et plus dans l’apprentissage. Ainsi, tout en sachant que l’un des rôles visait le long terme, nous n’exploitons pas la richesse qu’il nous apporte et que nous offrent également nos divers comptes rendus.
Et si chacune est en position favorable pour observer le fonctionnement des autres, il n’en demeure pas moins que le groupe ne peut toujours pas s’observer lui-même. Nous sommes à nouveau confrontées à l’une de nos limites de départ.
Enfin, l’ensemble étant plus que la somme des parties, rien ne garantit que, chacune retournant à sa pratique individuelle, conserve bien le fonctionnement acquis en groupe.
Malgré ces réserves, notre groupe a toutefois atteint son but : pratiquer et mieux maîtriser.
Il nous a permis également de mieux apprécier l’efficacité et la portée du Modèle de Palo Alto dans un cadre d’intervention thérapeutique. Comme j’ai essayé de le montrer, il est de plus, porteur d’une puissance et d’une richesse que seules maîtrise et pratique régulière permettent de libérer.
Dans cette perspective, il serait dommage de le cantonner à l’intervention professionnelle ; le poser en règle de vie personnelle permettrait peut-être de contribuer au développement d’une autre forme de pensée et de gestion des rapports humains.
© M. Orvoën/Paradoxes