Communication à la farandole de la neuvième journée de Rencontre de Paradoxes, 16 octobre 2010
Bruno BOUSSUGE, coach
En quelques mots pour me présenter :
Je développe une activité de coaching, qui n’est pas pour l’instant mon activité principale. Je suis dans le civil cadre marketing en entreprise de services. J’ai commencé ma formation au coaching en 2007 avec un cursus universitaire à Paris VIII et en 2008 à l’école du paradoxe où je termine le 3ème cycle cette année. Je fonde ma pratique sur le modèle de Palo Alto. C’est le premier modèle que j’ai choisi d’apprendre. Je ne suis pas influencé par d’autres modèles ou techniques auxquels je me serais préalablement formé. Mais à la mise en œuvre, et au long de l’apprentissage du modèle, je ressens néanmoins a priori des réflexes issus de mon parcours introspectif personnel et l’influence d’une culture dominante qui repose sur les rapports de causalité linéaire et un mouvement général tendu vers l’objectif.
Modestement je me propose de partager avec vous comment je vis ma pratique naissante avec l’idée d’utiliser le modèle de Palo Alto. Au stade où j’en suis, de la construction de repères professionnels, loin de moi l’idée de maîtriser le modèle qui m’apparaît passionnant au niveau des prémisses systémiques et constructivistes, puissant dans sa dimension stratégique, disruptif dans son approche paradoxale, et aussi (encore) assez compliqué à mettre en œuvre. Une intervenante lors de la journée de Rencontre de Paradoxes en 2009 estimait sur le ton de l’humour le temps de maturation entre 10 et 20 ans pour comprendre et utiliser le modèle. De quoi alimenter un auto-freinage bienvenu. Tout va bien donc, je suis dans le timing.
Je vais illustrer mon propos à travers une situation de coaching personnel récente.
Christian est un cadre infirmier en milieu hospitalier qui gère un service d’accueil d’urgence. Le responsable formation de l’hôpital pense qu’un coaching lui fera du bien. Christian a choisi mon CV parmi plusieurs. Considéré comme un professionnel consciencieux et impliqué, le responsable formation me parle de Christian, comme d’une personne un peu démotivée et lasse de son travail, le coaching pouvant être comme une respiration dans son quotidien professionnel, une prise de recul par rapport à son métier. Christian souhaitait faire une formation de coaching qui n’a pas été accordée pour des raisons administratives. Suivre un coaching lui permettra ainsi d’expérimenter la chose. Le cadre est hybride. Puisqu’il s’agit d’un tri-bipartite. 5 séances payées par l’institution mais laissées à l’initiative de Christian en termes de contenu.
Un thème de coaching peu ou prou défini, une personne potentiellement peu positionnée cliente, de surcroît formée à la psychologie, ce qui à mes yeux de jeune coach, apparaît comme une difficulté supplémentaire. Voilà une mission pas évidente. Voulant m’assurer que ce coaching était dans mes cordes, je propose une rencontre préliminaire qui nous permettra de faire connaissance et de confirmer que je me sens en capacité de travailler avec Christian, et à Christian de confirmer qu’il a envie de travailler avec moi. Je le sens tendu, agité, fatigué, je vois les traits de son visage tirés. Je me laisse aller. Je vais à la rencontre. Je le remercie d’avoir retenu mon CV et lui dis que l’entretien de prise de contact sert à nous confirmer ou infirmer l’envie de collaborer. Nous nous présentons l’un à l’autre. A l’issue de cet échange de 30 minutes, le contact établi, une détente perceptible, nous décidons d’un commun accord de travailler ensemble.
Quelques extraits pointillistes des échanges.
« Puisque vous avez 5 séances prises en charge par votre employeur, puisque vous avez envie d’expérimenter de l’intérieur une séquence de coaching, et puisque vous avez la liberté du sujet à traiter, sur quelle situation souhaitez-vous que nous travaillons pour que ces 5 séances de coaching soient le plus utile pour vous ? »
Deux pistes sortent de sa réflexion:
1. Revenir sur ses pratiques managériales (il me raconte avec force détails – sans doute trop, je suis un peu embarqué – ce qu’il a fait depuis 18 mois. Il en avait bavé de prendre une équipe qui connaissait de grandes tensions qu’il avait réussi à apaiser). Bon. Ne se dégage pas de cet échange de problématique particulière. Il considère s’en être bien sorti même s’il s’est beaucoup fatigué. C’est une possibilité de travail. Quand je lui demande s’il voit d’autres situations, il dit :
2. Formuler une perspective d’évolution professionnelle. Ce sera cette deuxième proposition qui semble plus intéressante pour Christian.
Je fais la construction suivante :
Objectif : formuler une perspective d’évolution professionnelle
Problème : je me sens mal de ne pas avoir de perspective professionnelle
Thème des tentatives de solution : il faut impérativement que je formule une perspective d’évolution professionnelle
Vision du monde : sans perspective professionnelle établie, je manque de dynamique, je ne sais pas où je vais. C’est insécurisant et démotivant.
Intervention en freinage :
« Compte tenu de votre rythme actuel, exigeant, soutenu, lié à votre responsabilité d’un service d’urgence, il semble très difficile de prendre le temps de recul pour élaborer un projet. Peut-être n’est-ce pas le bon moment ou pas les bonnes circonstances ? De combien de temps disposez-vous pour définir avant de changer de poste ? 18 mois, cela semble laisser un peu de temps. Il est préférable de prendre le temps de la réflexion car c’est une dépense d’énergie considérable que d’investir dans un nouveau travail ou une nouvelle orientation professionnelle. Le temps d’échange que nous avons au cours des séances est un temps de mise à distance qui, peut-être, mais ce n’est pas sûr, participera à l’avancée de votre réflexion. »
En fait, Christian avait déjà une idée de ce qu’il souhaitait faire et ne plus faire. Il m’a raconté comment jusqu’à présent il avait procédé pour toujours formuler l’étape suivante de son parcours. Ce qui apparaît comme une difficulté potentielle à ce stade, pour se projeter, est le fait d’avoir peur de reprendre des études. Difficulté liée à une expérience malheureuse avec un directeur de mémoire retors. L’amalgame dissipé entre faire des études et la difficulté d’une relation douloureuse avec un référent enseignant, le champ des choix possibles est plus large.
On n’est pas à l’abri du coup de chance.
Il se trouve qu’à la troisième séance, on lui a proposé un nouveau poste qui, bien que ne répondant pas à tous les critères énoncés, représente, selon lui, un mieux par rapport au poste actuel, notamment par une gestion plus structurée du temps (ce n’est plus un service d’urgence), de nature à laisser davantage de temps à une réflexion de s’élaborer. Nous consacrons la séance sur ce point.
A la quatrième séance, Christian m’apprend qu’il a choisi d’accepter son nouveau poste en négociant le principe d’un financement d’une formation. Nous programmons la dernière séance 3 mois plus tard, après ses vacances.
Dernière séance. Il n’a pas avancé dans sa réflexion de perspective mais il est détendu. Il va prendre son nouveau poste dans 2 mois. Il ressent un peu d’appréhension. C’est une bonne chose de rester en vigilance au moment de prendre un nouveau poste où il y aura une phase d’adaptation et de prise de repères.
J’ai observé qu’il s’était détendu au fil des rencontres. Je ne sais pas au juste ce qui a été le plus utile pour lui et ce n’est pas important. Je ne sais pas où il en est de sa problématique de projet professionnel. Il le reformulera sans doute à l’aulne de l’expérience de son prochain poste.
Pour conclure je voudrais partager une réflexion. Paradoxalement, les prémisses scientifiques de Palo Alto se connectent, selon moi, à une forme d’humanisme. Je m’explique. La personne est compétente et dispose des ressources lui permettant faire face aux situations qui se présentent à elle. C’est sur ce constat que repose l’originalité de l’intervention paradoxale. La dimension non typologisante donnée par les prémisses constructivistes induit une grande liberté et un respect profond du client, et face à la complexité induite par les prémisses systémiques s’impose l’humilité de l’intervenant. Ces aspects donnent selon moi, beaucoup d’humanité à un modèle qui pourrait en première approche sembler un peu froid.
© Bruno Boussuge / Paradoxes