Communication à la XVIème journée de Rencontre de Paradoxes, le 7 octobre 2017
Hommage rendu par Georges Elkan, Chantal Gaudin et Irène Bouaziz
Georges Elkan :
C’est Irène, qui pleine de confiance en ma connaissance de l’hypnose, qui était pratiquement du niveau début de CP m’avait convoqué, au début de ce siècle, pour participer à un groupe autour de François Roustang.
Ça se passait rue de Naples à Paris, à son domicile, un jeudi soir par mois. Ça s’est poursuivi plusieurs années. Nous étions un groupe de six à huit. Nous venions réfléchir, apprendre comprendre, et, les bons soirs simplement faire avec l’hypnose.
Nous nous rassemblions avant 20h30 dans le hall de l’immeuble, puis, le dernier étant arrivé, nous attendions (il était souvent question d’attente avec Roustang) que l’un de nous sonne à son interphone. Etre en groupe nous aidait à être réguliers à ces rendez-vous mensuels et à y trouver notre place face à Roustang malgré la diversité de notre bagage culturel, théorique et technique.
Nous ne tardâmes par à appeler entre nous Roustang « le maître ». Lui aurait refusé de l’être. Il nous avait fait remarquer, un soir d’obséquiosité trop lourde, qu’il n’avait ni disciple, ni élève.
Pendant deux heures, il était avec nous, ouvert, dans l’attente de nos expériences, de nos découvertes. Il nous guidait dans l’assimilation de sa conception de l’hypnose, nous demandait de travailler, orientait nos lectures. Etre dans l’attente pour lui se référait à la qualité si particulière de sa disponibilité à notre égard. Nous nous répétions souvent, lui rabâchions notre compréhension de son œuvre, de sa pratique. Quand il nous trouvait en accord avec ce qu’il voulait transmettre, cela relançait sa réflexion et le dialogue qui s’ensuivait semblait le satisfaire. Quand il répondait « c’est tout-à-fait ça », c’était souvent que nous n’avions pas perçu ce qu’il voulait transmettre. Pour nous y aider, il repartait de notre position et, dans la discussion, nous amenait à changer notre posture avec l’espoir que nous comprenions son idée du moment.
Il nous y aidait aussi par la pratique. Plusieurs fois, il nous a rappelé sa conception de la pédagogie qui était une métaphore de ce qu’il concevait du processus thérapeutique. Le maître peut expliquer une fois, voire deux, ensuite, la seule façon d’apprendre pour l’élève est de faire ce que le maître lui demande.
Il disait que limitée à une expérience rassurante et réconfortante, ou au contraire laissant le patient face au vide, l’hypnose n’apportait aucun changement. L’hypnose, c’était être dans l’attente du changement, dans la disponibilité qui faisait qu’après avoir complètement regardé le problème, ceci étant rendu possible par la présence et la disponibilité du thérapeute, il fallait le changer. « Faites-le », était alors sa seule consigne.
Un dernier souvenir des expériences hypnotiques qu’il nous proposait. Au début, il prenait soin d’induire notre état hypnotique, cela durait plusieurs minutes. Les dernières années, il disait seulement « Mettez-vous en hypnose, vous savez le faire ». Il devait nous reconnaître certains tics du métier à défaut de savoir et de maîtrise suffisants pour oublier tout savoir et toute maîtrise.
Nos rencontres se sont arrêtées à sa demande. Il nous a parlé de l’énergie que lui demandait la disponibilité à nos côtés et de la fatigue qu’il en ressentait.
Un tout dernier souvenir, la bouteille de vin, toujours du rouge, qu’alternativement chacune et chacun de nous apportait, et dont le partage était devenu notre rituel à ses côtés.
Peut-être ce dernier souvenir est-il le seul qui pourra être reçu comme conforme au leur par les autres participants. J’espère si les fantômes existent, que celui de Roustang sera aussi indulgent devant ces reconstructions de ma mémoire que lui l’était quand je lui débitais, forçant mon silence, contre-sens et platitudes.
Chantal Gaudin :
Je suis incapable de tracer une frontière délimitée entre un avant et un après François Roustang, j’ai l’impression d’une lente infusion d’idées qui se poursuit encore aujourd’hui. Il est certain que les quelques années de rencontres mensuelles et la lecture de ses livres ont profondément influencé ce que je suis aujourd’hui, comme personne et comme thérapeute.
En octobre 2005 lors de l’une de nos supervisions Roustang m’avait pétrifiée sur ma chaise en me disant qu’il avait lu et trouvé très intéressante ma communication au 4ème forum de la CFHTB à Saint Malo (Danger de vie, danger de mort ?) Il a même surenchérit : elle lui avait beaucoup plu ! Je me dis aujourd’hui que c’est sans doute parce que la situation évoquée était si tragiquement désespérante que je ne faisais rien !
En présence de ces parents d’une jeune femme gravement anorexique, Je ne faisais rien d’autre qu’être assise avec eux, totalement impuissante, et du coup peut-être capable de les rejoindre. Roustang avait laissé entendre qu’il comprenait que je m’accroche à ma méthode palo altienne pour me rassurer, qu’il était nécessaire sans doute d’en passer par là, mais que la thérapie s’était jouée quand j’avais admis que je ne pouvais rien faire. Je crois que c’est dans cette même session qu’il avait dit « impuissance et désespoir sont les 2 mamelles de la transe ». Encore aujourd’hui je ne suis pas certaine de comprendre ce qu’il voulait dire par là, mais il avait ce talent de semer des idées et de les laisser faire ce qu’elles voulaient de nous !
Alors je me raconte que la bonne conjonction pour un changement serait que le désespoir du patient rencontre suffisamment d’impuissance chez le thérapeute pour que cesse cette crispation sur une volonté de changement spécifique et que la vie suive son cours. Ou pour le dire en langage batesonien : faire taire les buts conscients pour ne pas entraver la co-évolution.
Ceux qui ont eu la chance de côtoyer François en supervision savent comment il procédait : Il vous installait dans votre situation problématique et toute son attitude, sa qualité de présence, son attention vous injonctaient d’y rester, sans tergiversations… C’était assez intenable il faut bien le dire… L’intellectuelle raisonneuse que je suis avait bien du mal à se laisser dépouiller de ses outils. Mais il fallait en passer par là pour que mon regard change… Lui, il savait attendre. Il incarnait cette attitude du thérapeute qu’il a résumée en 3 mots dans « savoir attendre pour que la vie change » : Attention, sérénité, silence.
Ma marge de progression pour le silence est encore immense !
Tout ça a l’air affreusement sérieux mais comme vous l’a dit Georges la convivialité autour d’un bon vin et de quelques amuse-gueules était toujours au rendez-vous, et j’ai le souvenir de belles rigolades également, y compris quand il nous a fait le plaisir, après la fin du groupe, de partager quelques dîners avec nous. A mes yeux, il aimait profondément la vie et les gens, et je lui suis très reconnaissante de nous avoir supporter tant qu’il a pu.
Irène Bouaziz :
François Roustang, c’est un peu mon Gregory Bateson à moi.
Il a été le premier que j’aie entendu parler de l’hypnose sans me donner des boutons. C’était à la télévision à l’occasion de la sortie de son livre « Influence » en 1991. Ensuite, je ne l’ai plus quitté… enfin à travers ses livres, ses conférences et séminaires, jusqu’à ce jour magique de 2004 où il a accepté, à la demande d’un de nos collègues, de nous prendre dans un petit groupe en supervision pour quelques années.
L’an dernier, quelques jours avant sa mort, nous assistions à un colloque organisé par l’Association Française pour l’Etude de l’Hypnose Médicale sur le thème : l’hypnose de François Roustang – Itinéraire d’un chercheur. Les orateurs se sont succédés pour parler de lui, de son œuvre… Lui qui ne voulait surtout pas faire école a inspiré bien des thérapeutes, chacun trouvant chez lui quelque chose de différent au point que l’on pouvait se demander s’il était bien question du même homme.
Mon Roustang à moi était un fin connaisseur de l’œuvre de Bateson avec qui il partageait un goût prononcé pour le non-vouloir. Quand Bateson parlait de co-évolution par opposition au but conscient, Roustang parlait de l’indifférence du thérapeute. Indifférence au sens où le résultat ne fait pas de différence.
Lors de notre première séance de supervision, en décembre 2004, il nous a parlé de Jean-François Billeter, de Bateson et de sa conception du rôle du thérapeute. J’avais soigneusement noté ses propos : « notre travail de thérapeute est de se mettre dans l’état de non intention, on ne sait rien, on ne veut rien avant même que la personne ne soit là ».
Il m’a fallu des années pour comprendre et intégrer ce qu’il avait dit là.
Si je me sentais parfaitement en accord avec sa vision interactionnelle, sa façon de prendre en compte le contexte, sa conception de la disposition du thérapeute et ses propos sur le paradoxe, nous étions régulièrement en désaccord sur certains sujets. J’avais du mal à comprendre comment il pouvait être dans le non-vouloir tout en poussant au changement avec ses « faites-le » insistants. Il me semble aujourd’hui qu’il disait quelque chose comme : « cessez de vouloir le faire, faites-le ». Les quelques fois où il m’a fait le coup, quand je lui soumettais un problème, j’avais trouvé l’expérience plutôt désagréable. Je m’étais sentie en quelque sorte obligée de me débarrasser de mon problème sous peine de passer pour une idiote.
Il trouvait que ce que nous faisions dans nos thérapies Palo Altiennes était trop compliqué (il disait gentiment : trop intelligent). Lorsqu’il m’avait vue faire une démonstration, ici même en 2006, il m’avait simplement dit : « trop de mots ».
Le minimalisme radical de son injonction « faites-le » aux personnes venues demander un changement me paraissait parfaitement inaccessible, tant pour la plupart des patients, que pour la plupart des thérapeutes. Quand je lui disais : « il faut être Roustang pour faire une chose pareille », il se mettait en colère.
Quant à sa théorie de l’inexistence de la relation thérapeutique… Je vais devoir patienter encore quelques décennies avant de prétendre y comprendre quelque chose.
Mais une chose est certaine, ces années de travail avec lui ont profondément imprégné ma façon de mettre en œuvre l’approche de Palo Alto. L’absence d’intention spécifique dans l’utilisation de la stratégie paradoxale m’apparait aujourd’hui être la seule posture cohérente et vraiment respectueuse. C’est aussi la plus difficile à acquérir et à conserver.
Merci François.
© Georges Elkan, Chantal Gaudin, Irène Bouaziz/Paradoxes
Pour citer cet article : G.Elkan, C.Gaudin, I.Bouaziz, Souvenirs de François Roustang.
https://www.paradoxes.asso.fr/2017/10/souvenirs-de-francois-roustang/
Communication à la XVIème journée de Rencontre de Paradoxes, le 7 octobre 2017