Communication à la XVIème journée de Rencontre de Paradoxes, le 7 octobre 2017
Pierre-Jacques Barthe, consultant et coach
Illustrations de Jacques Barthe
Les formations au coaching, comme de nombreux articles sur le sujet, insistent sur la nécessité de distinguer coaching et thérapie. Des avertissements répétés nous alertent sur les contre-indications à un coaching, sur la frontière à ne pas franchir avec la thérapie.
Avec toutes ces mises en garde, il y a de quoi s’interroger et hésiter devant certains cas : Est-ce du coaching ou de la thérapie ? Si certains définissent le coaching comme « la thérapie du bien portant » et que la thérapie est « une manière de traiter une maladie » que deviennent ces définitions dans le modèle non normatif et non pathologisant de l’Ecole de Palo Alto ?
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Quelles distinctions faire selon que l’on s’adresse à des coachs ou à des thérapeutes pour présenter l’Intervention Systémique Paradoxale ?
Suffit-il de remplacer le mot de « Client » par celui de « Patient » et celui de « coach » par celui de « thérapeute » ? Ces questions sont venues confronter ce que j’avais appris dans ma formation de coaching : « Vous ne devez pas confondre coaching et thérapie ». Plusieurs cas d’accompagnements individuels m’ont ensuite amené à m’interroger : Comment me positionner vis-à-vis d’une demande ? Est-ce de mon ressort ? Approfondir ces questions avec un regard systémique et constructiviste, est devenu pour moi nécessaire.
Dans la formation universitaire « pratique du coaching », parmi les nombreux cours sur les différentes approches d’accompagnement, il y a une sorte d’intrus, celui qui s’intitule : « contre indications au coaching ». Ce module qui cherche à délimiter la frontière entre coaching et thérapie, explicite ce sur quoi le coaching ne doit pas s’appliquer en ces termes : « Le processus de coaching ne peut pas prendre en charge des symptômes invalidant gravement la vie quotidienne du sujet » ; « le coaching ne peut pas analyser les défenses qui structurent la personnalité et intervenir dessus » ; « le coaching ne peut pas réparer un passé traumatique en retissant des liens avec son histoire » ; « le coaching ne peut pas soigner la souffrance psychique ». Venait ensuite une série de descriptions comme la psychose et la perversion,… sur lesquelles il est interdit d’intervenir en coaching. Dans la littérature, de nombreux articles viennent renforcer cette idée. Ils nous invitent vivement à faire la différence entre coaching et thérapie. S’il est toujours fait référence à une classification des maladies mentales, l’ordre qui est adressé au coach n’est pas toujours très clair s’agit-il de : « Tu ne dois pas coacher sur des problématiques professionnelles apportées par des personnes souffrant par ailleurs d’une maladie psychique ! » ou « tu ne dois pas coacher sur des problématiques relevant d’une maladie psychique ! ».
Une brève recherche étymologique vient confirmer que le mot thérapie est bien en lien avec la notion de maladie. Il vient du grec ancien « therapeia » qui veut dire « cure, prendre soin de, soigner, traiter ». Au XVII siècle, la médecine s’empare du terme « thérapeute » pour désigner « les personnes qui étudient puis appliquent les moyens de soigner une maladie ». La distinction entre thérapie et coaching est donc, avec ces définitions, ramenée à la question : « la personne souffre-t-elle d’une maladie psychique ou pas ? ».
D’un point de vue systémique, nous ne comprenons pas les comportements comme résultant de qualités propres à une personne mais comme une adaptation à un contexte donné. En conséquence, nous ne nous référons pas à la notion de maladie mentale pour qualifier le comportement d’une personne. En chaussant ces « lunettes Palo Altienne », nous considérons juste que ces personnes ont un comportement tellement différent de la majorité que la « vie » peut être difficile pour eux ou pour l’entourage. Dans ce référentiel, la distinction entre coaching et thérapie, qui renvoie à la maladie mentale, ne peut pas être appréciée en général.
Si dans un référentiel constructiviste et systémique, la question coaching versus thérapie (malade / pas malade) ne peut servir de repère, comment peut faire un coach palo altien pour se positionner sur la prise en charge ou pas de certains clients? En fait derrière l’interrogation : « Puis-je ou pas accompagner cette personne ? », deux natures de question se posent :
La prise en compte du contexte spécifique de la demande du client et du contexte sociétal
La première question tient au contexte de l’intervention. Elle revient à la question : « Cette demande relève-t-elle de l’accompagnement que je suis censé donner dans ce contexte?». La prise en compte du contexte se fait à deux niveaux, celui spécifique de l’intervention et le contexte sociétal.
Dans le cadre d’un coaching en entreprise, par exemple, il s’agit de prendre en charge uniquement des problématiques professionnelles. Il convient d’explorer précisément le contexte de la demande pour se positionner clairement vis-à-vis de celles qui sortiraient du champ professionnel.
Au delà du contexte de l’entreprise, il y a le contexte sociétal qui considère qu’un coach n’est pas la « bonne » personne pour traiter des problèmes relevant de ce qu’elle considère être des troubles mentaux. Il revient donc au coach de se positionner également en prenant en compte ce contexte. Dans ce but, je me pose plusieurs questions au moment de la prise en charge mais aussi pendant toute la durée de l’accompagnement : « Suis-je la bonne personne ? Ce client a-t-il besoin d’un autre type d’aide que celle que je lui apporte ? Ce client est-il en danger ? Ce client représente-t-il un danger pour les autres ? … »
Autant de questions auxquelles il n’est pas toujours facile de répondre seul, elles nécessitent l’aide d’un superviseur et/ou d’un collègue ou ami psychiatre. Si nécessaire, j’oriente vers un médecin ou une structure médicalisée.
La qualité de la relation avec le client
La deuxième question interroge notre capacité à surmonter l’effet que produit sur nous les particularités de certains de nos clients. Cela revient à interroger notre capacité à rester dans la découverte et la compréhension de « la logique de pensée de notre client ». Ce questionnement peut amener à découvrir des logiques de pensées ou de fonctionnement qui viennent heurter nos propres valeurs. Notre intervention peut alors être entravée par notre propre vision du monde sur la personne que nous accompagnons et venir dégrader une qualité de relation indispensable à l’accompagnement.
Le fait d’adopter un regard constructiviste, qui considère qu’aucune réalité n’est meilleure ou moins bonne qu’une autre, pourrait nous amener à faire le « forcing » dans l’acceptation de la différence avec nos clients. Même si cette posture nous pousse à la découverte et l’acceptation de l’autre, elle doit trouver sur son chemin nos propres limites « d’être humain ».
Si le référentiel systémique et constructiviste, en supprimant la catégorisation entre « malade » / « pas malade », peut rendre plus difficile le positionnement du coach vis à vis de certaines demandes, il offre, de mon point de vue, un réel avantage dans la relation d’aide et dans la résolution des problèmes apportés par nos clients.
Prendre le temps d’explorer la logique de fonctionnement du client sans classer ses comportements dans des « cases »
Le fait d’associer les comportements à des typologies limite les possibilités de prendre en compte la personne dans sa singularité. Le simple fait de qualifier la maladie d’une personne revient à rendre prévisibles et prédictibles ses comportements et donne des explications standardisées au fait qu’ils se produisent. Avec cette façon de penser, de nombreuses questions peuvent échapper au coach, auquel il ne vient pas à l’idée d’interroger des comportements qui rentrent dans les évidences d’une typologie de personnalité. Le regard constructiviste qui invite à questionner notre client, sans à priori sur l’origine de ses comportements, permet de découvrir sa logique de fonctionnement. Pousser ce regard plus loin pour découvrir la cohérence dans laquelle les comportements de notre client s’inscrivent, peut avoir, pour lui, un effet recadrant. Il permet de donner à notre client une nouvelle explication à des comportements qui jusque là étaient, pour lui, attribués à une maladie.
Ce type de questionnement « inhabituel » pour notre client, est de plus une opportunité de lui dire des choses entre les lignes telles que : « vous êtes logique donc vous n’êtes pas malade », « Vous êtes compréhensible par l’autre». Autant de messages implicites qui tendent à considérer notre client comme compétent, en capacité d’agir, ce qui peut lui permettre de trouver de petits « arrangements » face à des difficultés jusque là considérées comme insurmontables.
Prenons le cas de Monsieur A, un jeune homme de 17 ans, qui est en terminale. Monsieur A se décrit comme quelqu’un de très mal à l’aise en société, très timide, n’osant pas se faire des camarades, ayant des difficultés à prendre le métro aux heures de pointe, … Il vient pour un problème très précis : « il est tétanisé lorsqu’il est interrogé en classe ou pendant des entretiens alors qu’il connaît parfaitement la réponse ». Il a vu des psychologues et des psychiatres, mais « ils ne me comprennent pas !» dit-il. Les sessions d’accompagnement ont essentiellement porté sur la découverte de sa logique de fonctionnement. Il se disait très déductif et mathématique, j’ai utilisé ce langage pour découvrir son propre mode de fonctionnement et notamment ce qui se passait lors de ces fameuses interrogations. Par des schémas fonctionnels il a décrit ce qui se passait exactement pour lui, la logique de succession d’événements et comportements qui se produisaient jusqu’à une sorte de paralysie pour lui. A la fin, il me dit : « c’est étrange comment je fonctionne non ? ». Il a trouvé par la suite de petits arrangements, non pas pour faire disparaitre le stress mais pour l’abaisser à un niveau acceptable pour lui…
Regarder un symptôme comme un message
Pendant les séances de coaching des comportements de nos clients peuvent nous mettre dans l’embarras : une crise de panique d’une cliente, un homme qui pique une colère virulente contre son patron comme si il était présent. Ces comportements peuvent créer, pour le coach, une difficulté au point que poursuivre la séance en restant centré sur sa stratégie devient impossible.
Face à ces situations, le regard systémique permet de décoder ces comportements comme des messages qui sont envoyés au coach plutôt que comme les symptômes d’une maladie qui peuvent le tétaniser. « Quel message m’adresse mon client par son comportement ? », « Quelle réponse à la question que je viens de poser me donne-t-il? » sont des questions qui donnent des informations très précieuses pour la mise en place de notre stratégie d’intervention.
C’est le cas de Mme L qui vient dans le cadre d’un coaching de particulier. Madame L est en grande hésitation devant un choix de carrière. Elle est très anxieuse et elle est suivie par un psychiatre en parallèle, qui lui donne des anxiolytiques pour calmer ses crises d’angoisses. Lors d’une séance de coaching Mme L arrête subitement le dialogue, se lève en s’excusant et prends dans son sac des médicaments sans expliquer ce qui se passait. Elle se rassoit et reste 1 à 2 longues minutes muette. Je me sens extrêmement désemparé mais après quelques minutes nous continuons la séance. J’étais complètement déstabilisé par ce comportement. « Puis-je continuer à accompagner cette personne ? » était une question que j’ai amenée à mon superviseur peu de temps après la séance. Repenser dans un référentiel systémique, considérer ce comportement comme un message dans le contexte de la séance : une réponse « Non » à la question que j’avais posé juste avant : « Est-ce le bon moment pour vous de faire ce choix professionnel ? ».Cela m’a permis de sortir d’une situation de blocage et de retrouver une stratégie d’intervention.
Une question de vision du monde de l’intervenant… et du client
Dans un référentiel constructiviste et systémique, qui ne nie pas l’existence de la maladie mentale, mais ne la voit pas comme qualifiant le comportement d’une personne, la distinction entre coaching et thérapie ne peut globalement pas être appréciée. Si l’adoption de ce référentiel peut complexifier la décision du coach de prendre en charge ou pas une demande d’accompagnement, elle offre par ailleurs de nombreux avantages. En proposant une autre façon d’intervenir cette approche peut aider un plus grand nombre de personnes (celles et ceux qui n’iraient jamais voir des psychiatres de peur de passer pour des malades, ceux qui sont déjà allé voir des psy et qui n’y ont pas trouvé une démarche qui leur convient, … ). Dans tous les cas il est indispensable de continuer à nous questionner sur les limites de ce que nous pouvons faire en tant que coach, que ce soit par rapport à la situation spécifique de la personne, par rapport à son entreprise ou au regard de la société toute entière.
© Pierre-JacquesBarthe/Paradoxes
Pour citer cet article : Pierre-JacquesBarthe, Coaching ou thérapie : une question de vision du monde.
https://www.paradoxes.asso.fr/2017/10/coaching-ou-therapie-une-question-de-vision-du-monde/
Communication à la XVIème journée de Rencontre de Paradoxes, le 7 octobre 2017