Communication à la XIVème journée de Rencontre de Paradoxes, le 17 octobre 2015
Sandra Huppe – urbaniste au CAUE27
Le Conseil d’Architecture, Urbanisme et Environnement est une association dont la mission principale est le conseil et la formation aux élus locaux dans les domaines précités. L’application de l’approche systémique paradoxale a permis de faire évoluer radicalement la posture adoptée par les professionnels du CAUE lors de leurs interventions. On constate un impact direct sur la mise en capacité d’agir des élus qui donne une nouvelle dimension aux formations, bien au delà du simple apport d’expertise technique. Dans le cadre de conseils sur des questionnements plus ciblés, le décodage de la situation (contexte, problème, objectifs, visions du monde…) se révèle être un outil très efficace au service de l’aboutissement des projets locaux.
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Les Conseils d’Architecture d’Urbanisme et d’Environnement (CAUE) sont des associations de type loi 1901 reconnues d’utilité publique dont l’action est structurée autour de quatre principales missions dans les domaines de l’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement :
– le conseil aux collectivités ;
– le conseil aux particuliers ;
– la formation des élus et professionnels ;
– l’information et sensibilisation du grand public.
Les interventions des CAUE ne sont pas situées dans un cadre marchand et n’ont pas vocation à se substituer aux professionnels de l’ingénierie privée ou publique. Le positionnement des CAUE se situe en amont, dans le conseil à la définition des besoins et à la qualification de la commande de projet, non dans la réalisation du projet. Le CAUE27 est composé d’une équipe de sept urbanistes, paysagistes et architectes qui interviennent sur le territoire de l’Eure, en Normandie.
L’Eure est un département très rural aux portes de Paris : les communes comme les intercommunalités sont de taille très modeste (le département comprend 675 communes dont 85 % comptent moins de 1000 habitants) et l’ingénierie publique est quasi inexistante dans ces collectivités locales. Il n’existe aucune formation initiale obligatoire ou facultative pour être élu. Ceux-ci doivent cependant faire face à toutes les compétences et responsabilités que portent les collectivités locales et ce, sans ingénierie en interne.
Dans un contexte législatif très mouvant sur les champs de l’organisation territoriale, de la planification, de l’application du droit des sols, de la fiscalité, de l’environnement et des normes architecturales, les élus sollicitent abondamment le CAUE, souvent car ils ne savent pas « comment s’y prendre » et estiment ne pas avoir assez de matière pour décider quoi faire et comment. Les professionnels du CAUE27 sont bien souvent appelés « en pompiers » sur des problèmes déjà bien installés ou dans des situations de blocage du projet. Les élus espèrent alors que la solution se dessinera d’elle même à travers l’expertise technique apportée.
La situation est cependant rarement si simple, il n’existe pas de solution idéale mais des solutions avec pour chacune ses avantages et inconvénients. Le choix entre les différentes possibilités nécessite un positionnement, l’expression d’un parti-pris. Et ce parti-pris ne peut être légitimé que si les enjeux du territoire et les objectifs des élus ont été clairement définis en amont.
Lorsque le CAUE est appelé pour un conseil sur un problème de gestion du territoire ou sur un projet « bloqué », sa mission consiste in fine à ce que l’élu se positionne sur la nécessité d’agir ou non et, si celui-ci estime qu’il y a nécessité à agir, à l’aider à passer à l’action. Le CAUE27 s’est rendu compte que, très souvent, le simple apport d’expertise technique ne suffit pas au passage à l’action. Au delà de cet apport d’expertise, il faut trouver les leviers qui mettront l’élu en capacité d’agir. Dans ce cadre, l’approche de Palo Alto est intéressante pour les professionnels des CAUE car elle permet d’adapter son positionnement dans l’intervention et de redonner de la souplesse au système lorsque celui-ci est trop rigide et bloque le projet.
Dans la posture à adopter face aux élus, le questionnement d’anthropologue permet de cerner la problématique énoncée et la vision du monde de l’élu, elle aide aussi grandement à contextualiser et à ne pas plaquer une réponse toute faite d’expert parachuté (le fameux « ne m’en dites pas plus, je sais ce qu’il vous faut ! »). Cependant, adopter immédiatement et ouvertement une posture basse sur le conseil demandé paraît difficile car l’élu nous place de facto dans une position haute d’expertise. Il nous considère et fait appel à nous en tant que « sachant » venant lui apporter de l’information, du conseil. Quand bien même le problème tel qu’énoncé par l’élu n’est pas un problème au sens palo-altien du terme, adopter une position basse dans la relation et dire plus ou moins directement « je ne suis pas là pour trouver une solution pour vous » revient souvent à heurter sa vision du monde. Dès lors, comment faire en sorte que la position haute qui nous est attribuée et qui fait partie de la vision du monde de l’élu ne vienne pas l’« écraser » par la suite, le freiner dans son passage à l’action ?
Nous avons constaté que l’établissement d’un équilibre « d’expert à expert » est souvent très aidant. En tant que professionnels du CAUE27 nous sommes aux yeux de l’élu un expert du domaine sur lequel nous sommes questionnés et nous essayons de faire se positionner l’élu comme un expert de son territoire. Il le connaît dans sa composition, son fonctionnement, son système d’acteurs… Rétablir cet équilibre « expert du domaine/expert du territoire » rend l’élu co-constructeur de la solution. Nous apportons un éclairage technique, il l’applique à sa commune. Etant un expert de son territoire, l’élu est le mieux placé pour faire les choix qui engagent ce territoire. La prise de conscience de sa responsabilité en tant qu’élu n’est plus un frein mais assoit sa légitimité à agir et à assumer les choix qui sont faits. Non seulement il prend la décision mais il est d’avantage en capacité de l’appliquer par la suite.
L’exemple qui suit vient illustrer ce que peut apporter l’approche de Palo Alto en redonnant de la souplesse à un système trop rigide. Cette situation peut paraître anecdotique mais est assez représentative des problématiques auxquelles peuvent être confrontés les élus des petites communes.
Le CAUE27 a été appelé par une commune de 250 habitants qui avait reçu en legs une maison à rénover en plein centre-bourg, entre la salle des fêtes et la mairie, et une somme d’environ 100 000 €. Pendant deux ans les débats avaient animé les conseils municipaux successifs, mais maintenant que la procédure de legs touchait à sa fin, il fallait que les élus se décident. Alors que l’argent servirait à rénover le bien, il s’agissait de se positionner sur l’usage futur de cette maison : fallait-il en faire un gîte à louer ponctuellement avec la salle des fêtes et qui pourrait servir en semaine de salle des associations ou fallait-il en faire un logement communal et le louer pour accueillir de nouveaux habitants sur la commune ?
Malgré l’apport d’information par le CAUE sur l’estimation des travaux à faire dans les deux cas, les subventions et partenariats possibles, les avantages et inconvénients de la gestion de tels biens, le conseil municipal restait figé avec la moitié des élus pour une solution, l’autre moitié pour l’autre et le maire au milieu, qui avait son avis, mais ne voulait pas trancher. Nous nous retrouvions typiquement dans une situation où l’expertise technique ne suffisait pas. En analysant le système d’acteurs autour de la table, en questionnant la vision du monde de chacun, nous avons perçu que le choix des élus n’était pas basé uniquement sur des considérations techniques et factuelles mais sur un jeu de soutien de certains à d’autres. Le questionnement sur l’avenir de cette maison faisait ressortir d’anciens griefs. Dès lors, le travail a consisté à redonner de la souplesse au système en les questionnant sur deux niveaux : leur choix en tant que personne et leur choix en tant que garant de l’intérêt général.
Chacun a été invité à s’exprimer sur la question suivante : Quel serait le risque que ce legs devienne ce que vous ne voulez pas :
– pour vous ?
– pour la commune ?
A la suite de ce questionnement, les positions étaient moins radicales. Le maire nous a confirmé que la présence d’un tiers aux réunions de conseil avait permis plus d’écoute et de respect des élus entre eux. Très peu de temps après, c’est la solution du gîte/maison des associations qui a été choisie à l’unanimité. Les travaux seront prochainement lancés.
Le code de l’Urbanisme s’ouvre sur les phrases suivantes : « Le territoire français est le patrimoine commun de la nation. Chaque collectivité publique en est le gestionnaire et le garant dans le cadre de ses compétences ». Le rôle de l’élu, quelque soit l’échelle de sa mandature, est de faire des choix et de mener à bien les projets qu’il considère comme nécessaires pour son territoire et les habitants qu’il administre. L’exemple de la commune rurale présenté précédemment peut paraître relativement simple. Cependant, l’émergence de nouveaux enjeux environnementaux, sociaux et économiques et la multiplication des acteurs impliqués, portant chacun leurs intérêts propres, complexifient considérablement la prise de position des élus et le portage des projets territoriaux. On mesure dès lors l’importance de l’ingénierie d’accompagnement et d’animation et l’intérêt que représente l’approche de Palo Alto dans l’aide à la décision, de l’amont à l’aboutissement du projet.
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© Sandra HUPPE/Paradoxes
Pour citer cet article : Sandra Huppe, Quand l’approche de Palo Alto aide les élus à décider. 2015. www.paradoxes.asso.fr/2015/10/quand-l’approche-de-palo-alto-aide-les-elus-a-decider