Communication à la XIIème journée de Rencontre de Paradoxes, 5 octobre 2013
Brigitte le CHEVALIER, coach en entreprise et clown acteur social
Cette prise de parole sera l’occasion d’interroger sérieusement (ou pas) différents aspects tels que : la présence à soi et à l’autre dans une improvisation, dans une intervention : des ponts et/ou des fossés ; la disponibilité pour accueillir l’imprévu selon le « rôle » dans lequel je me situe ; le regard naïf du clown et le regard d’anthropologue du systémicien, des regards cousins ou pas ? ; la prise en compte des informations venant de l’autre et ce que j’en fais en tant que clown, en tant qu’intervenante avec le modèle ; le clown apprenti ou champion de la position basse ; et enfin, le clown est de passage, il vient de quelque part et repart vivre sa vie : qu’est-ce que cela peut nous dire en tant qu’intervenant avec nos clients ?
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En débutant la rédaction de cette prise de parole, je me suis demandé ce qui avait été à l’origine de ma présence aujourd’hui ici.
Une hypothèse, c’est que mes pratiques du modèle de l’intervention systémique paradoxale et de l’improvisation clown me font vivre les mêmes montagnes russes : des exaltations quand « ça » marche ou quand je pige, et de profonds abattements quand finalement c’est pas « ça » du tout et que l’envie de « tout » arrêter rôde. D’où le titre de ce texte « enthousiasmes et déconfitures ».
Brigitte Le Chevalier ©Paradoxes
Pourtant ces deux pratiques ont pour moi des ponts que je vous propose d’emprunter avec moi durant ces quelques minutes. J’ai choisi 4 ponts en partant du personnage du clown, avec des illustrations de moments d’improvisation vécus.
Premier pont : disponibilité à soi, à l’autre
Quand j’interviens comme clown dans un foyer d’enfants handicapés, par exemple, un indicateur de mon « succès » est d’être là, dans la rencontre avec l’autre là où il est, là où il en est. Cela suppose être au contact de mes ressentis, de mon « état » du moment qui sera ma matière de jeu. Et aussi d’être présente dans la relation à l’autre sans a priori ni projet, cet autre qui va m’inspirer, me donner du jeu, me surprendre, avec qui ça va « jouer » ou pas. Je me souviens de Lola, petite fille blonde avec de grosses lunettes qui pleurait parce que ses difficultés de vision l’empêchaient de voir une fissure dans le mur. Or, tout le monde était concentré sur cette fissure parce que les clowns avaient mis le doigt dessus et faisaient leurs commentaires sur l’état déplorable du mur récemment refait. Lola, il a suffi que l’un de nous te voie, te demande ce qui se passe, te prenne la main et t’emmène voir le mur de plus près et ton visage s’est éclairé de la joie d’avoir compris comme les autres. Se rendre disponible à ce qui est là, si simple à dire, si compliqué à vivre.
Si seulement, quand j’interviens avec le Modèle, je pouvais débrancher ces voix (dont certaines sont présentes dans cette salle, et depuis deux jours, une troisième voix s’est ajoutée, celle de Karin …) qui me disent « ta stratégie, fais avec la vision du monde du client, sois pertinente dans ton questionnement, lance des ballons et tu verras bien ceux qui seront attrapés, sans rien induire … » et simplement me centrer sur mon client, sur ce qu’il exprime, utiliser mes antennes pour comprendre comment c’est chez lui. Si seulement, dans le jeu, je pouvais faire taire cette autre voix qui me susurre « et après tu fais quoi ? » avec un zeste de panique. Voilà donc un premier pont bien solide pour aller et venir et tenter de progresser sur les deux rives.
Deuxième pont : une histoire de regard
Le clown porte un regard naïf et émerveillé sur ce qu’il voit, rien n’est anodin pour lui, ce qui peut parfois lui donner un air un peu simplet. Comme le disent Jean-Bernard Bonange et Bertil Sylvander, co-fondateurs du Bataclown, le clown est en empathie avec le monde. Quand on se forme au Modèle, nous sommes conviés à questionner comme un anthropologue ou comme un martien, en mettant à distance nos connaissances, nos repères, grilles d’analyse et habitudes de pensée. Et nous sommes aussi invités fermement à croire aux ressources de notre client. Pas toujours simple quand le dit client nous expose ses difficultés de long en large. Le clown avec son optimisme « existentiel » peut me faire profiter de son extraordinaire aptitude à être touché par l’autre, le partenaire, le public, le client et à croire en lui sans relâche. Voilà un nouveau pont à parcourir régulièrement.
Troisième pont : traiter l’information
Dans l’improvisation clown, tout fait jeu, tout est matière : le bruit d’un avion qui passe, un camion poubelle dans la rue, un partenaire qui hésite, le public qui s’exprime, tout peut prendre sens, avec son regard de clown. Et bien sûr, il n’y a pas un sens, pour le clown tout est possible. Un exemple : Rose rentre dans une pièce où trois acteurs silencieux sont assis 2 d’un côté de la table, l’autre en face … après un temps d’observation, l’image s’impose : c’est un examen ! Puis un doute … ou alors, un entretien d’embauche ? Mais non, c’est un mariage, bien sûr … Le clown propose une hypothèse fondée sur ce qu’il voit et à chaque fois il y croit, il la fait vivre corporellement, il nous la donne à voir, sans s’y accrocher quand une nouvelle idée surgit. Quand j’interviens avec le Modèle, je range dans la Grille, je fais des Hypothèses, parfois je me surprends à les asséner à mon client comme des Vérités Intelligentes avec un grand V et un grand I et à lui « vendre » avec l’énergie d’un télé-conseiller en volets roulants ou en double vitrage. Je suis trop souvent dans mon cerveau, coupée de l’information qui se déroule devant moi. Voilà donc un pont qui aurait bien besoin d’être consolidé !
Quatrième pont : position basse
Le clown est un personnage qui vit à fond ce que la vie lui propose. La fameuse position basse n’est pas son truc car il se montre d’une extrême ambition dans tous ses projets même s’il est parfois / souvent rattrapé par la chute, l’échec. La fragilité fait partie des risques qu’il prend, qu’il n’a pas peur de montrer. Pompon « joue « à être le grand chef d’orchestre philharmonique de Berlin mais bien sûr ça ne va pas forcément se passer comme il le souhaite. Un peu comme nous avec nos clients, d’ailleurs. Pour autant, ce quatrième pont a plutôt des allures de fossé, car il me semble que la position basse nous attire vers une humilité et une posture de « non-savoir » vis à vis de nos clients que le clown ne partage pas. Les deux rives ne vont peut-être pas se rejoindre là.
J’avais dit 4 ponts, mais vous savez que ça ne se passe pas toujours comme on l’a prévu, alors me voilà engagée sur un cinquième, un « pont de singes ». Sur cette passerelle très légère et instable je veux évoquer la préparation.
Quand je vais intervenir en clown, il y a un moment très important, c’est le moment des coulisses, ce temps excitant et flippant d’avant l’entrée en scène. Moment d’habillage où l’acteur investit le personnage du clown, avec sa forme, sa couleur, son style du jour. C’est aussi un moment où, selon la formule consacrée, l’acteur ou l’actrice se « charge » d’énergie, d’émotions (ou pas !), de ressentis, avant de rentrer sur scène. L’idée c’est de se demander dans quel « état » je suis ? Excité, apeuré, impressionné, ennuyé, fatigué, triste, furieux ? En improvisation, ma première matière de jeu c’est celle là : comment je me sens dans la situation présente, ici et maintenant, sans rien préparer, puisque c’est de l’improvisation. Parfois seule, parfois avec un partenaire, le jeu commence souvent déjà là. Alors forcément, ça me fait me demander comment ça se passe avec mes clients, comment je me prépare, comment je m’habille, et avec quoi, pour être vraiment là à fond avec l’autre pour vivre ce qu’il y a à vivre aujourd’hui. Qu’est-ce qui va faire que je suis prête à y aller ? je n’ai pas de réponse aujourd’hui mais ça me donne envie de continuer à y penser, même si la traversée sur ce pont branlant n’est pas de tout repos.
Notre promenade s’achève. Le clown est de passage et repart vers d’autres projets, avec des traces de ce qui s’est passé. Quelles traces de cette prise de parole pour moi dans mes différentes pratiques, dans les vôtres ? En conclusion, dans la vie d’un clown comme d’un intervenant systémique, une seule certitude : improviser, ça ne s’improvise pas !
©Brigitte le Chevalier/ Paradoxes
Pour citer cet article : Enthousiasmes et déconfitures : des ponts entre ma pratique de l’improvisation clown et mes tentatives d’intervention avec le modèle de Palo Alto.
www.paradoxes.asso.fr/2013/10/enthousiasmes-et-deconfitures-des-ponts-entre-ma-pratique-de-l’improvisation-clown-et-mes-tentatives-d’intervention-avec-le-modele-de-palo-alto
