Communication à la XIème journée de Rencontre de Paradoxes, 13 octobre 2012
MBE, DRH
Après 20 ans de vie professionnelle comme psychopédagogue puis consultante RH – au terme de bien des aventures pour réaliser ce qui était un vrai rêve – je suis enfin devenue DRH. Au bout de quelques années, j’ai dû travailler sous une forme qu’on appelle hypocritement « management » de transition. Et donc accepter une grande précarité, le tout sur fond de situations délicates, voire hostiles. Pour autant chaque matin, quand j’ai la chance d’être en poste – heu pardon, en mission – je me dois d’arriver de bonne heure et de bonne humeur. Et j’y parviens la plupart du temps. Sachez que je soupçonne Palo Alto d’y être pour quelque chose. Alors… merci Palo Alto ?
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J’ai été élevée par des parents portés par les 30 glorieuses qui m’avaient promis que, si j’étais bien sage, j’aurais un mari pour la vie, des enfants, une maison, une TV, une auto. Alors imaginez ma stupeur quand j’ai dû faire face – assez classiquement somme toute – à des accidents de la vie et qu’il m’a fallu parfois raisonner en termes de survie.
Après 20 ans de vie professionnelle comme psychopédagogue puis consultante RH – au terme de bien des aventures pour réaliser ce qui était un vrai rêve – je suis enfin devenue DRH. Première déception : selon moi qui estimais avoir été plutôt sage, ça n’avait pas été de la tarte ; passons…
Au bout de quelques années, j’ai dû travailler sous une forme qu’on appelle hypocritement « management de transition ». En effet, pour pouvoir continuer d’exercer ce métier que j’aime énormément, il m’a fallu accepter de le faire dans la plus grande précarité et uniquement en situation délicate, voire en milieu hostile. Sur notre marché du travail, être vieille ne pardonne pas. La seule façon que j’ai de travailler est de le faire en CDD sur des postes à la définition peu claire, dans des milieux en crise, où on ne me déroule pas le tapis rouge quand j’arrive. Ajoutez à ça le fait que ces CDD sont entrecoupés par des périodes chômage et vous aurez ainsi le tableau complet.
Malgré tout chaque matin, quand j’ai la chance d’être en poste – heu pardon, en mission – je dois, comme l’indique un témoignage sur le site de l’APEC, être « en mesure de (m)’impliquer dans le développement économique de (l’) entreprise pour contribuer au business et jouer pleinement (mes) rôles de miroir et de conseil. (Je dois) aussi être un ingénieur social pour parvenir à une meilleure régulation des effectifs et prévoir l’accompagnement professionnel et personnel des salariés, en particulier celui des managers». Le tout, avec le sourire, toutes adaptabilité, disponibilité et compétences multiples dehors.
Et si j’y parviens depuis 6 ans, si malgré tout je ressens un plaisir sans cesse renouvelé d’être DRH, c’est sans doute parce que Palo Alto y est pour quelque chose.
Alors… Merci Palo Alto ?
Il faut savoir que Palo Alto m’accompagne dès la préparation de mes entretiens de recrutement ainsi que lors des entretiens eux-mêmes. Et j’avoue que je n’ai toujours pas compris pourquoi on me recrute, moi, après m’avoir entendu dire toutes les trois phrases en entretien : « Sans doute, peut-être, je ne sais pas, on verra… » dans l’ordre ou le désordre ! J’imagine que c’est parce que personne n’a pour l’instant remarqué Palo Alto m’appuyant des deux mains sur les épaules…
Cependant lorsque j’arrive en mission, je suis clairement en position haute sur les basiques de mon métier, quoi que ça veuille dire. Je connais mon job. Je suis expérimentée. Je suis DRH et j’aime ça. De transition, et je sais faire.
Pour le reste, Palo Alto et moi, on verra…
Au boulot, Palo Alto se transforme souvent en petite voix intérieure face aux « J’ai tout vu, j’ai tout fait, rien ne peut me surprendre » qui m’envahissent quand je me prends pour la reine du monde – ce qui arrive – en ripostant : « Du calme, la ferme, concentration, stop ! » et autres claques salutaires.
Je sais parfaitement que les salariés et le comité de direction se sont parfaitement rendu compte que la DRH de transition que je suis – certes toujours dynamique – passe de façon troublante d’un air intelligent et sévère et à un air passablement débile quoique souriant.
Car j’ai deux casquettes :
Avec la première, je dis le bien et le mal : je fais appliquer la loi, les règlements, les processus.
– Il faut m’entendre quand je fais une mise en garde à un technicien qui ne fait pas ce que son manager lui demande, ou que je donne un avertissement à un opérateur qui arrive tout le temps en retard ou à un cadre qui défie les règles de sécurité !
– Il faut me voir quand je fais préparer au codir des congés d’été par roulement !
Dans ces cas-là, à moi la position haute !
Avec la seconde, j’offre l’occasion de venir bricoler autour d’un problème, si toutefois celui qui vient à moi est client (sinon j’écoute, point) :
– Valentine voudrait arrêter de penser à son manager qui l’embête dès qu’elle sort du boulot et d’en parler en pleurant à son mari car ça met ce dernier en colère, il veut venir casser la tête au manager et ça plombe la vie de famille ? Palo – qui veille au grain et qui a surveillé que je faisais preuve d’une réelle empathie et que j’avais les moyens de vendre une tâche – me souffle de prescrire des séances d’écriture dans un cahier et des pleurs avant de rentrer à la maison. La chute de l’histoire : il n’y aura pas de cahier et plus de pleurs mais Valentine pourra passer à autre chose.
– Sasha veut virer Hamid parce que ce dernier ne respecte pas ses consignes et Hamid s’estime harcelé par Sasha ? Palo Alto m’inspire un plan d’amélioration pour Hamid, plan conduit par moi-même (il faut savoir quand même qui représente l’autorité dans l’entreprise !) et destiné à placer une méthodologie au milieu du bazar pour inviter chacun à porter un autre regard sur la situation sans que personne ne perde la face. La chute de l’histoire : les deux protagonistes achètent mais j’aurai le plus grand mal à leur faire terminer le travail sur ce plan car très vite ça ne les intéressera plus, ils seront passés à autre chose.
Dans ces cas-là, Palo m’appuie sur les deux épaules pour me faire tenir en position basse !
Même quand je suis seule avec moi-même, Palo s’en mêle…
Dans certaines situations, puis-je faire quelque chose ? Souvent ; Palo Alto me répond : « Non ! ».
Puis-je changer le Directeur Marketing qui me crie dessus en devenant tout rouge et en tremblant, de préférence quand je suis seule avec lui le soir dans l’open space : « Tu es totalement incompétente, tu ne fais pas ton boulot ! » ? Là, Palo Alto me répond « non » et ajoute « tire toi ! ». Alors je me tire. Arrêter les tentatives de solutions en fuyant à toutes jambes, mon Palo Alto à moi m’a dit que c’était permis !
Puis-je rendre tous les salariés heureux et ce, à 100% ? Palo Alto me conseille de réviser mon objectif à la baisse en problématisant les situations au préalable et en établissant des plans d’action contextuels, de mon ressort et qui risquent d’être efficaces… ou pas… Et ça donne des initiatives de ma part aussi ambtieuses que : penser à donner de l’information sur les humains lors de réunions du personnel : nouveaux arrivants, évolutions de carrière, naissances, projets divers… Initiatives audacieuses pour lesquelles on me remercie.
Il arrive aussi qu’avec le codir, Palo s’en mêle aussi sous la forme subtile de questions que mes collègues ne se sont jamais posées.
– Le codir : « Fais-nous un plan de rétention des salariés car Pierre a démissionné ».
Palo et moi : « Mon expérience me montre que la motivation est individuelle, subjective, conjoncturelle. Un plan de rétention ne peut qu’être la réponse à un problème. Lequel ? En quoi une brillante réponse trouvée par moi-même et qui s’appellerait « plan de rétention » peut-elle être plus attractive que celle que le salarié a trouvé en allant voir ailleurs ? En quoi un plan de rétention pondu du haut de ma grandeur de DRH va-t-il résoudre le problème ? »
Stupeur dans la salle…
– Le codir : « Il faut reprendre la fabrication du petit journal interne. »
Moi : Pour quoi faire ?
??? Regards perdus…
D’une manière générale, étant donné que je m’occupe d’Humains et d’organisations, je veille à aiguiser mon regard systémique. Et j’ai profondément confiance dans la capacité des systèmes à évoluer favorablement pour peu qu’on les laisse agir. Plus ça va, plus je sais prendre ce qui vient.
J’essaie de ne pas trop penser. J’ai foi dans les capacités d’évolution des systèmes. Palo ne cesse de me rappeler que tout n’est que construit. Donc que tout peut changer. Alors je veille à faire une vraie place à l’imprévu.
La vie, c’est comme dans le slogan de la société Kiloutou : « Kiloutou loue (presque) tout » : tout est (presque) possible.
Quelquefois, j’ai l’impression que moins j’en fais, plus ça se met en mouvement.
Palo Alto m’a appris à lâcher, à faire confiance… aux autres et à moi.
Cependant Palo me pose un gros problème : sa démarche est difficile à « marketter ». Il faut dire que : « faut voir, je ne sais pas, laissons faire » n’est guère vendeur. Pas plus que l’air idiot qui accompagne souvent mes propos.
D’ailleurs il m’arrive régulièrement de serrer les fesses en me disant : « Ils vont me virer, c’est pas possible autrement, ils vont me lyncher et/ou me virer !!! ».
Car on peut croire que je me fous de beaucoup de choses. Ce qui est un peu vrai. Et, du coup, je ne sais pas trop si c’est ça qui me permet de survivre en milieu hostile ou si c’est vraiment Palo Alto…
©MBE / Paradoxes
Pour citer cet article : MBE. De l’art de la survie en milieu hostile : une DRH de transition sauvée par Palo Alto. 2012.
www.paradoxes.asso.fr/2012/10/de-lart-de-la-survie-en-milieu-hostile-une-drh-de-transition-sauvee-par-palo-alto/