Communication à la XIème journée de Rencontre de Paradoxes, 13 octobre 2012
Pascal JACQUELIN, coach et professeur agrégé d’anglais
Cette intervention vise à démontrer en 7 minutes (1) en quoi l’apprentissage de l’approche paradoxale s’apparente à l’apprentissage d’une nouvelle langue ; (2) en quoi l’approche paradoxale peut s’appliquer à l’apprentissage d’une langue étrangère ; et par conséquent (3) en quoi, l’approche paradoxale s’applique à l’apprentissage de l’approche paradoxale.
—
Durant ces quelques minutes je vous invite à me rejoindre dans ma vision du monde, une vision du monde fortement colorée par ma formation initiale de linguiste et de professeur d’anglais. Je n’ai donc pas pu m’empêcher de dresser un parallèle entre l’apprentissage de l’approche paradoxale et l’apprentissage d’une nouvelle langue.
Tout d’abord en quoi l’approche paradoxale peut-elle être considérée comme une nouvelle langue ?
Une langue, c’est quoi ? C’est de la grammaire, du vocabulaire et une manière différente de penser.
Commençons par la grammaire. Quand on pense grammaire, on pense généralement aux temps grammaticaux. Justement dans l’approche paradoxale, le temps doit être réappris car il n’est plus linéaire ; il est circulaire. Ça commence fort.
Quant au vocabulaire, il y a bien sûr du nouveau lexique, notamment celui issu de la systémique. On doit donc apprendre à utiliser de nouveaux mots et expressions tels que homéostasie, équifinalité, ou qualité émergente. On doit aussi se familiariser avec les mots « maison » de l’École du Paradoxe, par exemple confusionner, « empather » pour « faire preuve d’empathie » ou encore « bougeage » pour « assouplissement de la vision du monde ». Et puis il y a des faux amis tels que le mot « ponctuation » qui ne fait plus référence aux points et virgules et le mot « problème » qui n’est pas sans poser problème puisque lorsqu’un client nous dit que son problème, c’est qu’il « n’arrive pas » à faire quelque chose, il nous faut comprendre qu’il exprime là un objectif et non un problème.
Quant au nouveau mode de pensée de cette nouvelle langue, il s’agit, bien entendu, du paradoxe. Son acquisition est difficile puisque le paradoxe va, par définition, à contresens de ce que nous dicte notre intuition.
Maintenant, en quoi l’apprentissage de l’approche paradoxale s’apparente-t-il à l’apprentissage d’une nouvelle langue ? Au début, quand on apprend une nouvelle langue, la quantité des connaissances à gérer est limitée. Les exercices sont faciles et l’on a l’impression de progresser rapidement. Mais très vite la quantité des connaissances augmente et en situation réelle le cerveau doit opérer un choix entre toutes ces nouvelles informations. Et c’est là que le cerveau cafouille. Au mieux on a l’impression de stagner et au pire de régresser. L’apprentissage semble suivre une succession de cycles avec des périodes de progression, stagnation et régression. Douloureux apprentissage.
Bien sûr, tout comme pour une langue vivante, l’approche paradoxale ne se maîtrise pas en trois mois. Son apprentissage se fait sur plusieurs années , il génère des frustrations et exige de la pratique. La thérapie est peut-être brève mais son apprentissage est long.
Voyons maintenant comment l’approche paradoxale peut s’appliquer à l’apprentissage d’une nouvelle langue. En d’autres termes comment est-ce que j’applique l’approche paradoxale quand j’enseigne l’anglais ?
Tout d’abord je commence toujours par freiner les ambitions de mon client, si tant est qu’il soit « client », au sens Palo-Altien du terme. Les clients pensent généralement que pour apprendre l’anglais, il faut en faire plus. Mais toutes ces années passées à « apprendre » l’anglais dans l’éducation nationale semblent démontrer le contraire. C’est pourquoi, je leur dis d’en faire moins. Je les invite à se contenter de venir assister aux cours : less is more.
Une autre technique que j’utilise, c’est le recadrage. Par exemple, si un client me dit qu’il craint de ne pas paraître professionnel lors d’une réunion parce que son anglais n’est pas à la hauteur, je l’invite justement à commencer la réunion en annonçant à ses interlocuteurs que son anglais est limité : « Expliquez qu’il est très important que la réunion soit productive et que vous allez donc vous permettre de faire répéter vos interlocuteurs si vous n’êtes pas certain de bien comprendre et, bien sûr, invitez vos interlocuteurs à vous demander de répéter s’ils ne vous comprennent pas. Vous montrerez ainsi que votre souci premier est celui de l’efficacité. » La recherche d’efficacité étant un signe de professionnalisme, en indiquant dès le départ qu’il ne parle pas bien anglais, mon client fait ainsi preuve de professionnalisme. Et voilà un client recadré et surtout plus confiant et prêt à travailler.
Bien sûr je prépare aussi mes clients à la rechute. Au bout de plusieurs années on peut avoir l’impression d’avoir progressé au point de parler couramment. Mais on a de fortes chances de rencontrer un locuteur natif dont l’accent est à couper au couteau, de ne pas comprendre des expressions régionales ou de ne pas saisir des références à des émissions télévisées. Les langues vivantes sont un apprentissage permanent et une leçon d’humilité.
Comme je vous l’ai dit, l’apprentissage de l’approche paradoxale est un processus douloureux pour moi. Alors comment ai-je fait pour survivre jusqu’à présent ? Eh bien, je me suis appliqué le paradoxe à moi-même.
Au début, j’avais tout un tas de problèmes. Je me disais: « mon problème c’est que je n’arrive pas à définir le problème de mon client » ou bien « mon problème, c’est que je n’arrive pas à poser une question stratégique ». Jusqu’à ce que je réalise que ces problèmes n’étaient pas des problèmes : c’étaient des objectifs !
Alors j’ai creusé un peu plus pour m’apercevoir que mon problème était un problème de dissonance cognitive. En d’autres termes j’étais victime de contradictions internes entre mes croyances et la réalité. D’un côté, je pensais être intelligent, mais de l’autre, les faits semblaient me prouver le contraire. J’ai donc dû rationaliser. Autrement dit, je me suis recadré tout seul. Comment ai-je fait ? Je me suis dit que, justement, l’apprentissage de l’approche paradoxale, c’était un peu comme l’apprentissage d’une nouvelle langue. Il ne me viendrait pas à l’idée d’envisager d’apprendre une langue en trois semaines. Je ne pouvais donc qu’en conclure qu’il me faudrait plusieurs années pour maîtriser le paradoxe. Tout comme une langue, cela allait me demander du temps, générer des frustrations et exiger de la pratique. Et je savais que les erreurs seraient indispensables à mon apprentissage.
Dans la foulée je me suis également préparé à la rechute. Il est à peu près certain que je rencontrerai des clients dont les problèmes me sembleront inextricables. Mais je sais qu’on ne maîtrise jamais la complexité de la réalité.
Voilà pour cette démonstration qui n’en est pas une.
Pour conclure, je ne peux pas m’empêcher de vous « confusionner » est un peu plus en vous laissant avec un faux paradoxe. Nous avons vu que l’approche paradoxale est une nouvelle langue. Nous avons aussi vu que l’approche paradoxale est l’outil qui permet d’apprendre une nouvelle langue. Je ne peux donc pas maîtriser la langue sans utiliser l’outil mais je ne peux pas non plus utiliser l’outil sans maîtriser la langue. Il semblerait donc que l’apprentissage de l’approche paradoxale soit voué à l’échec. Et pourtant ça marche. Je vous laisse méditer sur les nombreuses failles de ce raisonnement et je vous remercie de votre attention.
© Pascal Jacquelin/Paradoxes
Pour citer cet article : Pascal Jacquelin. Approche paradoxale et apprentissage d’une nouvelle langue. 2012. www.paradoxes.asso.fr/2012/10/approche-paradoxale-et-apprentissage-dune-nouvelle-langue