Communication à la neuvième journée de Rencontre de Paradoxes, 16 octobre 2010
Nathalie Vallet Renart, consultante, formatrice et biographe
Lors d’un séminaire de cohésion d’équipe, une équipe de techniciens de vente et d’après-vente d’une société d’assurance a travaillé sur le thème de la fidélisation client… J’ai proposé de nous servir du langage métaphorique pour aborder le sujet. Deux éléments de complexité se sont alors présentés: tout d’abord, nous ne sommes pas tous à l’aise pour nous exprimer en langage métaphorique, enfin la métaphore est avant tout pertinente pour celui qui l’énonce.
La question est vite devenue la suivante : comment faire en sorte que chacun « produise » une métaphore et que plusieurs d’entre elles, voire toutes, se rencontrent pour devenir LA métaphore de la fidélisation dans laquelle l’équipe entière se reconnaitra ?
Le thème de ma communication est l’utilisation de la métaphore dans des actions d’amélioration de la cohésion d’équipe.
J’ai structuré mon intervention en trois temps. J’exposerai tout d’abord des éléments du contexte ainsi que la réflexion qui m’a amenée à proposer cet outil. Puis, je détaillerai le déroulé de mon intervention et enfin, le troisième temps synthétisera les bénéfices de l’action.
En préambule, une brève définition de la métaphore. C’est une figure de style dans laquelle dans une phrase un mot porte un sens différent de celui qu’il possède dans l’usage courant. Nous connaissons tous par exemple : « Il pleut des cordes. » Notre langage quotidien est truffé (tiens, encore une métaphore ?) de métaphores. Avoir une faim de loup, porter quelqu’un dans son cœur, déclarer la guerre à son voisin, briller par son intelligence, etc.
Bien sûr, la métaphore appartient au langage poétique. Mais pas seulement. Elle structure en fait tous nos concepts. On pourrait même dire que tout langage est métaphorique en ce sens où il tente d’expliquer quelque chose. Je vous recommande l’ouvrage des linguistes George Lakoff et Mark Johnson: « Les métaphores dans la vie quotidienne ».
Concernant nos interventions tant en entreprise que dans le cadre de thérapies, les métaphores sont liées au changement. Elles reflètent la vision du monde de nos clients et permettent des recadrages sur la construction de la réalité. En effet, ce qu’elles expriment met souvent en évidence une discordance entre le langage digital et le langage analogique.
J’ai expérimenté la puissance de la métaphore lors d’une journée de formation à l’Ecole du Paradoxe. La formatrice avait demandé à ce qu’un problème soit exprimé en utilisant une métaphore. J’ai donc développé celle de mon problème sans jamais dire explicitement de quoi il s’agissait. D’ailleurs, je ne me souviens plus du problème lui-même alors que la métaphore que j’ai utilisée reste vive… C’est un point sur lequel je reviendrai dans ma conclusion.
Revenons à mon exposé.
Le client dont il s’agit – Président d’une université d’entreprise – était alors un prospect, comme on dit en langage entreprise. Il recherchait sans chercher des consultants formateurs présentant une certaine originalité. Ses journées d’amélioration de la cohésion d’équipe avaient en partie besoin d‘un nouveau souffle (encore une métaphore !), loin des activités classiques de pétanque, tir à l’arc, karting et autres.
Nous avons rapidement parlé métaphore et il a bien voulu me faire confiance pour une intervention que je n’avais plus qu’à construire. Il fallait de mon côté un certain culot pour proposer une activité intellectuelle en lieu et place d’une activité physique voire sportive et du côté de mon client, une belle ouverture d’esprit pour l’accepter !
Pourquoi utiliser la métaphore plutôt qu’un autre outil ? L’originalité de cet outil n’est pas la seule raison de notre choix. Nous avions également l’intuition partagée que ce serait ludique et plaisant pour les participants. Leur créativité allait être sollicitée et stimulée. A moi ensuite de créer les conditions pour que le travail effectué produise une matière intéressante.
Que dire plus précisément du contexte ?
Il s’agit d’une société d’assurances (3200 collaborateurs). Le service concerné comprend environ 30 personnes dont 2 managers. La mission principale des collaborateurs est de répondre par téléphone aux clients sur les contrats. On dit d’eux qu’ils sont des techniciens de l’assurance.
Le responsable du service disait vouloir organiser « une journée au vert », une journée de partage, de cohésion d’équipe, avant tout ludique.
Le programme et l’intervenant de la matinée étaient trouvés. Les participants allaient travailler sur leur style de communication. Mais que faire après le déjeuner ?
J’ai proposé de travailler avec la métaphore comme outil d’amélioration de la cohésion d’équipe, avec un objectif, stratégique pour l’entreprise, la fidélisation des clients.
Notre but était de faire s’exprimer les collaborateurs sur un sujet stratégique pour l’entreprise, un sujet sérieux, voire abstrait. Nous allions connaître leur vision du monde… de la fidélisation.
Je n’avais encore jamais travaillé avec la métaphore dans un groupe. Pour me rajouter un peu de pression, j’ai proposé de collecter les métaphores dans un livret remis à chaque participant à l’issue des séminaires.
Je vous ai dit précédemment 30 participants dont 2 managers. Nous avons constitué trois groupes de 10 collaborateurs. Les managers ont été présents sur le premier groupe. Je suis intervenue une demi-journée avec chaque groupe.
Voilà comment j’ai articulé chaque demi-journée.
Pas de cours didactique mais un temps basé sur l’expérimentation. Après une brève définition de la métaphore J’ai demandé à chacun des 10 participants de me donner oralement sa métaphore de la fidélisation de la clientèle. Ex. : « Pour le client, la fidélisation c’est comme une boite de chocolat, c’est tellement bon qu’il ne peut pas s’empêcher de piocher dedans ».
Ce tour de table m’a permis d’une part de valider que tous avaient compris ce qu’était une métaphore d’autre part d’apprécier qui était à l’aise ou pas avec le langage métaphorique.
Puis, j’ai constitué 3 sous groupes de 3 à 4 personnes avec pour consigne de produire une métaphore de la fidélisation par sous groupe et d’en raconter l’histoire. Les membres des sous groupes pouvaient soit utiliser une ou plusieurs métaphores qu’ils avaient énoncées lors du tour de table initial soit en créer une nouvelle.
Une personne n’avait visiblement pas accès au langage métaphorique. Néanmoins, elle a été intéressée et partie prenante lorsque son petit groupe a dû développer son histoire métaphorique.
Après un retour en plénière, chaque sous groupe racontait son histoire.
J’ai très vite identifié plusieurs contraintes.
Tout d’abord, la contrainte du temps. Elle m’a semblé terrible. Que chacun produise en une demi-journée sa métaphore de la fidélisation et qu’il l’accorde avec celles de ses collègues ! Ces techniciens de l’assurance allaient-ils se prendre au jeu, eux à qui il est demandé de la rigueur, une très bonne connaissance des contrats et leur application stricto sensu ? Il fallait oser leur proposer de libérer leur imagination, de se comporter à l’inverse de ce qui leur est demandé au quotidien. Comment faire ?
Et puis, je voyais la contrainte de la pertinence de la métaphore, directement liée au fait qu’elle doit venir du client, non pas de l’intervenant. Il ne s’agissait pas de faire passer un message, d’imposer une vision du monde mais bien de composer une mosaïque avec les différentes visions exprimées. Je me retrouvai en l’occurrence avec autant de clients que de participants…
Ces contraintes identifiées, je cite également quelques éléments de complexité : la multiplicité de mes clients (le président de l’université, le chef de service, chaque participant), le fait que j’allais expérimenter pour la première fois une action collective autour de la métaphore, le fait que cette première intervention avec cette entreprise serait déterminante pour la suite de notre collaboration, enfin la présence imposée des managers lors de mes interventions.
L’essentiel de mon rôle consistait à les aider à libérer leur imagination, je pourrais dire – métaphoriquement ! – à sortir du cadre de la pensée technicienne pour utiliser celui du poète, du comique… Pour cela, je leur ai proposé de commencer par « Il était une fois… ». Cette introduction les a plongés dans le conte ce qui leur a permis de s’imaginer racontant la fidélisation à des enfants.
Pour illustrer la diversité des métaphores recueillies, je cite quelques titres et passages : « La forêt des délices » où un certain Monsieur Ours concocte des crêpes au Nutella dont M. Lapin raffole ; « Le train de la fidélisation », dans lequel un petit garçon, pris de cafard, se voit offrir un bonbon par un contrôleur étonnant ; « L’île de la tentation », avec Josi-la Tortue convoitée par Jojo la Frime qui utilise le mensonge pour la séduire. Et enfin, je vous propose deux histoires :
Une amitié sans faille
Il était une fois une puce solitaire qui cherchait désespérément un partenaire. Ce jour là, Puce aperçut au loin un chien triste et esseulé. Elle se dirigea dans sa direction et engagea la conversation :
– Bonjour Monsieur le Chien, comment t’appelles-tu ?
– Caliméro
– Pourquoi tu es si triste Caliméro ?
– Personne ne s’occupe de moi, je n’ai pas d’ami.
– Moi, j’aime bien la compagnie ; si tu veux, tu peux être mon ami.
– Oui, mais j’ai tellement été déçu dans la vie, que peux-tu m’apporter de mieux que les autres ?
– Laisse-moi monter sur ton dos et tu le découvriras tout au long de notre voyage.
Au bout de quelques jours, Caliméro douta : Puce était-elle le bon partenaire pour effectuer un si long voyage ?
Puce, agaçait Caliméro par sa confiance excessive ; elle généra en lui une grosse colère. Sa patte s’orienta alors vers son oreille et il se mit à se gratter vigoureusement. Puce se trouva éjectée au sol. Secouée par sa chute, elle ne comprit pas la réaction de Caliméro. Celui-ci s’éloigna, heureux de se retrouver libre.
Plusieurs mois passèrent, Caliméro profita pleinement de la vie et prit de plus en plus de risques inconsidérés. Cependant, il n’était pas totalement heureux. Certaines fois, il se surprenait à parler à Puce alors qu’elle n’était plus là. Plongé dans ses pensées, il traversa une route sans regarder. Soudain, il entendit une petite voix lui crier :
– Caliméro !!!!! ATTENTION A LA VOITURE !!!!!!
A ce moment-là, Caliméro eut tout juste le temps de se jeter sur le bas côté, évitant de justesse l’accident !
Il aperçut alors Puce, son amie qu’il croyait perdue.
– Puce !!!! Tu m’as sauvé la vie. Pardonne-moi d’avoir été si injuste avec toi !
– Oh, mais je ne t’en veux pas, l’important c’est qu’on reste des amis pour la vie.
Au fil du temps, Puce s’avéra une amie fidèle dans les moments importants et difficiles. Depuis ce jour, ils vécurent une amitié sans faille.
En l’occurrence, Puce est la société d’assurance et le chien Caliméro le client.
Vous entendez dans cette histoire un langage presqu’enfantin. Nous n’avions pas la prétention de produire un texte de littérature mais bien de donner accès à l’imaginaire. Ce « retour » en enfance a facilité les choses…
Une seconde histoire pour illustrer mon propos :
La rébellion des tomates
Il était une fois un beau et athlétique jardinier qui faisait de son mieux pour faire pousser les plus belles tomates du monde.
Mais un jour, il s’aperçut que le jardinier d’à côté, qui n’avait pas le physique avantageux, avait bizarrement de très belles et très nombreuses tomates.
Il décida d’effectuer une enquête de satisfaction auprès de ses tomates. Tomate Cœur-de-bœuf lui dit que l’eau était insuffisante. Tomate Cerise lui dit qu’il n’y avait pas assez de soleil. Tomate Grappe lui dit qu’elle n’avait pas assez d’engrais. Tomate Cerise, aussi petite soit-elle, finit par lui avouer : « Tu sais, ta beauté ne nous suffit plus, nous allons nous installer chez ton voisin ».
Le beau jardinier réalisa qu’il avait négligé ses tomates. Après quelques heures de réflexion et de recherches, il s’aperçut que la BDA, Bactérie de l’habitude, l’avait atteint et le rongeait de l’intérieur. C’est vrai qu’il s’occupait de ses tomates de la même façon depuis des millénaires !
Une fois guéri de cette bactérie, il inventa l’engrais RM, Régénérescence Maximale. Ses tomates vécurent bien rouges, appétissantes, pulpeuses, charnues, à la peau lisse et brillante. On les devinait goûteuses et craquantes, à l’image du jardinier.
La métaphore facilite la compréhension de concepts nouveaux en créant un lien entre l’abstrait et l’expérience de l’apprenant. Enfin, elle donne du sens à l’objectif, à l’action commune.
On peut dire qu’elle nous fait plonger dans le monde virtuel. Outil descriptif, explicite, elle est aidante et recadre celui qui s’exprime. Aidante parce qu’elle permet de mieux comprendre les ressentis, sa précision permet de sortir du flou ou de la pauvreté de l’expression digitale qui gomme souvent émotions et ressentis.
Les feed back des participants ont porté à la fois sur la notion d’équipe et sur la possibilité d’exprimer des visions différentes d’un même sujet. La métaphore a permis, je cite de « Mettre à la portée de chacun certaines choses complexes, d’échanger avec l’équipe, de mettre en avant qu’un sujet important peut être abordé avec simplicité et humour ». Les participants ont également compris qu’aller vers un objectif commun et partagé demandait beaucoup de travail préalable, et que ce travail donnait du sens à leur action.
Enfin, l’utilisation de la métaphore aura permis à chacun de s’interroger sur la fidélisation… et sa déclinaison en plan d’actions.
- Le terme fidélisation est vaste; il est perçu de manière différente; mettre en place un projet de fidélisation doit être murement réfléchi
- La fidélisation nait d’abord de la connaissance de l’autre et de notre capacité à le mettre en confiance
- On s’est tous dit : fidéliser c’est partir d’un client qui nous quitte puis revient = proposer au client des produits pour que de toute façon le client revienne
Il y a des limites à cet exercice. Peut être aurions nous dû, avec davantage de temps, reprendre les différentes histoires métaphoriques et les relier plus concrètement aux missions des participants. Après, il appartient au chef de service de réutiliser ou pas le travail initié avec le consultant.
En conclusion, je dirai que si la fidélisation a certes été le point de départ des métaphores, j’aurai pu choisir un autre thème.
Le travail réalisé est un travail d’équipe, une réflexion que l’on pourrait faire à chaque lancement de projet, en préalable à la compréhension du sujet et au respect des différentes visions du monde qui ne manqueront pas d’être et de s’exprimer, malgré l’objectif unique et partagé.
Avant de terminer, je reviens rapidement sur le début de mon exposé et le fait qu’il ne me reste en mémoire que la métaphore du problème travaillé avec la formatrice. L’explication que je propose est liée à la puissance des ressentis et émotions exprimés. Nous avons sans doute là des possibilités de communiquer autrement mais avec quelle richesse, avec nos interlocuteurs.
© Nathalie Vallet Renart / Paradoxes
J’aime les métaphores qui nous connectent à notre singularité, nous font grandir, et nous distinguent dans le paysage morne de la conformité et de l’ anonymat ( position haute qui nous étouffe et limite le champs d’expression des compétences)
La bonne nouvelle : contre la bactérie de l’habitude, une bonne dose d’engrais Régénérescence Maximale !