Compte rendu de la master class de Barbara Anger Diaz et Katharina Anger: Danser avec les patients 29 et 30 novembre 2009, Paris
Compte rendu par Irène Bouaziz et Chantal Gaudin
Teresa Garcia a eu l’excellente idée d’inaugurer les séminaires de son Centre Circé (http://circe-mri.typepad.com) en accueillant Barbara Anger Diaz, Ph.D. et Katharina Anger, Ph.D, associées de recherche au MRI de Palo Alto.
Deux journées à la fois passionnantes et agréables pour découvrir les styles d’intervention de ces deux femmes que nous avions déjà rencontrées et appréciées en 2005, au congrès d’Arezzo. A l’époque leur intervention, toute en douceur et subtilité (Attitude dancing), tranchait agréablement avec la tonalité guerrière de la plupart des autres communications (voir dans notre compte rendu).
Les enseignements de ces deux journées ont été pour nous de deux ordres:
– nous avons découvert avec intérêt des similitudes comme des différences dans nos pratiques respectives du modèle de Palo Alto
– nous avons pu entendre des informations de première main sur la façon de travailler des fondateurs du modèle.
Sur les épaules de quels géants sommes-nous juchées?
Paul Watzalwick rappelait, lors du colloque Cerisy sur Gregory Bateson en 1984 (Bateson: Premier état d’un héritage, sous la direction d’Yves Winkin. Éditions du Seuil 1988) que l’équipe du MRI de Palo Alto avait vu plus loin parce qu’elle était juchée sur les épaules de trois géants: Gregory Bateson, Milton H. Erickson et Donald Jackson.
Vous savez comment ça se passe: on s’intéresse à une technique, un modèle, on lit, on assiste à des conférences, des séminaires, on suit des formations, on exerce ce que l’on a appris avec ses clients. Parfois même on enseigne la méthode et, d’influences en feed back, on finit par se demander à quel point ce que l’on pratique ressemble encore un peu au modèle d’origine…
Alors, pour le vérifier, on retourne à la source, enfin au plus près possible de la source quand les fondateurs ne sont plus là.
C’est l’occasion que nous avons donc saisie ce week-end de novembre 2009 en profitant de deux jours d’enseignement avec des «élèves» directes de John Weakland, Richard Fisch et Paul Watzlawick.
Barbara Anger Diaz est née en Allemagne et a fait ses études à New York et à Mexico.
Elle nous a précisé que son passé multiculturel lui a appris à ne pas avoir de certitude sur ce qui est normal ou pathologique.
Après avoir découvert Piaget et le constructivisme pendant ses études, sa rencontre, en 1990, avec l’équipe du Centre de Thérapie Brève de Palo Alto change sa vie. Elle s’installe alors en Californie et travaille pendant 14 ans avec eux, particulièrement avec John Weakland, son «préféré».
Actuellement elle enseigne et supervise en direct des étudiants à Miami.
Elle a incité sa fille Katharina à la rejoindre pour découvrir cette méthode, pressentant qu’elle lui conviendrait.
Katharina Anger travaille à New York et utilise la Thérapie Brève avec des adultes lourdement handicapés: autistes, personnes avec retard mental, etc.
Elle a fondé, avec sa mère, à New York le Center for Systemic Action.
Barbara et Katharina ont débuté ces deux journées en insistant sur l’aspect non pathologisant de l’approche de Palo Alto qui découle de la conception constructiviste: il n’est pas question de maladie, l’idée, défendue dans les débuts, selon laquelle c’était le système qui était malade a été abandonnée, on parle de problème entre les individus ou entre un individu et lui-même; on ne parle pas de patient mais de client ; on ne pense pas en termes de normes, mais on dit: tel comportement ne fonctionne pas dans telle situation.
Après un rappel magistral des bases constructivistes et systémiques du modèle, qui, selon elles, permettent de comprendre pourquoi la méthode fonctionne, mais qu’il n’est pas nécessaire de connaitre pour pouvoir la pratiquer, Barbara, en grande connaisseuse de Piaget, nous a fait un petit point très intéressant sur la différence entre la notion d’assimilation et celle d’accommodation.
L’assimilation consiste à englober de nouveaux phénomènes dans sa vision du monde ; les comportements des autres sont interprétés en référence à nous-mêmes.
Lorsque les capacités d’assimilation sont dépassées, lorsque l’on n’arrive plus à comprendre les nouveaux phénomènes, on doit s’accommoder, c’est-à-dire changer nos schémas mentaux.
Il faut avoir beaucoup assimilé pour pouvoir s’accommoder et c’est à ce stade là qu’on grandit.
Barbara a insisté sur le fait que, dans notre travail, nous n’attendons pas de la part du client une accommodation, c’est à nous d’apprendre son langage; il faut rester attentif à ne pas croire qu’on le comprend et éviter d’assimiler ce qu’il dit à ce que l’on sait déjà.
Le rappel de l’histoire du MRI et du CTB leur a donné l’occasion d’aborder la question si fréquemment posée: qui a la paternité de quoi?
Nous avons ainsi appris que pour John Weakland, le modèle est le résultat des interactions entre les uns et les autres.
Il semblerait cependant que c’est à Jay Haley que l’on doit l’idée de travailler sur un seul problème, de même que c’est sa vision de Milton Erickson qui a été transmise puisque c’est lui qui a essentiellement écrit sur les 10 années passées à le rencontrer hebdomadairement.
Elles nous ont révélé que Paul Watzlawick travaillait essentiellement seul et avait été très pressé de publier en 1974 Changements, alors que John Weakland trouvait cela prématuré.
Weakland et Richard Fisch travaillaient beaucoup ensemble et avaient le souci d’être précis et simples, évitant dans leurs écrits tout le jargon théorique (par exemple «paradoxe» ou «réalité de premier ordre»).
L’attention portée à la position du client vient de Fisch et Weakland, c’est un chapitre de Tactiques du changement, mais son utilisation est plus ou moins importante selon les thérapeutes.
Nous avons trouvé particulièrement séduisante leur présentation du modèle comme une architecture de base que chacun peut décorer à sa façon, sans changer la structure:
– le problème
– les tentatives de solution
– le 180°
Les questions posées, les attitudes adoptées peuvent différer d’un thérapeute à l’autre, mais on peut toujours reconnaître ce qu’il est en train de faire.
Une des richesses du MRI est que chacun y fait de la thérapie à sa façon.
Weakland faisait beaucoup de recadrages, quand un client disait «c’est comme ça», il disait: «c’est une façon de voir les choses». Il était très lent et il disait aux clients de prendre leur temps… mais ce qu’il faisait marchait très rapidement.
Fisch donnait beaucoup de tâches et Watzlawick encore plus.
Barbara et Katharina nous ont longuement parlé de John Weakland, ce qui était pour nous d’autant plus précieux que si, lorsque nous avons débuté notre propre formation nous avons eu la chance de pouvoir de bénéficier en direct de l’enseignement de Paul Watzlawick et Richard Fisch, cela n’avait pas été le cas pour lui qui était déjà trop malade à l’époque pour se déplacer en Europe.
Pour elles, Weakland était le plus brillant thérapeute des trois, même si Watzlawick était meilleur écrivain. Il était l’anthropologue de l’équipe, celui qui avait travaillé des années avec Bateson.
Elles ont projeté la vidéo d’une séance de thérapie conduite par lui et nous avons pu apprécier son style d’intervention caractérisé par la lenteur et la douceur dans une position très basse: «je ne suis pas sûr que ce que je vais vous dire est important…».
On voit Weakland vérifier sans cesse s’il a bien compris ce que dit le client, en profiter pour faire des petits recadrages, ouvrir de nouvelles possibilités en questionnant des évidences.
Au cours de ces deux jours nous avons aussi pu voir Katharina travailler dans différents contextes: sur une vidéo avec un patient, lors d’une démonstration avec une participante et lors d’un jeu de rôle. Son style nous est apparu à la fois familier, fait de respect de l’autre, d’une extrême attention et d’une grande maîtrise technique, et différent du nôtre parce que moins paradoxal.
Au cours de cette master class très riche le déroulé des étapes du modèle nous a, bien sûr, été présenté et nous avons relevé, en vrac, quelques points qui nous paraissent précieux à retenir dans le quotidien de la pratique:
Il faut arriver lentement au 180° de façon à trouver comment le «vendre» au client.
Certains thérapeutes disent aux clients comment faire, d’autres les amènent à trouver eux-mêmes d’autres façons de s’y prendre, ce qui les fait grandir… les deux façons de faire fonctionnent…
Respecter les clients, s’ajuster à eux en tenant compte de leur construction, sans avoir d’objectifs personnels pour eux.
La seule chose que nous voulons c’est que ce qui apparaissait comme un problème ne soit plus un problème, qu’il ait disparu ou pas.
Le 180° est une tactique pour amener le client à arrêter de faire ce qui ne marche pas, inutile de le faire si le client change avant.
On ne travaille pas directement avec les émotions des clients mais avec les idées et les actions; changer les pensées change les émotions, changer les actions change les émotions… les émotions sont transitoires.
Si les gens se sentent écoutés, ils se sentent soutenus et il n’y a pas besoin de dire: «je vous comprends».
Être optimiste implicitement et non explicitement.
Si quelque chose ne marche pas, ce doit toujours être de la responsabilité du thérapeute.
On donne toujours aux clients le crédit de ce qui a réussi, on n’a pas besoin qu’ils nous considèrent comme de bons thérapeutes.
Les tentatives de solution sont toujours des messages.
La nécessité de «défier les croyances» des clients (en anglais, challenging the beliefs n’a pas la même connotation agressive qu’en français) parce que lorsque les clients conservent de fortes croyances, ils risquent de se trouver de nouveau coincés.
En ce qui concerne les objectifs des clients: on ne peut pas savoir ce dont ils sont capables, et, en tant que thérapeute, on n’a pas à leur dire ce qui est possible ou pas, mais on a le droit de les questionner sur le plan B si leur objectif nous paraît difficilement atteignable…
Enfin, les différences entre leur pratique du modèle et la nôtre nous ont particulièrement intéressées.w
Ainsi, Barbara et Katharina ont présenté le virage à 180° comme une métaphore de «faire quelque chose de très différent» et non pas exclusivement comme une intervention à contre sens de ce qui se fait habituellement.
Voilà qui ne manque pas de nous interroger: amener le client à arrêter ses tentatives de solution avec une tâche qui consiste à faire tout autre chose produit-il pour lui le même type d’apprentissage que celui qu’il ferait avec une tâche qui consiste à faire exactement l’inverse de ses tentatives de solution habituelles?
En les voyant travailler il nous a semblé qu’elles adhéraient immédiatement à l’objectif du client alors que nous avons tendance à mettre d’autant plus en doute sa pertinence qu’il a l’air évident; nous le négocions à la baisse et nous freinons, tout au long de l’intervention, le mouvement qui tend vers lui.
Pour parler des petits recadrages effectués au gré des opportunités lors de l’entretien, Barbara et Katharina utilisaient l’image de «semer des graines».
Nous préférons considérer qu’il s’agit de petites interventions visant à assouplir la vision du monde et nous parlons alors «d’assouplissures».
En effet, les deux métaphores reposent sur des conceptions très différentes: semer implique que l’on sait ce qui devrait pousser, alors qu’assouplir ne préjuge pas de la forme qui sera adoptée.
Pour sortir de la métaphore, de notre point de vue, moins l’intervenant a d’intention en faisant un recadrage, plus le résultat a des chances d’être écologique.
Pour conclure, ces deux journées extrêmement riches en apprentissages ont été d’autant plus agréables qu’elles nous ont donné l’occasion de rencontrer deux femmes aux grandes qualités humaines.
Barbara Anger Diaz et Katharina Anger sont de grandes thérapeutes et des femmes chaleureuses, simples, curieuses et attentives face à l’auditoire.
© I. Bouaziz C. Gaudin/Paradoxes
Rétroliens/Pings