Communications à la huitième journée de Rencontre de Paradoxes, 11 octobre 2009
Mini présentations d’interventions par des consultants et des thérapeutes.
Je ne fais rien mais ça bouge…Une expérience de posture paradoxale
Marie-Solange Brou-Laurent, psychologue
Il y a quelques mois, je reçois en consultation une jeune femme d’une quarantaine d’années, envoyée par son médecin, et qui m’expose la situation suivante : après 17 ans de thérapie analytique et malgré le bien que cela lui faisait, elle avait tout de même le sentiment de ne pas avancer, et qu’au fond, ses difficultés étaient toujours là.
Mais elle avait une certitude : seul un psychanalyste pouvait l’aider vu la profondeur de ses problèmes.
Perplexe, je vérifie auprès d’elle qu’il ne s’agissait pas d’une erreur d’adresse ou d’une mauvaise orientation. Non, ce n’était pas le cas, elle savait que j’avais une approche différente qu’elle jugeait d’ailleurs trop superficielle pour traiter ses problèmes.
Elle était quand même venue sachant que je ne pourrais certainement rien pour traiter ses difficultés. Elle se disait qu’après 17 ans de thérapie analytique, elle n’avait rien à perdre à faire un tour chez moi, d’autant plus qu’elle souhaitait réfléchir sur l’approche analytique pour voir si c’était la méthode la plus adaptée à sa situation. Elle pensait que ce « petit travail de conseil » était à ma portée. Il lui paraissait préférable de faire cette recherche avec l’aide d’un « psy » plutôt que de continuer à réfléchir toute seule à cette question de choix.
C’était une situation très désagréable qui, à mes yeux, bloquait toute perspective thérapeutique.
Ainsi mise dans une situation de double contrainte, celle d’aider la cliente sans en avoir les moyens (pas assez qualifiée manifestement selon sa vision du monde), la position paradoxale s’est imposée d’elle-même, et m’est apparue comme une issue naturelle dans ce contexte.
Je lui réponds : « Ecoutez, Madame, la situation me parait bien compliquée parce qu’effectivement je ne corresponds vraiment pas à ce que vous recherchez. Voyons ensemble ce que vous risquez à venir ici ».
Je lui propose alors d’examiner tous les risques possibles. Finalement, nous en dégageons trois :
1/ Qu’elle soit très déçue.
2/ Qu’elle perde son temps.
3/ Qu’elle perde aussi son argent, soit 600 euros si on allait jusqu’à 10 séances.
Je voulais bien accepter quelques rendez-vous si elle acceptait à son tour de prendre en compte ces risques.
Avec l’accord de la cliente, nous commençons donc les séances sur ces bases. Dans cette situation improbable, je décide d’accentuer la position basse dans la relation en prenant la décision de ne pas intervenir et en restant le plus discrète possible. Concrètement, je me contentais de l’écouter au cours des entretiens sans intervenir au niveau tactique, juste en gardant une posture paradoxale. Il s’agissait pour moi surtout de ne pas chercher à aider cette cliente qui avait déjà son point de vue sur la question. Très vite, pourtant, des changements se produisent : elle prend rendez-vous dans un centre anti-tabac pour essayer d’arrêter de fumer, changement dans ses relations avec ses collègues puis à la maison, etc.
Après ces premières séances, la cliente arrive un jour, un peu énervée, visiblement préoccupée, puis elle finit par dire :
Elle : Il faudrait peut-être qu’on commence à regarder les problèmes de près !
Moi : Comment ça ? Je ne comprends pas très bien de quoi il s’agit ?
Elle : Les choses commencent à changer, me dit-elle, il faudrait aborder les vraies questions.
Moi : Ah non ! Ce n’est pas du tout ce qui a été convenu. Nous sommes parties sur des bases claires. Nous avons fixé un objectif : choisir la thérapie la mieux adaptée à votre situation.
Voyant qu’elle ne répondait rien, j’ajoute :
Moi : Ou alors, avez-vous déjà choisi ?
Elle : Je crois que ce lieu me convient, répond-elle avec un petit sourire. Je n’ai pas besoin d’autre chose pour choisir. Je vois les choses bouger. Il faut que ça continue !
Moi : Je crois que ce n’est pas une bonne idée. Il y a un objectif, il faut s’y tenir. D’ailleurs, tout ça me parait bien prématuré. C’est vrai qu’on note des changements, mais il est encore trop tôt pour savoir. Vous n’avez pas assez de recul pour en juger. Il me parait raisonnable d’aller jusqu’aux dix séances prévues et ensuite on verra.
À partir de ce moment, il a été difficile de contenir la fougue de la cliente qui était maintenant impatiente d’aborder ses problèmes.
Grâce à cette cliente et à son attitude si frustrante, j’ai pu expérimenter l’effet thérapeutique de la posture dans la stratégie paradoxale. Cette posture induite par la situation m’a permis de réaliser qu’il n’était pas nécessaire d’envisager des tactiques pour produire le changement chez cette cliente, puisqu’elle prenait les choses en main. Constatant qu’elle n’avait vraiment pas besoin de moi pour changer les choses, il ne me restait plus qu’à l’accompagner sans chercher à utiliser des tâches sophistiquées. Depuis, la cliente poursuit ses séances. C’est une jeune femme sereine qui a beaucoup gagné en confiance.
©Marie-Solange Brou-Laurent/Paradoxes
Harcèlement et métaphores
Natalie Conte-Marty, consultante
Dans le cadre de mon activité j’accompagne des personnes en bilan de compétences.
Cette année, j’ai reçu une personne qui est femme de ménage dans une structure sociale. Elle a 54 ans. Elle a un poste fixe depuis 6 ans seulement, en ayant vécu auparavant tout un parcours de petits boulots, de stages d’insertion, etc. Elle n’a pas le niveau CAP.
Cette femme est très abimée par la vie et elle a subi des maltraitances par le passé. C’est ce qu’elle me confie, exprimant sa confiance. Elle est facilement à vif, ainsi elle peut vite penser qu’on lui en veut, qu’on n’est pas « gentil avec elle ».
Elle me touche par son souci du travail bien fait, par son honnêteté, qui se voit dans une foultitude de petits détails.
Elle fait un bilan parce qu’elle veut faire un travail qui lui plait. Elle aimerait exercer dans des professions qui sont au minimum à BAC + 3.
Je constate assez vite qu’il y a du chemin à faire pour qu’elle valorise ses talents et qu’elle trouve une piste professionnelle adaptée aux moyens et au temps dont elle dispose.
Au cours de cette démarche, il apparaît assez rapidement qu’elle vit des harcèlements au travail. D’une part par ses collègues qui essaient de lui donner du travail en plus et qui l’attaquent verbalement. Mais plus grave, par sa responsable qui étant en charge du personnel éducatif n’a pas accepté de gérer « le personnel d’entretien » et par ailleurs l’a prise en grippe.
Il faut dire que cette femme doit être un peu « difficile » par moments car elle a un humour un peu bruyant qui peut irriter. De plus, cette femme que je reçois démarre vite, au « quart de tour » – et il est d’autant plus facile de la faire réagir.
Comment se produit le harcèlement?
Il est transmis à cette femme des informations fausses ou injurieuses qui lui donnent envie d’attaquer et de rendre le mal que cela lui procure.
Une somme de petites mesquineries lui sont faites qui sont invisibles de l’extérieur.
Et, lorsqu’elle réagit, cela est perçu comme une attaque envers sa collègue ou sa responsable.
Ainsi, elle réagit à toute réflexion mettant en cause son professionnalisme, ou la rendant responsable de quelque chose qui n’est pas de son fait. Ses réactions sont vues par le directeur de la structure qui « l’engueule » et finit par ne plus la soutenir ni la valoriser. Pire, elle finit par être vue comme harcelant ceux qui sont à l’origine de son propre harcèlement. Mais, c’est somme toute assez classique lorsqu’on connaît les dynamiques harceleur-harcelé.
Que faire?
La formation que j’ai suivie en intervention systémique brève me fait lire les systèmes d’interaction d’une manière nouvelle: prendre l’ensemble des interactions dans le contexte, les siennes mais aussi celles des autres.
De plus, lors de ma formation j’ai pu m’initier au travail sur les métaphores ainsi que sur l’hypnose.
Si, par le passé, j’utilisais facilement les métaphores, c’était par hasard. Je ne savais pas que je pouvais travailler avec le client dans une métaphore. Aujourd’hui, c’est pour moi comme une nouvelle corde à mon arc que j’apprends à manier avec beaucoup de plaisir.
Pour revenir à notre sujet, je pouvais constater que cette femme n’avait aucun moyen de prendre du recul ou d’analyser sa situation. Je n’ai pas pris le problème en tenant compte de son passé, mais j’ai travaillé sur ce qui se passe aujourd’hui et sur les interactions présentes. Et, si elle acceptait volontiers certains recadrages de ma part, elle restait en situation de harcèlement ce qui est inacceptable en soi, et qui ne nous permettait pas d’avancer sur son bilan, cadre de notre travail.
Il m’a semblé évident qu’elle devait ne plus laisser de prises à ses harceleurs. Elle le souhaitait mais ne sachant comment s’y prendre, elle avait du mal à ne pas tourner en rond dans sa plainte ou même souhaiter quitter son travail, ce qu’elle savait qu’elle ne pouvait se permettre. Je ne pouvais l’aider à agir que sur sa « vision du monde ».
J’ai alors proposé dans un premier temps une métaphore: celle du « canard », une de mes métaphores. Elle permet de se sentir « protégée, imperméabilisée ». Les choses de la vie qui ne sont pas toujours agréables, sont comme de l’eau, qui vous coule dessus sans vous atteindre.
Elle est partie contente. Mais lors de l’entrevue suivante, j’ai réalisé que rien n’avait changé. Elle était contente, mais cela ne lui appartenait pas. Ce n’était pas à elle et cela ne produisait pas beaucoup d’effet.
Alors, nous nous sommes mises à chercher ensemble: qu’est-ce qui pourrait la rendre inattaquable, inatteignable par ses harceleurs? Nous étions dans une démarche commune, en hypnose informelle, c’est-à-dire immergées en imagination dans la situation, à chercher ensemble. L’idée a été co-construite. Elle s’est vue tout d’un coup en géante, comme une « Gulliver » qui pouvait grandir aussi haut qu’elle le souhaitait pour ne plus se sentir attaquée.
C’était comme si, quoi que les autres essaient de lui dire ou de lui faire, elle pouvait prendre de la hauteur et trouver, que ce qui lui était dit ou fait était: « inintéressant », « petit », voire « ridicule ». Nous pouvions même, ensemble, envisager comment elle devenait géante, et ce que cela pouvait produire.
Je n’ai bien sûr pas oublié de lui dire que, peut-être cela pouvait ne pas marcher, ou pas tout de suite et que des retours en arrière étaient possibles, que cela était normal. Elle est partie ce jour là, grandie, physiquement.
Dans un même temps, d’autres circonstances sont venues l’aider. Une professionnelle de l’entretien est venue faire un audit et lui donner un complément de formation. Cette démarche a attesté ses qualités professionnelles, tout en lui donnant des axes de progrès afin qu’elle mette son énergie à des endroits plus pertinents dans l’organisation de son travail.
Cela a aussi conforté sa direction.
Toujours est-il que son harcèlement a cessé. Même si rien ne peut prouver que cette séance métaphorique y a été pour quelque chose.
Elle me reparle de sa géante, et parfois, maintenant qu’elle est en sécurité, elle fait le geste de l’eau qui passe sur ses plumes, comme un petit clin d’œil.
Elle a aujourd’hui une posture qui a changé et nous pouvons travailler à son avenir qu’elle apprend à voir de manière non idéalisée, mais ça … c’est une autre histoire.
© Natalie Conte-Marty /Paradoxes
Adolescence et thérapie brève
Claudine Picard, coordinatrice
Bonjour
Je suis ravie de venir une seconde fois témoigner devant vous d’une pratique dans un nouveau contexte de travail. Je vais essayer de faire court … pour respecter les …7 minutes. Voici quelques lignes…
Depuis un an je travaille dans une Maison des adolescents.
La MDA est une structure départementale qui s’inscrit dans le champ de la prévention : elle est ouverte aux adolescents de 12 à 21 ans et propose trois pôles d’intervention :
– les adolescents
– les parents d’adolescents
– la formation et l’information pour les professionnels qui sont concernés par l’adolescence (Education Nationale, travailleurs sociaux …).
La MDA a pour mission de « faciliter l’accès aux soins et garantir la continuité et la cohérence des prises en charge en un lieu unique et facilement repérable » par tout adolescent qui franchit la porte. Il peut venir de façon anonyme, autonome ou accompagné.
Constituée d’une équipe pluridisciplinaire (psychologue, pédiatre, pédopsychiatre, éducatrice, animateur, infirmière, diététicienne, gynécologue, coordinatrice), la MDA peut être repérée et investie comme un espace ressource pour les personnes accueillies.
L’adolescent est orienté par ses parents ou un travailleur social ou encore un médecin…
Autrement dit, il est dans une demande d’aide, le plus souvent sous la contrainte d’un adulte, même si elle est moins marquée que dans le cadre d’un suivi éducatif imposé.
On entend parfois : « travailler avec les adolescents, ce n’est pas toujours facile ».
Or, l’adolescence est au contraire une période riche de tous les possibles. L’adolescent a en lui cette capacité de changer, de rebondir, de ressentir et de nommer ce que parfois ses parents ne peuvent nommer. Il est bien rare qu’il refuse d’échanger. L’adolescent a d’abord besoin d’être écouté, respecté et considéré.
Pour cette petite farandole, si je peux me permettre de reprendre le terme utilisé, j’ai essayé de faire le point: comment je travaille aujourd’hui, qu’est-ce que j’utilise le plus ?
Je reste toujours dans cette dynamique d’accompagner le mouvement, d’ouvrir, de saupoudrer, d’accentuer sur ce qui fonctionne déjà bien.
J’ai souvent tenté de respecter une stratégie, un protocole : à chaque fois que je réfléchis sur le comment je dois procéder, la question à poser, le message à transmettre… je finis par me prendre les pieds dans le tapis, un peu comme le mille pattes qui se regarde marcher… J’ai beau tenter de me débarrasser de mon tablier d’éducatrice…..chassez le naturel, il revient au galop…
Stopper les Tentatives de Solution me direz vous…. pas si simple…
Alors j’interviens comme je le sens… un peu au feeling ? Peut être… je pense toutefois être au plus près de ce que j’observe et je ressens de la relation qui se construit, et je dois bien reconnaître que finalement… le mouvement s’opère…
Une fois que le jeune a exposé son problème, j’ai plutôt tendance à me centrer directement sur sa ressource en faisant une première exploration très concrète de sa vie au quotidien : les amis, la scolarité, ses passions, ses rêves, ce qui l’anime… En proposant des recadrages de félicitations, de compliments : « Comment as-tu réussi à… ? Formidable ! » L’adolescent est surpris, mais son attention est captée et il est toujours preneur de cette reconnaissance. Le jeune est surpris… mais moi aussi je suis surprise et touchée par leur authenticité, leur franchise, leur envie d’aller mieux…
Puis je vais revenir au problème en lui demandant les exceptions au problème.
Tout récemment un jeune étudiant est orienté par le médecin parce qu’il ne va plus en fac depuis une semaine : il se présente très timide, les épaules rentrées… « je suis dépressif », j’ai un traitement, j’ai déjà été suivi au CMP…
Après avoir exploré les différentes interactions, la photo du départ du matin etc., je me décentre du problème, non pas par stratégie mais tout simplement par une info qui me fait tilt : il vient d’avoir son permis de conduire. Peu de temps avant, il venait de me dire qu’il se sentait incapable de retourner en cours. Incapable d’aller au devant des gens. Je ne peux m’empêcher de réagir :
comment ça tu as ton permis… c’est formidable comment tu as réussi à l’avoir…
ben quand même…
comment ça « ben quand même »… C’est vachement dur de l’avoir aujourd’hui ! Tu es en train de me dire que tu ne te sens pas capable … et tu viens d’obtenir ton permis, je t’assure ce n’est pas rien… (je marque le temps de surprise et le fait d’être impressionnée).
Est-ce que tu as d’autres moments où tu te sens en capacité de… ?
Puis il repart sur la plainte… En fin d’entretien je me sens agacée parce qu’il me donne l’impression qu’il est complètement installé dans son problème un peu comme si il avait une carte de visite : « je suis un dépressif et vous n’y pouvez rien…».
La maman de S., assistante maternelle, est dans la salle d’attente avec deux bébés dans les bras. S. se « colle » auprès d’elle en tenant la main d’un bébé. Effet de surprise : je vois « un troisième bébé » qui n’arrive pas à se détacher de sa mère.
Je m’adresse alors au jeune de façon déterminée et naturelle comme une évidence :
si ta maman ne peut t’accompagner, ce n’est pas un souci maintenant que tu as ton permis….tu peux venir tout seul
ben heu…
la mère : bien sûr je peux lui prêter ma voiture, déjà aujourd’hui je lui ai proposé de conduire…
Quinze jours plus tard je rappelle S. pour un problème de date : la maman me dit : ah il n’est pas là : il va beaucoup mieux : il a repris les cours dès le jeudi !
Que s’est-il passé ?
Je ne sais pas … toujours est-il qu’il y a eu comme un effet de « débloquage ».
Moi non plus je ne sais pas… Peu importe… C’est, me semble t-il, une amorce de changement… une nouvelle expérience…
Concernant la définition du problème scolaire, on entend très souvent : « mon enfant est phobique ». Le fait de le replacer dans un contexte, de recadrer en terme de difficulté à aller à l’école (et non de l’étiquette phobie), donne une autre perception de la difficulté.
O. ne peut plus aller à l’école : vomissements le matin, tension, tristesse, pleurs etc. Elle s’accroche à la voiture… En explorant les interactions je vérifie qu’elle est très bonne élève dans une classe au niveau moyen. De plus, les parents la considèrent encore comme une petite fille à protéger.
En complément de l’arrêt des tentatives de solution (arrêter de la protéger), je leur propose plusieurs petites actions différentes de ce qu’ils font habituellement :
ne plus parler du problème (conspiration du silence)
réaménager sa chambre avec elle : un grand lit, changement de housse de couette, tapisserie etc. (passage de l’enfance à l’adolescence)
lui demander de faire les petites courses avec un trajet à faire seule : boulangerie etc. (responsabilisation, mise en confiance, autonomie…)
ne plus la conduire à l’école le matin ( le plus dur pour les parents).
La collaboration des parents devient très précieuse en ce sens où ils se réajustent dans ce mouvement bien spécifique qu’est l’arrêt de leurs tentatives de solutions. Il est intéressant de repérer combien elles peuvent accentuer le problème et aussi combien il peut s’alléger quand elles sont stoppées.
Je pourrai également vous présenter A., la jeune fille au lutin… ou encore G. qui est malheureux de ne pouvoir se retenir de frapper sa mère ou encore D. qui se demande s’il est normal…
Tous ces adolescents sont d’abord des enfants qui souffrent et qui ont besoin de sentir l’engagement et la cohérence des adultes qui les accompagnent. Souffrance … à un moment de leur parcours … dans un contexte donné…
Prendre le temps de la reconnaître et laisser émerger … la source de vie qu’ils ont en eux …
Leur aide est très précieuse … pour les aider à aller mieux.
Je vous remercie.
© Claudine Picard/Paradoxes
Démêlage et dissolution partielle des problèmes
Olivier Loustalan, coach
Isabelle, grande jeune fille de 23 ans, vient me voir car une très bonne amie lui a recommandé de faire un séminaire de développement personnel que notre cabinet propose.
Elle commence l’entretien en disant: je suis perdue, je me sens déprimée; alors que je suis normalement joyeuse et pleine d’énergie, je pleure souvent; j’ai envie de plein de choses mais rien de suffisamment important pour me faire bouger; j’ai peur d’être seule, peur d’être malade. Je ne sais pas ce qui se passe: ce n’est vraiment pas normal que je sois comme ça. Anne m’a dit que votre séminaire pourrait m’aider.
J’entame une longue phase de questionnement sur son mal-être de manière à démêler les choses. Je l’aide à trier, à classer et nous arrivons à dégager quelques grands faits.
Elle revient de 2 ans d’université en Argentine, très joyeux; mais, 6 mois avant la fin de son séjour, elle a attrapé une saloperie qui a été mal traitée et qui lui a détruit l’estomac; ça lui a gâché sa fin de séjour car elle ne pouvait plus rien faire; de plus, elle ne peut plus boire d’alcool ce qui l’empêche de faire la fête alors qu’elle adore sortir.
Depuis son retour en France, elle a pris un job dans une agence de voyage. C’était ce qu’elle voulait mais ce n’est pas très intéressant, d’autant plus que son patron est un emmerdeur. Mais ce n’est pas grave car son plan c’est de continuer à se former pendant un an ½ puis de partir en Afrique du Sud pour faire de l’accompagnement de groupes pendant un an puis d’aller en Nouvelle-Zélande pour faire la même chose.
Elle a un ami argentin qu’elle aime beaucoup et avec qui elle a une relation sérieuse. Quand elle a été malade, il s’est beaucoup occupé d’elle. Il a décidé d’abandonner son métier (disc jockey et compositeur de musique électronique) pour la rejoindre à Paris. C’est très dur pour lui parce qu’il n’aime pas Paris, qu’il parle très mal le français et qu’il se retrouve sans boulot. Il cherche un petit job pour s’occuper et gagner de l’argent mais c’est très difficile à trouver. Lui aussi déprime.
Nous avons donc plusieurs problèmes liés entre eux. Je continue donc le démêlage : nous reprenons les faits pour identifier les problèmes. Dans ses mots, j’entends un implicite fort: « je dois me sentir bien ». Ça m’amène à faire des recadrages à contresens sur le thème: « c’est normal que vous ne vous sentiez pas bien ».
« Vous savez, c’est normal que vous soyez inquiète avec vos problèmes d’estomac. C’est important que vous vous fassiez suivre jusqu’à ce que vous soyez certaine que la maladie est bien stoppée. »
« Je comprends que ça doit être triste pour quelqu’un qui adore faire la fête de ne plus pouvoir boire d’alcool et de se sentir décalé par rapport aux autres. »
« C’est normal d’avoir un coup de déprime quand on passe d’une vie joyeuse et insouciante d’étudiante à une vie de travail avec toutes ses contraintes: des horaires longs, un patron emmerdant, des choses inintéressantes qu’on est obligé de faire. »
« Je comprends que vous soyez inquiète pour votre ami : c’est très dur de se retrouver dans une ville comme Paris avec des problèmes de langue et sans activité, d’autant plus qu’il a abandonné son métier et qu’il a très peu de chances de retrouver l’équivalent à l’étranger ».
A la suite de ces recadrages, la plupart de ses problèmes se sont dissous et un nouveau a émergé: son plan de « carrière » (1 an ½ à Paris, 1 an en Afrique du Sud puis la Nouvelle Zélande) laisse peu de chances à son copain de trouver des jobs intéressants. S’il la suit, il est probable que cela devienne invivable pour lui et que ça aboutisse à la rupture d’une relation à laquelle elle tient; si elle renonce à son plan, elle n’a pas de projet de remplacement; en plus, ils n’ont jamais osé parler de leur avenir en commun.
Il resterait encore tout un travail de co-construction du problème mais nous sommes arrivés au bout du temps.
J’ai terminé par un freinage par rapport à un objectif potentiel de l’ordre de « se sentir vite bien » ou « retrouver l’insouciance »:
« Vous savez, c’est une question difficile qui se pose à vous : vous êtes confrontée à un vrai choix de vie. Donc ça mérite du temps et de la réflexion sur ce à quoi vous et votre ami tenez vraiment. Vous avez un chemin long et inconfortable à parcourir et personne ne peut le faire à votre place. Si à un moment vous vous sentez bloquée, revenez me voir : on verra à ce moment-là si et comment je peux vous aider. »
C’était il y a un an: elle n’est pas revenue. Je ne sais donc pas quel bénéfice elle a tiré de notre entretien.
Sur le moment, j’ai pu constater à travers ses réactions qu’elle allait mieux:
Elle était plus détendue
Elle ne se sentait plus malade
Elle avait une idée de chemin pour sortir de l’ornière.
Avec le recul et en reprenant mes notes, je me pose 2 questions :
Dans cette co-construction du problème (tout au moins son ébauche) est-ce que j’ai juste recadré la façon dont elle voyait les choses ou est-ce que je ne lui ai pas un peu imposé de ma vision du monde?
Elle repart avec un problème qui n’est pas encore bien identifié. Dans ma manière de clôturer la séance, implicitement, je ne lui ai pas laissé la possibilité de venir me revoir rapidement: est-ce qu’il aurait été adéquat de lui laisser cette possibilité pour qu’elle puisse arriver à une meilleure définition de son problème et ainsi lui permettre de le résoudre plus facilement?
© Olivier Loustalan/Paradoxes
De l’apparente simplicité de la thérapie brève
Joëlle Ingber, psychothérapeute
Deux ans après, les revoilà devant moi. Ils sont arrivés ensemble à mon cabinet, le visage crispé et fermé, sans un regard l’un pour l’autre.
Lui : Nicolas, grand, plutôt athlétique, débit de parole posé, présentation soignée, 45 ans, ingénieur.
Elle : Sophie, menue, vive, avec des yeux très expressifs, une logorrhée fulgurante, 38 ans, directrice commerciale.
J’avais eu l’occasion de rencontrer chacun d’eux auparavant pour d’autres difficultés; j’avais encore en tête la tendance de Nicolas à éviter le conflit, juste à l’opposé de la croyance et de l’expérience de Sophie, pour qui la vie était une bataille permanente.
Aujourd’hui Nicolas et Sophie affrontent des « problèmes d’argent » : c’est ainsi qu’ils qualifient leur problème. Non que leur situation financière soit délicate. Les problèmes résultent d’un contexte particulier : à la suite du licenciement de Sophie et de la naissance de leur deuxième enfant, ils ont décidé que pendant quelques années Nicolas prendra en charge l’entièreté des dépenses ordinaires du ménage. Les difficultés surviennent lors du dépassement de 100’000 euros du budget de construction de leur maison, dépassement qui n’apparaît qu’une fois les travaux terminés en raison d’un manque de communication entre eux. Lui affirme lui en avoir parlé et qu’elle a refusé d’écouter ; elle assure que jamais il ne l’a mentionné. Aux yeux de Nicolas, cela sort toutefois des dépenses ordinaires pour devenir une dépense extraordinaire ; il en réclame donc le remboursement pour moitié à Sophie.
« De toute façon, quoi que je fasse », dit Nicolas, « ce n’est jamais assez pour elle, et je n’ai que des critiques : je paie tout et ce n’est pas encore suffisant!».
« Tu dis que tu paies tout », rétorque Sophie, « mais tu es champion pour me faire payer et surtout ce n’est pas vrai ; tu changes en permanence d’avis et de position. C’est insupportable !».
« Je ne change pas d’avis, et je ne demande pas de reconnaissance, mais si tu pouvais au moins respecter, non, ne serait-ce que reconnaître un minimum tout ce que je fais, je n’aurais pas trouvé cela inéquitable et donc je n’aurais pas changé ».
Le schéma de la redondance, que l’on retrouve dans toutes les facettes de leurs interactions, qu’il s’agisse de l’argent, de la répartition des tâches, des projets, peut se décomposer comme suit :
« Je prends tout en charge pendant 5 ans » ; Nicolas s’engage ainsi à faire des choses avec lesquelles il n’est pas tout à fait d’accord lui-même et pour lesquelles il attend que Sophie les assume au moins partiellement ou en tout cas, les reconnaisse ;
Sophie prend cet engagement au mot et agit en conséquence, en se gardant de poser la moindre question au sujet des finances ;
Déçu par cette attitude, Nicolas commence alors à modifier les règles du jeu qu’il trouve désormais inéquitables pour y remédier mais sans le signaler;
Sophie le découvre et, vivant ce changement comme une trahison et une injustice, l’accuse de dissimulation et lui dit sa déception, ce qui donne à Nicolas le sentiment d’un déni de reconnaissance, et l’incite à modifier encore plus de choses unilatéralement. Les voilà repartis pour un nouveau tour….
Tout y est : escalades symétriques, paradoxes, boucles interactionnelles, règles du jeu non précisées aboutissant à des frustrations répétées car chacun trouve que l’autre doit payer.
A partir d’une situation où chacun fait ses comptes, ils en sont venus à un véritable règlement de comptes.
On est dans un contexte de grande souffrance, où chacune des parties tente de me rallier à ses vues pour m’en faire confirmer la justesse.
Toute mon énergie est mobilisée pour :
– rester en position méta afin de comprendre ce qui se joue,
– pouvoir décoder les ordres antagonistes derrière les indices, en termes de pragmatique de la communication,
– conserver la relation avec chacun d’entre eux à l’aide de reformulations, sans prendre parti.
Certes, je sais que dans la relation d’aide je ne veux rien de spécifique pour eux, ni qu’ils restent ensemble, ni qu’ils se séparent mais… face à deux paires d’yeux pleins de colère et d’attentes, difficile de rester dans le non vouloir.
La technique me permet ainsi :
– de comprendre les enjeux ;
– de saisir la manière dont chacun ponctue les interactions et leur articulation ;
– d’appréhender ce qui, dans le comportement de chacun, meurtrit la vision du monde de l’autre.
Leurs échanges se tendent, chacun essayant de prouver à l’autre qu’il est injuste et qu’il a tort. Veulent-ils encore rester ensemble ? « Oui » répondent-ils tous les deux.
Je leur fais alors remarquer qu’ils sont dans un enjeu du type gagnant-gagnant, ou perdant-perdant : soit les deux y gagnent, soit ils y perdent. En revanche, en voulant l’emporter sur l’autre, la seule chose qu’ils risquent… est de perdre leur couple.
Dans un second temps, lorsque je rencontre Sophie et Nicolas séparément, j’arrive à entrer dans un état de réceptivité différent. Je peux dès lors me caler au fond de mon siège, m’ouvrir davantage à ce qu’ils me disent, laisser les choses se développer à leur rythme, me laisser influencer par eux et le leur montrer, ce qui a pour effet de les mettre en confiance. Nous entrons ainsi dans un rapport plus égalitaire, qui m’a permis de mieux comprendre les positions de chacun.
D’abord, j’ai pensé qu’il leur fallait sortir de leur carré des neuf points : lui souffrant d’un déficit de reconnaissance, et elle partagée entre la douleur de se sentir trahie et l’attente angoissée du prochain changement des règles.
J’ai donc proposé un nouveau contrat de confiance entre eux, consistant à redéfinir la contribution de chacun aux divers postes d’un compte commun.
Toutefois, à la suite d’échanges au cours d’une supervision, ma perspective s’est élargie. J’ai compris que si l’intervention s’arrête à ce niveau là, il y a un risque que cette solution n’apporte de l’eau qu’au moulin de Sophie : elle serait rassurée, mais Nicolas pas davantage reconnu.
Il y aurait alors une gagnante, un perdant, une tentative de solution, voire une tentation de solution du thérapeute…
Une fois de plus, j’ai vérifié combien, derrière l’apparente simplicité de la grille, l’application de la technique est complexe. Elle requiert du thérapeute qu’il se positionne chaque fois au niveau correct, et qu’il l’adapte à chaque patient. C’est ce qui rend d’ailleurs ce modèle passionnant.
Une approche la plus libre de tout but conscient requiert que le thérapeute se mette en état de réceptivité. Il peut laisser l’imprévu advenir, s’appuyer sur lui pour rebondir et permettre au patient d’avancer sur son chemin.
Sophie et Nicolas ont commencé à appliquer leur accord ; cette première remise en mouvement ne permet pas de présager leur évolution ultérieure. Il n’est pas exclu qu’elle les ramène au point de départ.
Après tout, l’essentiel n’est-il pas d’être en chemin ?
© Joëlle Ingber/Paradoxes