Sixième Forum de la CFHTB, Nantes, 7, 8 et 9 mai 2009
Compte rendu par Irène Bouaziz et Chantal Gaudin
La CFHTB (Confédération francophone d’Hypnose et de Thérapies Brèves) a été fondée en 1996. Actuellement, elle a essentiellement pour but d’harmoniser les programmes de formation à l’hypnose et aux psychothérapies brèves et d’organiser, depuis 1997, des rencontres.
La CFHTB regroupe des Instituts Milton Erickson et des associations de praticiens travaillant dans le champ de l’hypnose et des psychothérapies brèves. Elle représente environ 3000 professionnels de France, Belgique, Suisse et Québec.
Le Sixième Forum de la Confédération organisé par l’Institut Milton H. Erickson de Nantes et l’AREPTA (Association régionale pour une thérapie active) se tenait à Nantes, du 7 au 9 mai 2009.
Plus de 20 années de participation à des rencontres professionnelles, nous ont appris qu’il y a trois types de congrès: les extraordinaires, les bien sympathiques et les déprimants.
Le Sixième Forum de la CFHTB fait partie du premier type… un de ces moments où l’on a le sentiment de participer à quelque chose d’important, tant en termes de rencontres que de contenu.
Cette réussite résulte peut-être de l’heureuse conjonction du travail d’une équipe organisatrice dynamique, du thème alléchant propice au lâcher prise: « Voyages extraordinaires entre stratégies et intuition » et de son ouverture aux différents courants de l’hypnose et des thérapies brèves. Le tout sous les auspices du fantastique Jules Verne qui avait enchanté notre enfance.
Il est manifeste pour nous que ce Forum marque un tournant dans l’histoire des applications médicales de l’hypnose en France. Une organisation remarquable, une affluence record (742 participants), des interventions importantes en quantité et en qualité.
Tant de superlatifs vous paraissent suspects ? Allez donc voir sur le site Internet du Forum (http://www.cfhtb2009.org/)malheureusement ce site n’existe plus), vous vous délecterez du feuilleton, étalé sur deux ans, de sa préparation (« making of »), vous serez impressionnés par la diversité planétaire, et toujours francophone, des intervenants (« atlas des participants »), vous aurez le vertige devant l’étendue de l’offre avec ses 150 communications (« programme »), et vous pourrez presque y participer à distance en cliquant sur 80 mots clés pour lire les « résumés des communications ». Il est prévu que les textes complets des interventions soient publiés sur le site et téléchargeables.
Donc, vous l’aurez compris, pour rendre compte de façon exhaustive de tout ce qui s’est dit au cours de ces trois journées marathoniennes, avec dix interventions en parallèle, il eut fallu une armée de reporters ou avoir le don d’ubiquité.
Nous ne pourrons vous livrer que quelques impressions, glanées ça et là, au gré de nos intérêts combinés aux contraintes des nos besoins physiologiques. Pas de pause déjeuner durant les interventions, avaient décidé les organisateurs, malgré la présence d’un excellent traiteur pour nous alimenter … Nous devions donc choisir entre atelier et coma hypoglycémique. Faire pipi ou changer de salle faisait rater le début d’une intervention ou la fin d’une autre, du fait de l’oubli – seul petit bug dans l’organisation – de l’intervalle de temps nécessaire aux déplacements dans l’immense Cité des Congrès de Nantes.
Lors des pauses ou en « séchant » une conférence, il était possible de s’approvisionner en livres auprès de la librairie/maison d’édition SATAS, toujours fidèle au poste pour la diffusion de l’hypnose. Elle était particulièrement bien achalandée cette année et présentait un produit phare qu’elle avait eu l’excellente idée de publier grâce à la traduction de Nathalie Koralnik: « Le Dr Milton H. Erickson, médecin et guérisseur américain » de Betty Alice Erickson et Bradford Keeney, somme de textes de et sur le grand maître, accompagnée d’un DVD d’une séance d’hypnose faite par lui.
À la fin des trois jours, il nous était proposé de voter pour les meilleures communications. Procédé assez étrange sous ses allures démocratiques puisque les orateurs les plus connus, seuls à s’exprimer en séance plénière et/ou dans l’auditorium de 800 places, recueillent obligatoirement plus de voix que les intervenants d’un atelier d’une mini salle de 20 places se déroulant parallèlement à neuf autres interventions (bon, d’accord, ce n’est pas si grave, on le sait bien, on ne prête qu’aux riches…).
Notre compte rendu reflète en quelque sorte notre « top 10 », sans prétention démocratique, ni objective.
Pour aller plus loin que la distinction habituelle entre « intéressant » et « pas intéressant », nous pourrions classer les communications en 5 catégories : celles qui nous ont appris quelque chose, celles qui nous ont fait réfléchir, celles qui nous ont époustouflées, celles qui nous ont été agréables, celles qui nous ont énervées et les autres…
Nous nous sommes cultivées avec :
Jacques-Antoine Malarewicz (Gilbert Simondon et la psychothérapie) qui nous a parlé du « plus connu des philosophes français inconnus». Il nous a appris que celui-ci a donné une base philosophique à la systémique mais nous n’avons pas compris grand-chose d’autre à un exposé, certes brillant, mais trop théorique pour les praticiennes de base que nous sommes. Nous n’avons pu en tirer, comme le propose Malarewicz dans sa présentation, de quoi aller plus loin qu’une conception trop cybernétique de la systémique (heu, et la seconde cybernétique, alors ?)
Bertand Méheust (Hypnose, intuition bergsonienne et lucidité magnétique) qui nous a fait découvrir un aspect méconnu de Bergson, philosophe pourtant tout à fait orthodoxe, qui a étudié le magnétisme et s’en est inspiré pour développer sa théorie de l’intuition. L’intuition peut être comprise, selon l’étymologie retenue, soit comme « voir à distance » soit comme « fusion ». Méheust, qui s’exprimait pour la première fois dans un congrès d’hypnose en tant que représentant de l’Institut Métapsychique, a évoqué plusieurs phénomènes comme les dermographies ou la sympathie des douleurs, encore empreints d’une odeur de soufre et pourtant interpellants lorsque l’on pratique l’hypnose.
Julien Betbèze (L’utilisation de l’approche narrative avec des patients psychotiques) qui nous a présenté, à une vitesse supersonique pour en dire un maximum et avec un enthousiasme touchant, l’approche narrative de Michael White. Des deux catégories de techniques (« modes d’entrée ») présentées, l’externalisation et l’exception, impossible de retenir, en si peu de temps, autre chose qu’une succession de questions. Si celles-ci ont certainement une grande efficacité lorsqu’elles sont posées au moment pertinent par un thérapeute attentif à la relation, elles peuvent faire craindre, lorsqu’elles sont utilisées par des néophytes, une protocolisation persécutante pour le patient, un peu, nous a-t-il semblé, comme dans les protocoles de Steve de Shazer ou Giorgio Nardone.
Bruno Suarez et Jean Becchio (Les effets de l’hypnose sur la motricité : une modulation subtile du mouvement) nous ont montré de superbes images d’IRM fonctionnelle de cerveaux d’étudiants faisant, en auto hypnose, des mouvements du poignet (ils imaginaient qu’ils volaient). Un exposé passionnant, mais lui-aussi trop rapide, qui confirme ce que nous pensions depuis longtemps : les mouvements faits en mode de fonctionnement hypnotique n’activent pas les mêmes aires cérébrales que ceux faits hors hypnose, mais un circuit temporo-pariéto-cérebelleux spécifique semble-t-il. Voilà qui donne matière à de belles métaphores pour nos patients et qui nous fait attendre avec impatience une publication.
Teresa Garcia (La thérapie familiale stratégique brève) dont nous admirons les qualités de thérapeute au point que nous
étions particulièrement intéressées de l’entendre parler de sa façon d’utiliser les protocoles de Giorgio Nardone (démarche dont nous réprouvons pourtant le caractère stéréotypé et guerrier). Dans sa revisitation de l’approche de Palo Alto Teresa Garcia questionne la position basse en faisant remarquer qu’une injonction autoritaire peut témoigner d’une totale confiance du thérapeute dans le client. Pour notre part, nous avions tendance à ne prendre en considération qu’un des sens que l’on peut donner à une injonction autoritaire : le non respect du client. Voilà qui rappelle effectivement que la dimension implicite d’un message peut-être décodée de différentes façons par le récepteur. Bien évidemment, la signification donnée dépend du contexte, donc aussi de tout ce qui se passe dans la relation thérapeutique ; dans une relation où le thérapeute se montre irrespectueux, une injonction autoritaire ne sera probablement pas comprise comme une marque de confiance. En tous les cas, voilà pour nous matière à réflexion…une opportunité d’assouplir un peu notre position basse ?
Marie-Christine Cabié et Luc Isebaert (Échanges centrés sur les compétences) ont fait une présentation claire et attractive
de leur modèle d’intervention qui semble se démarquer, au fil des années, de la Thérapie Brève Orientée vers les Solutions de Steve de Shazer. Ils nous ont rappelé que toutes les formes de thérapie donnent à peu près les mêmes résultats, ce qui a été baptisé « effet dodo » par Saul Rosenzweig en 1936 (en référence à Alice au Pays des Merveilles, où, après une course, le dodo dit : «Tout le monde a gagné et chacun doit recevoir un prix »). Si différentes études ont montré que la technique thérapeutique ne pesait que pour 10% dans les résultats (50% venant du patient, 25% de la relation thérapeutique, 15% se partageant entre effet placebo, espoir et intérêt), les intervenants ont très habilement montré comment leur approche permettait d’agir, au-delà des 10% techniques, sur les 50% venant du patient (définition des objectifs, activation des ressources et des motivations), sur les 25% de la qualité de la relation thérapeutique (souci du patient, intérêt, respect) et enfin sur les 15% restants lorsque patient et thérapeute ont confiance dans la méthode…. Heu… donc, si on fait le compte, les résultats positifs qu’ils obtiennent seraient à mettre à 100% sur le compte de leur méthode ?… Pas mal…Plaisanterie mise à part, nous avons été particulièrement intéressées d’observer comment, en miroir de cette présentation, leur approche thérapeutique (« centrée sur les compétences ») ne semble se distinguer de la notre (« l’approche paradoxale de Palo Alto » dite aussi « centrée sur le problème ») que dans les 10% concernant les techniques (ils vont vers la solution, nous allons à contre sens des tentatives de solution inefficaces).
Marie-Elisabeth Faymonville (L’utilisation de l’hypnose en douleur chronique) nous a donné à réfléchir, parce que sa présentation des problématiques de douleurs chroniques démontre la nécessité d’améliorer la collaboration entre les disciplines pour éviter le parcours « standard » désespérant du douloureux chronique : médecin-traitant et/ou urgences, investigations multiples, non réponses, non amélioration, angoisse, isolement, etc… jusqu’au fatidique : « vous n’avez rien » ou « vous devriez voir un psy » . …..
Nous avons été particulièrement enchantées de l’entendre affirmer avec une conviction que nous partageons totalement : « le patient est l’expert ».
Sylvie Le Pelletier Beaufond (Entre observation et perception : le lien thérapeute-patient en hypnose) a développé des idées qui nous sont chères en démontrant, à travers une vignette clinique, à quel point il est important de savoir être en relation avec le patient. Pour ce faire, le thérapeute doit être capable de se défaire de son arsenal de techniques et d’outils, pour ne pas les laisser s’interposer entre lui et le patient. Cette présentation a rencontré notre questionnement et nos préoccupations de formatrices. Comment trouver le bon équilibre, dans la formation, entre l’enseignement des techniques et celui des aptitudes relationnelles. Les techniques sont certes incontournables mais, plus faciles à apprendre, elles présentent l’inconvénient de donner l’impression que l’on « sait faire » et risquent, par leur côté parfois fascinant, de détourner l’attention du thérapeute de la relation avec le patient. Mais, jusqu’à quel point les dispositions permettant une qualité de présence au patient sont-elles enseignables ?
Sylvie Le Pelletier Beaufond nous dit qu’elle a été à l’école de François Roustang … la clé serait-elle dans ce que celui-ci appelle « la liberté du thérapeute »? Une position de non-vouloir qui rend totalement disponible à l’autre?
Dans le registre des interventions qui nous ont époustouflées, mentionnons :
Isabelle Nicklès (À l’écoute de l’antalgie, observez l’invisible) qui nous a montré, dans une présentation vidéo très
impressionnante, comment elle a prouvé à ses collègues de l’hôpital de Montpellier l’efficacité de l’hypnose en analgésie/anesthésie. Nous avons pu la voir subir, en auto-hypnose durant toute une heure et sans anesthésie aucune, une abdominoplastie, pratiquée par une équipe qui n’était pas formée à l’hypnose. Voilà qui s’appelle prêter son corps à la science, tout le monde n’en serait pas capable, nous en particulier, peut-être parce que, en tant que psychiatres nous n’avions pas eu l’occasion, avant ce film, d’acquérir une telle conviction de l’efficacité de l’hypnose dans ce contexte.
Plusieurs communications nous ont été particulièrement sympathiques :
Bertrand Piccard : (Intuition et voyage extraordinaire) nous a de nouveau enchantées avec la présentation de son tour du monde en ballon. Images magnifiques défilant sur écran géant derrière un orateur talentueux qui fait passer le message selon lequel chacun peut être le héros de sa propre vie et que toutes les situations difficiles peuvent être des occasions d’apprentissage (voir son texte dans le n°1 d’Hypnose et thérapies brèves). Il a terminé en nous donnant des nouvelles de l’avancement de son nouveau projet d’avion solaire (« Solar impulse ») et nous avons versé une petite larme de rigueur quand Joan Baez a entonné Let It Be pour un final grandiose.
Anne-Marie Loquais, Abou Sy et Louis Ba, (Étude de la transe ou NDEUP chez les Lébous du Sénégal) sont venus du Sénégal rendre compte de leur intégration des pratiques traditionnelles dans les prises en charge de leurs patients. Nous n’avons malheureusement vu qu’une partie de la vidéo de transes thérapeutiques réunissant un groupe de patients avec les familles et les guérisseurs traditionnels, faute du temps de transition entre deux salles, qui fut – répétons-le- le seul bémol d’une organisation parfaite, mais là, quelle frustration ! Heureusement nous avons pu bénéficier des explications de Louis Ba, remplaçant au pied levé un intervenant absent. Seule une connaissance approfondie de la culture traditionnelle permet une prise en charge efficace des patients psychiatriques au Sénégal en combinant les différentes pratiques.
Pascal Perrault (Interactivité, hypnose et Médecine traditionnelle chinoise) nous a bien détendues avec les petits exercices de Qi Gong qu’il nous a proposés. Une façon de rendre les patients actifs en participant à leur traitement par une pratique particulièrement proche de l’hypnose, comme l’ont sans doute constaté les participants à cet atelier.
La très grande variété de choix proposé dans ce Forum nous a permis de nous épargner la dernière catégorie d’interventions, celles qui nous auraient énervées, mais, revers de la médaille, nous avons regretté toutes les communications auxquelles nous n’avons pas pu assister.
En conclusion, la cuvée 2009 du Forum de la Confédération Francophone d’Hypnose et de Thérapie Brève a été d’excellente qualité. Les différentes Instituts Milton Erickson francophones et autres associations ont fait la preuve de leur vitalité. Seul l’Institut Milton H. Erickson de Paris, pourtant le premier d’entre tous historiquement, a brillé par son absence, ce qui a désolé plusieurs d’entre nous qui y avions fait nos premiers pas.
© I. Bouaziz et C. Gaudin/Paradoxes