Thérapie Brève et Intervention Systémiques (modèle de Palo Alto)

Séminaire de Cloé Madanes, 22, 23 et 24 novembre 2004, Paris
Compte rendu de Marianne Orvoën

Sous la présidence du psychologue Claude Seron, l’association Paroles d’Enfants proposait en cette fin novembre trois jours de séminaire avec Cloé Madanes pour présenter son modèle d’intervention avec les familles.

Cloé Madanes, femme d’apparence douce mais qui semble posséder une poigne de fer est née en Argentine (comme Salvador Minuchin avec lequel elle travaille). Elle est «psychologue américaine, docteur en sciences humaines et professeur de psychothérapie [et] fut avec Jay Haley, l’une des fondatrices de l’approche stratégique en thérapie familiale». Longtemps thérapeute et superviseur au Family Therapy Institue de Washington (qui a fermé ses portes il y a trois ans), elle milite, autant au niveau des instances gouvernementales que des associations de psychologues américains, pour résister à la médication systématique des enfants et adolescents difficiles et à leur placement en institutions (deux grands enjeux du business américain) au profit d’une prise en charge psychothérapeutique.
Elle dirige actuellement The Robbins-Madanes Center for Strategic Intervention qui vise à promouvoir harmonie et efficacité dans les divers systèmes sociaux, aussi bien la famille que les organisations gouvernementales ou les ONG. Elle est l’auteur de nombreux articles et ouvrages dont Derrière la glace sans tain et La thérapie familiale et stratégique.

Le modèle d’intervention
Au cours de ces trois jours, Cloé Madanes nous a largement fait découvrir le modèle d’intervention qu’elle a peaufiné tout au long de sa pratique et de ses recherches. Sa présentation alternait exposés et transpositions de sa stratégie dans des cas impliquant enfants ou adolescents et leurs parents, ainsi que plusieurs vidéos d’intervention dirigées par des étudiants en supervision. Tous ces cas étaient abondamment commentés et expliqués.
Dans les idées et les interventions de Cloé, on retrouve bien sûr tous les fondements de l’approche de Palo Alto et le fait de se retrouver en terrain familier ne fait que rendre plus visibles les apports spécifiques et les différences avec notre propre approche de la Thérapie Brève.

À propos de la vision interactionnelle et systémique
Pour Cloé Madanes, thérapeute systémique dans l’âme et humaniste convaincue, l’intervention au niveau du contexte social est la façon la plus rapide et la plus efficace pour «changer quelqu’un». Dans ce contexte, l’élément le plus pertinent est constitué par la famille qui peut être très élargie, (et qui doit l’être dès que l’intervention paraît dans une impasse) aux cousins, oncles et beaux-parents, mais aussi à la communauté religieuse ou de quartier ou encore à l’école.
Une telle mobilisation de l’entourage permet évidemment de modifier directement les relations au sein de la communauté concernée, mais de plus, dit-elle, « cela suggère indirectement que dans un contexte identique nous nous comporterions d’une manière assez similaire et cela accentue donc l’empathie avec le sujet».
Elle affirme par ailleurs de façon nette qu’une thérapie individuelle ne peut pas être systémique.

La démarche stratégique
L’analyse du système, sa compréhension et les hypothèses qui peuvent être formulées sont le rôle de l’intervenant et du superviseur. La progression de la thérapie, planifiée de séance en séance, va constituer à vérifier les hypothèses, puis, une fois le type de problème défini à appliquer la stratégie appropriée.
Au cours du séminaire et dans les interventions de ses élèves projetées en vidéo, Cloé nous présente sa stratégie comme une série de programmes, établis au fil de sa pratique, constitués d’une succession d’étapes en nombre et ordre définis et immuables, pour chaque type d’intervention (de «sept étapes pour la Prévention de la Violence Conjugale» à «vingt étapes pour les Adultes Agresseurs Sexuels».)

Importance des directives
Dans cette pratique de la thérapie stratégique, la directive est primordiale. Elle peut être directe ou indirecte, métaphorique ou paradoxale et, selon Cloé Madanes, elle «remplit la même fonction que l’interprétation en psychanalyse». La thérapie progresse par un mouvement permanent qui va de la directive à l’observation de ses effets, pour passer à une autre directive qui doit aussi impérativement être exécutée (ou réévaluée si elle apparaissait inappropriée). Le thérapeute n’hésite pas à adopter une autre ligne de conduite si nécessaire.

Les concepts
La hiérarchie, notion fondamentale du modèle
Pour Cloé, de nombreux problèmes résultent de la cohabitation de deux hiérarchies incompatibles au sein des familles: par exemple, la domination des parents, pour tout ce qui concerne l’aspect pécuniaire et matériel de la vie familiale, peut entrer en conflit avec la domination qu’impose un enfant par sa violence ou sa toxicomanie.
De nombreuses interventions, surtout paradoxales, vont viser à restaurer la «bonne” hiérarchie au sein de la famille; les parents seront confortés et mis en valeur pour tout ce qu’ils font de bien, et les enfants prendront en charge un point léger et ludique, par exemple l’éducation au bonheur de leurs parents.

La place du passé
Longtemps, Cloé Madanes n’a considéré le passé que comme un élément de la vision du monde. Actuellement son attitude est plutôt de lui redonner une place importante dans le processus thérapeutique à travers deux questions :
– Que s’est-il réellement passé?
Chacun va apporter devant les autres des éléments sur ce qu’il savait, ce qu’il a pensé, ce qu’il a vécu.
– Qui prend la responsabilité du passé?
Ce qui va aboutir à des séances de repentir, fondamentales et incontournables pour Cloé.

Les métaphores transgénérationnelles
Parmi les hypothèses sur le problème, Cloé Madanes attire l’attention sur ce qu’elle nomme la «métaphore transgénérationnelle» : le postulat est qu’un comportement symptomatique d’un des membres du système est en fait une métaphore d’un problème porté par un autre membre du système (l’enfant alcoolique ou toxicomane est en fait en charge du symptôme du père qui, lui, est infidèle).
Hormis le rôle joué par le thérapeute dans une telle mise au jour, ceci peut être vu comme une version un peu plaquée et extrême de «cherchez l’inconvénient au changement».
Dans les situations de violence ou abus, le fait d’intervenir en séances familiales va souvent amener d’autres membres de la famille à révéler une souffrance identique, ce qui contribue à renforcer le lien et l’empathie. Pour Cloé, une telle mise en lumière et l’expression du repentir formalisé dans la thérapie, vont bloquer un processus de répétition transgénérationnel du problème.

En ce qui concerne la psychopathologie
Pour des questions d’assurance, il est parfois indispensable aux États-Unis, de poser un diagnostic. Opposée à ce principe, Cloé Madanes, laisse alors à la famille le choix de l’étiquette qui lui convient le mieux, après en avoir discuté le sens et les implications.

Nos besoins fondamentaux
Sa longue pratique et ses recherches ont amené Cloé à considérer que six besoins fondamentaux devaient être respectés à chaque niveau des systèmes.
Quatre sont vitaux, parmi lesquels deux vont être prépondérants pour chaque individu:
–  Certitude (ou sentiment de sécurité)
–  Incertitude (ou besoin de variété)
–  Sens, sentiment d’importance
–  Amour et lien
Deux sont importants sans être vitaux:
–  Croissance
–  Contribution
Pour le bon déroulement de la thérapie, il sera indispensable au thérapeute d’assurer la satisfaction de tous ses besoins dans le cadre des séances, puis d’amener chacun à respecter ceux des autres. Il s’agira d’abord de mettre au jour ces besoins et de formuler les façons de les satisfaire (le plus précisément possible: quand, comment combien de fois, …), de souligner – le cas échéant – les similitudes pour renforcer les liens, de mettre en place des stratégies pour amener chacun à satisfaire les besoins de l’individu-problème. Le travail peut se faire à l’un ou l’autre des niveaux logiques: celui du besoin (pour renforcer le lien en cas de similitude) ou celui des moyens de satisfaction (dans les cas de manque ou de distance).

Une théorie de la victimisation
Parce que le petit enfant ne comprend pas la sexualité, il va être, en cas d’abus, obsédé par deux questions:
Est-ce qu’il m’aimait ou me détestait?
Qu’est-ce qu’il voulait?
À cela il peut donner deux suites :
–  Si je vis à nouveau l’abus, je comprendrai ce qu’il pensait.
–  Si je me mets à la place de l’agresseur, je comprendrai ce qu’il ressentait.
Il est alors important de le détourner de cette obsession de comprendre. (Il n’y a rien à comprendre car c’est mal et le mal est idiot).

Les quatre stades du développement spirituel:
–  Le Besoin de contrôler
–  Le Besoin d’être aimé
–  Le Besoin d’aimer
–  Le Besoin de se repentir et de pardonner
La thérapie doit être une occasion de progression spirituelle; aussi le programme appliqué prendra particulièrement en compte cette dimension dans ses différentes étapes.

Quelques utilisations paradoxales
Le paradoxe ne sera pas employé ni pour les personnes sous contrainte, ni pour les personnes invitées pour élargir le noyau dysfonctionnel du système familial.
Le paradoxe est utilisé tout au long des interventions. Il ne constitue pas une stratégie générale mais est utilisé comme un outil, tant dans les prescriptions que dans certains recadrages.
Ainsi, une variante de la prescription du symptôme consiste à feindre le symptôme avec consigne aux parents de feindre la réponse; alors, le thérapeute introduit le doute sur la nature réelle de la crise; ainsi dans l’exemple d’un enfant épileptique et du soin donné par les parents à chaque crise, devant une excellente simulation, le thérapeute laisse entendre que, vu le réalisme de la crise, celle-ci était sûrement une vraie crise.
De même, il va être conseillé d’utiliser des objets de symptôme (arracher les cheveux d’une poupée plutôt que les siens).
Et un très beau recadrage paradoxal : la source du pouvoir ultime est de n’avoir aucun désir, car alors rien ne peut vous être enlevé.

Le repentir
C’est une dimension très importante dans la stratégie de Cloé, chaque fois qu’un enfant ou un adolescent a été mis en cause dans des situations de violence ou d’abus.
Elle est indissociable de la notion de souffrance morale (ou spirituelle ou du cœur) chez la victime et l’agresseur, souffrances qui vont être évoquées à une étape bien précise du programme.
Cloé pense que les agresseurs n’ont aucune excuse dans ce genre de cas (ni l’enfance, ni la provocation, ni l’alcool) et qu’ils doivent absolument prendre la responsabilité de leurs actes et témoigner un réel repentir, sincère, devant le système thérapeutique entier et l’exprimer à genoux. Ce sont les membres du système qui jugent de la sincérité du repentir pour l’accepter. Nous avons vu en vidéo des séances qui pouvaient durer plusieurs heures et se terminaient par une grâce d’une semaine; Cloé affirme qu’il est important de «briser» (breaking) l’adolescent.
Les parents d’une victime devront également s’excuser de n’avoir pas su protéger leur enfant.

Position du thérapeute
Cloé Madanes la définit et l’enseigne clairement: dans son modèle, le thérapeute se situe au sein du système thérapeutique à un niveau hiérarchique supérieur aux membres de la famille. Dans ce contexte, c’est lui qui analyse, comprend le problème, fait des hypothèses et porte la responsabilité du déroulement et du résultat de la thérapie; il doit prendre tous les moyens pour amener au changement. Il reste toutefois sous le contrôle du superviseur qui, vigilant derrière la glace sans tain, guide par téléphone ou intervient dans la pièce.

En conclusion
De la thérapie familiale à la stratégie d’action sociale
Tout au long de la démarche de Cloé Madanes, on est surpris par la force de ses convictions: optimisme dans les capacités de changement, volonté de se centrer sur les bonnes choses plutôt que sur ce qui ne va pas, conscience de sa responsabilité et de ses capacités pour guider, voire imposer, le changement.
Son impuissance à juguler le déclin des thérapies familiales aux États-Unis et son désir de contribuer au monde qui l’entoure, l’ont amenée vers de nouveaux champs à explorer. Dans ce cadre, sa surprenante association avec Anthony Robbins prend tout son sens : partageant tous deux les mêmes convictions, ils allient la force d’impact que représentent chez Robbins (voir ci-dessous) son charisme, son efficacité, son côté visionnaire et ses moyens d’homme d’affaire à la puissance stratégique et à la connaissance des systèmes humains de Cloé Madanes, «pour trouver des solutions aux conflits interpersonnels, pour prévenir la violence et contribuer à la création d’une communauté plus cohésive et civile», (traduit de la présentation de leur site).

Réactions et commentaires personnels
Dans le cadre des thérapies familiales et stratégiques, la démarche de Cloé Madanes, finalisée au début des années 80, me semble particulièrement novatrice dans cette mise en avant de la hiérarchie familiale, de ses incongruences et de la nécessité d’y remettre de l’ordre, ainsi que par l’aspect métaphorique qu’elle attribue au symptôme et l’intérêt d’en découvrir la spécificité. Contrairement aux autres approches du moment, elle met plus en avant l’aspect organisationnel des systèmes que l’aspect communicationnel) et associe dimension stratégique particulière avec les programmes d’intervention.
Sur le plan technique, elle se distingue alors par l’utilisation du paradoxe à des fins purement stratégiques, (et non pour contourner des résistances auxquelles elle ne croit pas), par la mise en place de protocoles d’intervention adaptés à chaque type de situations et par l’élaboration de techniques spécifiques visant à transposer le symptôme métaphorique en comportements et jeux métaphoriques.

Nous n’avons, hélas, vu aucune de ses interventions personnelles, tous les enregistrements portant sur des séances réunissant de deux à cinq personnes dirigées par ses confrères ou élèves; par ailleurs, moi qui trouve déjà difficile de sélectionner les informations pertinentes avec un seul client, j’aurais apprécié de voir comment gérer la relation et l’intervention avec tout un quartier!

Dans son parcours, Cloé Madanes se pose en expert; en intervention, elle revendique aussi cette position pour le thérapeute ainsi que l’autorité que cela confère pour imposer, le cas échéant, vues, décisions et exigences. Or, nous avons pu constater que cela pouvait être dur, parfois même très dur: l’une des séances enregistrées qui cherchait à obtenir le repentir à genoux a suscité un réel malaise de l’auditoire par sa durée et la violence intrinsèque qui s’en dégageait. Pour moi qui suis formée à la recherche de la position basse, cela était quasi insupportable et me semble vraiment incompatible avec la notion d’empathie.
Cette intransigeance avec les responsables d’abus sexuel est-elle justifiée par la violence représentée par ce type d’agression, par une culture du politiquement correct ou par la «nécessité» de participer à la croissance spirituelle? Le «repentir à genoux» est-il une condition de bons résultats de non récidive? Personne n’a, hélas, rebondi sur ce point particulier.

Par ailleurs, bien que le modèle soit censé être non normatif, il existe une «bonne» hiérarchie familiale qui «doit” être rétablie, les programmes d’intervention fixés doivent se dérouler dans l’ordre prévu et le repentir « doit absolument» se faire à genoux; ces règles et principes, que Cloé nous a confirmés, m’ont semblé vraiment en porte-à-faux avec les notions de vision du monde, confiance dans les capacités de changement et respect du client, mises en avant dans la présentation.

Pour moi, Cloé Madanes semble allier force, conviction et maîtrise parfaite de ses possibilités. À aucun moment on ne doute de son humanisme, de sa foi dans le modèle qu’elle a élaboré, de son efficacité à aider les gens à résoudre leur problème et de sa détermination à poursuivre de grands projets sociaux; dans cette perspective, son développement de la thérapie familiale et stratégique traduit bien son combat pour le maintien de la cohésion familiale et sa lutte contre la dépendance pharmaceutique; hélas, pour moi, normativité et position du thérapeute mesurée à l’aune de l’Ecole du Paradoxe représentent les failles majeures de ces trois journées passées avec cette grande dame de la thérapie systémique qu’est Cloé Madanes.

Pour en savoir plus
Deux livres: Derrière la glace sans tain, Éditions ESF (1988), Stratégies en thérapie familiale, Éditions ESF (1991)

Deux sites
http://www.cloemadanes.com
The Robbins-Madanes Center for Strategic Intervention: http://www.robbinsmadanes.com

Antony Robbins
Génial utilisateur de la PNL, militant charismatique de la motivation, conférencier fascinant, conseiller d’hommes politiques, entrepreneur infatigable, homme d’affaires exceptionnel, optimiste irréductible, un bon brin mégalomane, il est l’auteur enthousiaste de deux grands best sellers traduits dans de nombreux pays: Pouvoir illimité, Collection Réponses, Éditions Robert Laffont, L’éveil de votre puissance intérieure, EDI INTER, Le Jour Éditeur
© M. Orvoën/Paradoxes

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