Communication à la deuxième Journée d’Etude de Paradoxes, 11 octobre 2003
Sylvie Levy
Préambule
Cette étude a été réalisée pendant l’été 2003.
Introduction
Après avoir suivi les trois ans de formation à l’Institut Gregory Bateson de Liège et plusieurs groupes de supervision et de pratique avec Irène Bouaziz, j’ai pu constater que nous étions nombreux à rencontrer des difficultés dans l’application de l’approche de Palo Alto.
Un des objectifs de cette étude était d’explorer quelles sont les principales difficultés rencontrées dans l’apprentissage et la mise en application de ce modèle.
De plus, parmi les participants aux différents groupes auxquels j’ai participé, j’ai remarqué que certains se frottent à ces difficultés, « tombent », se relèvent, recommencent encore et encore, et malgré les « bleus », continuent à essayer d’appliquer cette approche.
Et par ailleurs, ce qui m’a paru étrange, c’est que d’autres participants investissent en temps, en argent, en déplacements, pour des formations ou des supervisions, tout en continuant dans leur pratique à utiliser d’autres modèles que celui de Palo Alto.
J’ai donc eu envie, deuxième objectif, de mieux comprendre quelle est la nature de l’attrait pour la Thérapie Brève ou l’Intervention Systémique Brève, et pourquoi est-on prêt à faire beaucoup d’efforts, même quand ce n’est pas pour un rendement immédiat, pour l’apprentissage de cette approche.
Enfin, cette étude, étant présentée dans le cadre de l’association Paradoxes, il s’agissait de donner l’occasion d’échanger à partir d’un recueil de nos expériences à tous, sur nos témoignages, nos opinions, nos préoccupations, nos besoins et nos attentes.
Méthodologie
Un questionnaire semi-qualitatif a été envoyé par l’intermédiaire de l’association Paradoxes à une centaine de personnes.
Ce questionnaire comprenait cinq chapitres :
1) Définition de la Thérapie Brève/Intervention Systémique Brève
2) Rencontre avec ce modèle
3) Utilisation de la Thérapie Brève/Intervention Systémique Brève
4) Opinion
5) Conclusion
Échantillon
Les vingt-cinq réponses me sont parvenues de façon anonyme.
Les personnes qui ont répondu ont les profils suivants:
• Pour ce qui concerne le type de pratique :
– 9 psys
– 10 consultants
– 3 psys/consultants
– 2 urbanistes
– 1 orthophoniste
• Leurs âges se répartissent comme suit :
– entre 30 et 40 ans: 6 (2 psys, 3 consultants, 1 urbaniste)
– entre 41 et 50 ans: 12 (6 psys, 3 consultants, 1 psy/consultant, 1 urbaniste, 1 orthophoniste)
– entre 51 et 60 ans: 7 (1 psy, 4 consultants, 2 psys/consultants)
Dans notre échantillon, la Thérapie Brève ou Intervention Systémique Brève est un modèle de la « maturité ».
• Le nombre d’interventions qu’ils effectuent est de l’ordre de:
– pour les psys : entre 80 et 200 consultations par mois
– pour les consultants : entre 3 et 30 interventions par mois
Le nombre d’interventions est un reflet direct du niveau de pratique du modèle, du niveau d’entraînement au modèle.
La première conséquence est perceptible dans les discours:
Psys : » Mon outil, mes interventions, mon cheminement, il me permet de me sentir, il m’est … »
Une appropriation plus personnelle, plus intériorisée.
Consultants : « Une approche, un nouvel outil, un cadre d’accompagnement, un modèle d’intervention, une logique, … , son efficacité, son intelligence, sa pertinence, sa philosophie,…, il permet, il est respectueux, il est efficace, etc. »
Une appropriation plus distanciée, plus livresque.
• Leur rencontre avec la Thérapie Brève/Intervention Systémique Brève s’est effectuée:
– lors de cours ou de conférences pour 4 des personnes interrogées
– par des lectures pour 5
– grâce à des amis ou des collègues pour 13
• Ils se sont formés:
– 19 à l’Institut Gregory Bateson
– 5 avec Irène Bouaziz
– 1 par ses lectures
• Le nombre de cycles suivis:
– 4 cycles pour 2 des personnes interrogées
– 3 cycles pour 16
– 2 cycles pour 3
– 1 cycle pour 4
• Ils utilisent le modèle:
– systématiquement : 11
– très souvent : 11
– rarement : 2
• Depuis :
– 7/8 ans pour 4 des personnes interrogées
– 4/5 ans pour 4
– 3 ans pour 3
– 2 ans pour 5
– 1 an pour 6
– 1 mois pour 1
En individuel pour 13
En collectif pour 1 urbaniste
En individuel et en collectif pour 9 dont 6 consultants
• Pour ce qui concerne les supervisions
– 15 se font superviser
– 9 ne se font pas superviser
– 1 se fait superviser par une systémicienne et un PNListe
• La fréquence de supervision est de :
– 6 fois par trimestre pour 3 personnes interrogées
– 3 fois par trimestre pour 7
– 1 à 2 fois par trimestre pour 3
– 1 fois par an pour 1
– irrégulièrement pour 4
Synthèse des résultats
À noter que les résultats sont accompagnés de mes commentaires et donc fortement teintés de mon interprétation.
I – Une forte séduction intellectuelle
Ce modèle suscite au départ une forte séduction intellectuelle.
Il est considéré comme efficace et rapide, rigoureux, intelligent et respectueux.
Efficace et rapide
La nature de l’efficacité de ce modèle se traduit au travers de la définition qui en a été donnée par les interviewés.
L’expression de la définition est très centrée sur les effets, les résultats, au travers de verbes d’action: « modifier, agir, faire évoluer, changer, faire changer, changement, autrement,… atteindre ses objectifs, … nouveaux comportements ».
Rigoureux
Ce modèle est considéré comme rigoureux à deux niveaux:
1- Il s’agit d’une approche globale et cohérente: « Une seule approche de bout en bout. »
2- La grille d’intervention constitue une structure solide comme une sorte d’échafaudage dans lequel on se sent à la fois en sécurité et libre de se mouvoir: « Se laisser guider par la grille », « Très en confiance », « Penser à travers la grille ».
Intelligent
Ce modèle est stratégique et en cela il requiert une réflexion spécifique pour chacune des étapes de l’intervention. Comme lorsqu’on joue aux échecs, chaque coup doit être pensé et repensé en fonction des avancées du partenaire.
De plus, il est porté par une théorie riche décrite comme une référence rigoureuse.
Respectueux
Au travers des réponses apportées, il apparaît que la place que l’on réserve au client dans ce modèle est particulièrement respectueuse.
Le client est certes un acteur, et les interventions ne peuvent se faire qu’en fonction de lui, de ce qu’il va apporter.
Mais au-delà de cela, la réussite de l’intervention et donc son efficacité, sa rapidité, dépend fortement de la bonne compréhension de la vision du monde de ce client (pour la problématisation ou la vente de la tâche, par exemple).
Il y a comme une « obligation », si l’on veut être pertinent dans ce modèle, si l’on veut être dans la bonne posture stratégiquement, à comprendre l’autre, son fonctionnement, ses antécédents, etc., et à adapter spécifiquement nos interventions.
On voit là comment le modèle s’applique à lui-même: notre tâche, en tant qu’intervenant, est d’être respectueux, nous finissons par être tant imprégné de cette nécessité de respect que nous nous retrouvons à adopter (ou conforter) un mode de pensée, une vision de la vie, une philosophie.
Ainsi, à la question posée: Qu’est-ce que ce modèle vous a apporté dans votre vie professionnelle et/ou personnelle? les réponses apportées suggèrent qu’au-delà du professionnel, du métier lui-même, l’utilisation du modèle « change » les intervenants, leur propre vision du monde, leur rapport au monde.
« Beaucoup de distanciation et d’intelligence de la compréhension des situations réelles (la réalité des uns et des autres »
« Difficile de résumer cela en quelques lignes. Cela m’a déjà permis d’opérer beaucoup de changements dans ma vie privée. Cela m’a certainement permis de mieux comprendre (et accepter) la condition humaine… »
» Une autre façon d’envisager l’aide et l’accompagnement des personnes »
» Une autre vision des problèmes (et même des événements en général), un autre mode de questionnement sur moi-même »
» Un autre regard sur la vie et les problèmes. D’autres façons de faire pour être en relation avec les autres. «
La force et le nombre des verbatim allant dans ce sens peut nous laisser aller à nous poser la question suivante:
N’y a-t-il pas, avec l’utilisation de ce modèle, une forme de « conversion » qui s’opère? (avec tout ce que cela suppose d’exaltant, mais aussi de dogmatique!)
Ceci étant, notre regard sur les personnes et les interactions est certainement de plus en plus tolérant et au-delà de la technique, le sentiment d’adhérer à une communauté de valeurs « politically correct » conforte notre adhésion à ce modèle et nous apporte plus de solidité.
Au total
La séduction pour ce modèle se fait sur la combinaison de l’efficacité-résultats et du respect de la personne.
La rigueur qu’impose l’aspect stratégique porte sur le respect du processus d’intervention, mais aussi sur le respect d’une relation-client spécifique, interactionnelle, tolérante et déontologique.
À noter que cette séduction peut, au moins dans un premier temps, porter sur le côté « magique » de l’efficacité et la rapidité des résultats obtenus. Ceci pose la question de quel est notre objectif en tant qu’intervenant :
– Est-ce de résoudre les problèmes? (avec peut-être le risque d’être plus client que le client)
– Ou bien, est-ce de rendre le client plus autonome par rapport à son problème? (avec peut-être le risque de gérer une certaine frustration pour nous ou pour le client)
« Mon expérience me montre qu’un bon questionnement, que la confrontation du client à ce qu’il veut vraiment, dans le cadre d’un contexte dont il identifie les opportunités et les limites, et enfin que la baisse de la pression « en trop » sont souvent les bons ingrédients pour que le client n’ait plus besoin de moi. »
II – Les difficultés rencontrées/Les difficultés surmontées
La séduction s’opère et s’accompagne des difficultés de l’apprentissage.
22 sur 25 des personnes interrogées rencontrent des difficultés dans l’application de ce modèle. (Communauté de valeurs, mais aussi communauté dans la difficulté… !)
A – Les difficultés rencontrées
Les difficultés énoncées sont de deux ordres:
• Beaucoup de difficultés de mise en œuvre dont la plupart concerne:
– l’identification du problème/problématisation
– la construction et la vente des tâches
– la conception de la stratégie de changement
– la clientélisation (clients sous contrainte, « plaignants », clients habitués à d’autres modèles).
• Des difficultés face à l’agilité mentale que réclame le modèle.
En effet, pour être pleinement efficace lors des interventions, les personnes interrogées indiquent qu’il est nécessaire d’avoir le cerveau occupé à plusieurs choses à la fois.
Il existe une véritable tension dans le maintien entre :
– écoute, suivi
– aspect stratégique
– exposition plus grande (position basse, constructiviste) = plusieurs étapes sont décrites comme générant un feed-back du client en direct, ou bien sur ses insatisfactions, ou bien sur nos propres maladresses.
Pour exemple: L’achat ou non de la tâche nous renseigne immédiatement sur la pertinence de notre argumentation de vente. Suite à un recadrage, les réactions du client, verbales ou non verbales, nous indiquent son niveau d’impact, etc.
« La clientélisation, en ce sens qu’elle requiert – parfois- une grande énergie stratégique, la mise en oeuvre de techniques paradoxales tout en cherchant l’alliance, c’est fatigant..… »
» Le va et vient entre la gestion de l’entretien et la position méta, la maîtrise de l’aspect stratégique »
» Une gymnastique constante pour utiliser les phases de la TB / ISB avec souplesse »
» Constance pour conserver le cap »
» Fatiguant « , » Un inconfort certain par manque de maîtrise »,
» Exige beaucoup de concentration »,
» Les qualités de » caméléon » et de super stratège qu’il demande à l’intervenant « ,
» Il faut s’accrocher! »
» Je peux voir MES faiblesses qui ne sont pas celles du modèle. »
B – Les difficultés surmontées
Lorsque l’on aborde les difficultés surmontées, il est intéressant de constater que la nature de ces difficultés entre dans le cadre que l’on retrouve dans tout processus d’apprentissage. Ainsi, on retrouve les trois phases : incompétent conscient, compétent conscient, compétent inconscient.
Par analogie, lorsque l’on apprend à conduire, on se rend compte qu’on ne sait pas conduire, on applique les techniques de conduite en prêtant attention à toutes les étapes, puis avec l’expérience, la conduite devient réflexe.
Pour ce qui concerne ce modèle, voyons ce que recouvrent les différentes phases.
Incompétent conscient
Les premiers échecs dans nos tentatives nous renseignent sur notre incompétence et sur les points à travailler progressivement pour acquérir une meilleure maîtrise.
Compétent conscient
Cette phase est décrite par la plupart des personnes interrogées comme se jouant à deux niveaux différents:
1) La mise en œuvre du geste
Par application des « consignes », on arrive à acquérir de la méthode.
Ceci s’effectue grâce à:
– beaucoup de discipline, de rigueur
– des supervisions
– les enseignements tirés des erreurs.
2) L’abandon des anciens réflexes
Comme nous l’avons vu dans l’introduction, parmi les personnes interrogées, beaucoup ont 40 ans et plus, et donc une certaine pratique professionnelle derrière eux, basée sur d’autres approches.
Ainsi, pour ceux-là, l’introduction de ce modèle se fait nécessairement par l’abandon d’anciens réflexes. Ceci n’est pas facile, car il faut abandonner des réflexes maîtrisés pour des « gestes », au départ, maladroits: « Oser, oser l’abandon ».
Ceci s’effectue grâce aux:
– supervisions
– recherches de l’erreur par retour sur les séances.
Compétent inconscient
Cette phase est très directement perçue comme étant axée sur des » décrispations » à deux niveaux:
1) Décrispation sur le « geste »
« Toutes les phases de la TB/ISB sont à travailler constamment pour qu’elles deviennent réflexes.
Ceci s’effectue grâce à:
– beaucoup de pratique
– des supervisions
– des échanges avec d’autres utilisateurs du modèle
2) Décrispation sur les échanges pour acquérir plus de fluidité
Ceci s’effectue grâce à :
– de l’humilité
– des supervisons
–… et toujours beaucoup de pratique
Dans les premières phases de l’apprentissage, on explore les interactions dans lesquelles se trouve impliqué le client.
En parallèle ou plutôt peut-être dans un deuxième temps, le côté technique : » la grille » étant mieux intégrée, c’est notre interaction client-intervenant qui acquiert plus de souplesse, plus de fluidité.
Comme l’indique le verbatim suivant : » Laisser le client me dicter mes interventions « , l’enjeu est d’assumer l’interactionnel complètement, jusque dans sa propre posture face au client.
Alors, s’établit une vraie co-construction avec une maîtrise du cadre et une souplesse dans la relation.
De fait, la compétence est sur la maîtrise du processus, et non sur la maîtrise du contenu.
D’où la difficulté de certains consultants à « vendre » ce modèle d’intervention :
» Un seul inconvénient : les résultats sont difficiles à valoriser auprès de clients » traditionalistes » du conseil qui » ne comprennent pas comment ça marche « .
Au total, dans l’apprentissage de la TB/ISB, trois grands mouvements se dessinent de façon marquante au travers des réponses apportées par les personnes interrogées.
Premier mouvement: l’abandon
– abandon des anciens réflexes
– abandon de la crispation relationnelle: » arrêter de vouloir pour le client «
» Désapprendre, abandon, …., Laisser, mettre en œuvre, me libérer, faire baisser la pression, freiner, travail de longue haleine, retirer… «
Cet abandon s’accompagne d’un » vrai labeur « , car il nécessite un effort important de lâcher-prise et ne peut se faire sans passer par un apprentissage exigeant comprenant beaucoup de pratique, des supervisions, des échanges, de la discipline, de la rigueur, de l’humilité.
Deuxième mouvement: le passage d’une forme d’enfermement, de crispation où la place de la créativité est réduite, à un véritable confort qui s’accompagne de plaisir.
Avant:
» La rigueur me cloisonne et je limite ma créativité et un travail intuitif »
» Difficile à maîtriser pour moi, étant donné mon fonctionnement habituel plutôt global, intuitif et spontané »
» Le manque d’assurance dans le mouvement à donner à la séance «
Après:
» C’est à l’expérience que je dois une pratique de plus en plus libre et créative. (…) Le modèle me permet de me sentir léger, confiant, créatif, joyeux »
» De l’humour et de la créativité »
» Eviter que le thérapeute ne s’ennuie « , » Pratiquer indéfiniment sans tomber dans la routine »
» Encore plus de sérénité »
» Une plus grande liberté »
» Un sentiment de sécurité »
» Bref … de la maturité, de la sérénité … et de la gaîté ! «
Troisième mouvement: la gestion d’un « apparent paradoxe » entre rigueur extrême et lâcher-prise extrême:
– Une application particulière sur l’intervention, une tension sur l’interaction
» Questionner de façon rigoureuse et méthodique »
» Questionner en douceur, avec beaucoup de respect, avec attention au langage verbal et non verbal »
» Ne pas faire d’intervention lourde, si on n’est pas sûr du problème, de l’objectif, que l’interlocuteur est vraiment client »
– Une grande confiance dans les ressources du client
» Laisser le client me dicter mes interventions »
» De moins en moins vouloir pour le patient »
» J’ai retiré les termes » prendre en charge un patient » de mon vocabulaire »
» Le côté » sur mesure » pour le client… sous réserve de savoir-faire extrême »
» Centré sur l’individu, le thérapeute n’est là que pour accompagner «
III – Les besoins/les attentes
Les personnes interrogées sont en attente :
de moyens:
• Supervisions individuelles et collectives
• Pratique
• Échanges / confrontation des pratiques
• Formations spécifiques telles que : Recadrages, métaphores, techniques paradoxales, tâches paradoxales
• Formalisations sur les : Aspects pratiques dans la conception et la mise en œuvre de la stratégie de changement.
Stratégies par rapport aux différents types de problèmes
de contenus:
• Approfondissement du modèle en collectif
• Cas réels sur fin de thérapie
• Définition du problème dans les cas de clients » plaignants «
IV – MAIS … certaines interrogations demeurent quant à l’intégration du modèle dans la pratique…
Première interrogation:
Lorsque l’on pose les questions suivantes:
– Ce modèle vous paraît-il mieux adapté à certains cas/certaines situations/certaines personnes? Lesquels? Pourquoi ?
Même si la question, telle qu’elle est posée, induit que le modèle pourrait ne pas être adapté à tous les cas, (la provocation était volontaire), le nombre de réponses qui confirment l’implicite de la question reste étonnant par son importance.
En effet,
• seulement 4 personnes considèrent que ce modèle est adapté à tous les cas.
• parmi les personnes interrogées, certaines considèrent que ce modèle ne convient pas dans les cas suivants :
– Difficultés de l’intervenant avec certains types de patients
– Pour les patients qui veulent comprendre ou qu’on les écoute, mais qui ne veulent pas forcément changer.
– Dans le cadre d’un coaching de développement de la performance, pour bâtir un projet professionnel (2)
• d’autres indiquent que ce modèle convient particulièrement dans un nombre limité de cas :
– Les cas d’urgence (bouffées délirantes, chocs, divorces …) = pour éviter la chronicisation
– Les personnes qui » font plus de la même chose «
• d’autres enfin ne veulent se prononcer par manque de maîtrise, d’expérience ou de recul : (5)
Ceci m’amène à me poser les questions suivantes:
– Le modèle de la thérapie brève a-t-il des limites?
– Est-ce qu’il s’agit de limitations propres à l’intervenant?
» Quand il s’agit d’apprendre, de changer d’identité professionnelle, il ne me paraît pas bien adapté, …, du moins je n’ai pas encore vu comment l’adapter »
– Est-ce que ce sont les limites du contexte?
Deuxième interrogation
Lorsque l’on pose les questions suivantes:
Vous arrive-t-il d’utiliser d’autres approches? Comment? Dans quel(s) contexte(s)? Lesquels? Pourquoi?
Les réponses obtenues sont les suivantes:
• Hypnose (5 ), EMDR, Approche corporelle : (4 dont relaxation 1), Travail émotionnel, Gestalt (2), PNL (5), AT (4), Modèle de coaching de Hudson, Modèle de Vincent Lenhardt (2), Formes plus classiques quand attente de développement personnel, MBTI, PCM, morpho, Utilisation métaphorique du dessin, Travail de visualisation associée / dissociée avant concours, Toutes les théories du fonctionnement psychologique, en tant qu’outil, dans le respect de la stratégie PA (théories psychanalytiques, interprétations des rêves…etc.), Non (3) dont abandon des autres approches (1).
Si certaines approches me paraissent compatibles et/ou complémentaires à l’approche de Palo Alto d’un point de vue des prémisses, d’autres me paraissent très éloignées.
Je m’interroge donc de savoir:
– si ce modèle, pour les personnes interrogées, est une approche, un modèle en soi ou si c’est un outil ?
– si la pratique de ce modèle se fait dans l’intégration à part entière ou dans la juxtaposition à d’autres approches ?
En bref, j’ai le sujet pour une nouvelle étude !
Par rapport à la problématique des consultants.
Comme le disait un psychothérapeute participant à un groupe de supervision constitué de consultants: ce n’est que dans les groupes de consultants que se pose la question, de façon récurrente, de la pertinence du modèle de Palo Alto par rapport à d’autres modèles, que se pose systématiquement la question de quel cadre de référence est utilisé dans les interventions, de savoir à quelles prémisses se référer.
Par rapport à cette spécificité, l’étude laisse apparaître deux éléments distinguant les consultants des psys (Avec toutes les réserves liées au nombre limité de réponses obtenues, considérons que les conclusions tirées sont une hypothèse et non une affirmation):
– Les consultants, plus que les psys, avant de se former au modèle de Palo Alto utilisent (ou utilisaient) dans leur pratique, d’autres modèles, d’autres approches, d’autres outils.
Ainsi, la force nécessaire pour abandonner les anciens réflexes est certainement pour eux plus intense.
– Les consultants indiquent effectuer entre 3 et 30 interventions par mois, les psys indiquent effectuer entre 80 et 200 consultations par mois. Les résultats de l’étude montrent que, l’intégration du modèle, pour les personnes interrogées, passe par de la pratique, beaucoup de pratique. Ceci peut laisser supposer, que les consultants, du fait du nombre relativement limité d’occasions de s’entraîner, acquièrent plus lentement la maîtrise du processus d’intervention dans le modèle de Palo Alto.
Ainsi, entre une pratique d’autres approches dans lesquelles on est à l’aise, et la pratique d’un modèle difficile à maîtriser, on peut comprendre que le choix n’est pas simple.
En conclusion
L’étude laisse apparaître que, dans l’approche et l’apprentissage du modèle de Palo Alto, se dessinent trois phases qui peuvent ou non se recouvrir selon les personnes :
Première phase: la séduction intellectuelle
Le modèle de Palo Alto suscite une forte séduction intellectuelle. Il est considéré comme efficace et rapide, intelligent, respectueux.
Deuxième phase: beaucoup de travail et d’efforts
Dans le processus d’apprentissage, on se trouve confronté à un passage difficile qui est celui de l’application d’un modèle exigeant. Ce modèle paraît simple dans la compréhension de sa théorie, mais il ne l’est qu’en apparence et la mise en pratique nous renseigne très rapidement sur sa difficulté de mise en œuvre.
Cet apprentissage passe par:
– l’acquisition de nouvelles techniques
– l’abandon d’anciens réflexes
– le sentiment d’un enfermement, d’une rigidité, d’une perte de créativité.
L’investissement nécessaire à l’intégration du modèle TB / ISB est, de l’avis de la majorité des personnes interrogées, important et sans complaisance.
Il se traduit par beaucoup de pratique, de supervisions, d’échanges avec d’autres utilisateurs du modèle.
Il est associé à : discipline, rigueur, humilité.
Troisième phase: le basculement
Avec l’expérience, se produit un mouvement qui est de l’ordre du basculement.
La technique se transforme en réflexe, une plus grande souplesse interactionnelle s’installe dans la relation avec le client et la manière d’être, la posture, devient naturellement « thérapie brève ».
Les personnes qui s’expriment sur ce basculement donnent le sentiment d’être libérées d’une sorte de carcan tout en se sentant en sécurité, d’être envahies par une légèreté tout en étant solidement ancrées.
Elles parlent de liberté, de créativité, de plaisir, de confort, de sécurité, de sérénité, de renouvellement permanent, d’absence de routine… etc.
La séduction de départ se transforme alors en véritable adhésion: » Je suis totalement fan de cette approche! »
Ceci me conduit à deux interrogations:
– N’est-ce pas ce phénomène de basculement qui fait une différence dans la façon que l’on a d’appréhender l’approche de Palo Alto ?
Autrement dit, quand il y a basculement, ce modèle n’est-il pas intégré comme une vraie démarche, comme une « culture », quand il n’y a pas basculement, ce modèle ne reste-t-il pas, un simple outil?
– Comme l’a indiqué un intervenant, dans le cadre de la présentation orale de cette étude lors de la Journée d’Étude Paradoxes, le phénomène de basculement n’est-il pas un changement de type 2?
Pour terminer
Merci à Irène Bouaziz et à Chantal Gaudin, d’avoir enclenché le processus de réalisation de cette étude, de m’avoir soutenue tout au long et de m’avoir permis de bénéficier de la structure de l’association Paradoxes pour son exécution et sa présentation.
Merci à Geneviève Estournet, de son écoute constructive.
Merci à Yves Djorno, du rôle de cobaye qu’il a bien voulu jouer.
Merci à tous ceux qui ont répondu si généreusement.
Je salue tous mes compagnons de formation et de supervision.
© S. Levy/Paradoxes