Séminaire organisé par l’Institut d’études du couple et de la famille les 28 et 29 mars 2003 à Genève
Compte rendu d’Irène Bouaziz, Chantal Gaudin et Manuela Guillot
L’approche post-moderne et collaborative est née aux États-Unis à la même période et dans la même mouvance d’interrogations et d’ouverture que l’Ecole de Palo Alto.
Il s’agit plus là d’une philosophie et d’une position particulière du thérapeute que d’un modèle de thérapie. Harlene Anderson nous en a fait la démonstration, tant comme conférencière que comme thérapeute, par son attitude chaleureuse, respectueuse et surtout sincèrement intéressée par les opinions des participants qu’elle a sollicitées de manière très interactive durant les deux journées.
(Harlene Anderson, psychologue, thérapeute de famille et consultante en entreprise, exerçant à Houston, Texas)
Disons-le d’emblée, nous n’étions pas très familières des derniers développements des différents courants du constructivisme au constructionnisme social en passant par la thérapie narrative, le post-modernisme, la thérapie collaborative et nous avons dû rafraîchir notre mémoire en nous replongeant dans l’excellent numéro 19 de la revue belge : Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux consacré au sujet : Constructivisme et constructionnisme social : aux limites de la systémique ? (de Boeck Université, 1998) (cf. bibliographie sur notre site).
L’approche post-moderne collaborative a été développée au Houston Galveston Institute par Harry Goolishian et Harlene Anderson.
Ils furent et sont encore guidés par une question qui leur paraît fondamentale :
Comment les thérapeutes peuvent-ils créer avec leurs clients un style de relations et de « conversations » qui permettent à tous les protagonistes d’avoir accès à leur créativité et de développer des possibilités là où il ne semblait pas en exister auparavant ?
Dans les débuts de leurs recherches, ils se sont intéressés aux travaux du Mental Research Institute de Palo Alto. Harlene Anderson nous a appris que Gregory Bateson, venu leur rendre visite, avait parlé d' »interfertilisation » en voyant qu’ils réunissaient le maximum de personnes concernées par le problème, non seulement la famille, mais aussi les superviseurs et les observateurs et que chacun participait au processus. De fait, ils avaient progressivement cessé de travailler avec la glace sans tain, réunissant tout le monde dans une même pièce, forts du constat que les clients sont toujours intéressés es par les commentaires de l’équipe. Ils ont rejoint en cela, la pratique développée par Tom Andersen, professeur de psychiatrie sociale à l’université de Tromso, Norvège : le dispositif de « l’équipe réfléchissante (reflecting team) ou de « reflecting process » fondé sur l’idée révolutionnaire que l’équipe ne soit plus derrière le miroir, que ce ne soit plus le thérapeute qui décide ce que la famille peut entendre.
Harry Goolishian et Harlene Anderson ont inscrit leur approche dans le courant post-moderne qui questionne la façon dont le savoir, la connaissance, sont conceptualisés et contestant l’idée selon laquelle le monde peut être connu et compris objectivement.
Le courant post-moderne considère que la connaissance est une création collective en perpétuelle transformation. Selon ce point de vue, le langage et la connaissance sont relationnels et génératifs. La transformation est, par conséquent, inhérente aux aspects inventifs et créatifs du langage.
Le paradigme post-moderne propose donc une philosophie de la thérapie ainsi qu’une conceptualisation de l’être humain et de son comportement qui encourage la connexion, la collaboration et la créativité (les trois « C »: connect, collaborate, create), faisant ainsi de la thérapie une relation de partenariat conversationnel.
Plutôt que de mettre l’accent sur la notion de changement initié par un « agent » que serait le thérapeute, cette approche rend compte d’un processus qui ne s’arrête pas, de nature transformative, évolutive. Le changement peut ainsi être imperceptible car progressif. Il s’agit donc d’une conversation entre un thérapeute en position de non-savoir et un client expert de sa vie, partenaires d’un processus génératif, amenant à une transformation réciproque.
Le dialogue étant préféré à l’intervention pour élargir le champ des possibles, le domaine d’expertise du thérapeute devient la création d’un contexte favorable à la transformation : un climat respectueux fait de curiosité et d’intérêt pour ce que pensent les gens. Le thérapeute partage avec eux ses propres pensées qui deviennent publiques. Il ne fait pas un recueil de données systématique, ne se montre pas intrusif, au contraire, il pose aux clients des questions ouvertes sur ce qu’ils pensent et attendent, de façon à entendre ce qui est important pour eux plutôt que ce qui est important pour le thérapeute. Il parle avec l’autre, plutôt que de parler à l’autre, dans une attitude d’incertitude, et conscient que la transformation sera réciproque.
Ce séminaire, succinctement résumé ici, nous a inspiré de nombreuses réflexions.
Nous attendions depuis longtemps l’occasion de voir travailler des représentants du vaste courant qui a remplacé la métaphore cybernétique, qualifiée de mécaniste, par des métaphores littéraires et anthropologiques et qui reproche au constructivisme de ne pas être assez constructiviste parce qu’il situe la construction du monde à l’intérieur de l’esprit de l’observateur, au lieu de la voir à l’intérieur des différentes formes de relations (cf. Kenneth J. Gergen).
L’approche d’Harlene Anderson nous est apparue familière et étrangère à la fois. Familière par la position du thérapeute (respectueuse, attentive, basse) et par la qualité de la relation instaurée avec le client, et tout à fait étrangère par cette pratique systémique hyper large, loin de notre travail sur le système pertinent, par le côté non stratégique affiché et par l’absence d’interventions paradoxales.
Le langage étant ce qu’il est es– linéaire et par conséquent réducteur – toutes les tentatives de théorisation et formalisation de nos pratiques ne peuvent rendre compte que d’un point de vue, du focus sur lequel nous portons notre attention à un moment donné.
Il nous semble que les points de vue de l’approche collaborative et de l’approche de Palo Alto sont proches mais focalisent sur des aspects différents.
La Thérapie Brève met l’accent sur l’intervention stratégique et en particulier sur l’arrêt des tentatives de solution pour favoriser le plus rapidement possible le changement.
L’approche collaborative se focalise sur la relation et plus précisément sur les processus narratifs dans l’interaction, considérant que le processus en soi conduit à une transformation des protagonistes.
Pour nous, si le thérapeute doit savoir que sa vision du monde n’est pas meilleure que celle du client, il doit aussi se rappeler qu’il est responsable du processus de changement et de la qualité de la communication. En cela sa position n’est pas équivalente à celle du client et il nous paraît abusif de présenter la thérapie comme une aimable conversation dans laquelle se transforment les histoires des uns et des autres.
Puisqu’on ne peut pas ne pas communiquer, qu’on ne peut pas ne pas influencer, autant le faire délibérément, en sachant ce que l’on fait.
Mais, comme d’un point de vue constructiviste (et a fortiori post-moderne, n’est-ce pas ?) il n’y a pas de vérité, de bonne façon de voir les choses ou de les faire, il est certain que les voies du changement (ou de la transformation) sont multiples (et impénétrables ?). Que l’on passe par les chemins du paradoxe ou par ceux des fils entremêlés de la narration collaborative, l’important n’est-il pas de redonner de la liberté au système, d’ouvrir d’autres possibles pour le client ?
Il nous est en tous les cas apparu clairement, dans ce que nous avons pu observer du travail d’Harlene Anderson, qu’elle fait bien plus que ce qu’elle dit qu’elle fait. Mais n’est-ce pas une des limites de la théorisation des pratiques thérapeutiques ?
Après ces deux journées de séminaire « collaboratif » avec Harlene Anderson, il semblerait que nous soyons revenues légèrement « transformées » dans notre façon d’être en relation avec les autres : encore plus attentives et plus vigilantes à questionner véritablement, sans idée préconçue.
© I. Bouaziz/Paradoxes © C. Gaudin/Paradoxes © M. Guillot /Paradoxes
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Pour en savoir plus :
Anderson H. et Goolishian H. : Les systèmes humains comme systèmes linguistiques: Implications pour une théorie clinique in Cahiers critiquesdethérapie familiale et de pratiques de réseaux n°19 : Constructivisme et constructionisme social: aux limites de la systémique ? (de Boeck Université, 1998).
Anderson H. : Conversation, Language and Possibilities : A Postmodern Approch to Therapy, New York, Basic Books, 2000.
Site de Harlen Anderson : http://www.harleneanderson.org/
Institut d’études du couple et de la famille de Genève
( http://www.iecf.ch)